Au Tribunal pour les générations futures, l’aide publique au développement déclarée « non coupable »

publié le 05 Septembre 2018
France
  • logo linkedin
  • logo email
Le Tribunal des générations futures du 3 septembre 2018 au Forum Convergences
Le magazine « Usbek & Rica » organisait lundi dans le cadre du forum Convergences son « Tribunal pour les générations futures », un événement original et décalé questionnant des sujets d’avenir. L’AFD s’est prêtée au jeu.

Ce n’est pas tous les jours que l’AFD se retrouve sur le banc des accusés. Ce lundi, dans le grand auditorium du palais Brongniart, à Paris, il ne s’agissait heureusement pas d’un procès classique mais du Tribunal des générations futures, une conférence-spectacle régulièrement organisée par le magazine Usbek & Rica reprenant les codes judiciaires pour débattre de grandes problématiques d’avenir et questionner l’intérêt des générations futures.

À chaque fois, un responsable de la revue ou une personnalité déguisé/e en juge lance un sujet, « Faut-il une bonne dictature verte ? », « Faut-il démanteler Google ? », par exemple, lors des précédentes éditions. Charge ensuite à un « procureur » et un « avocat » d’en présenter les tenants et les aboutissants en cuisinant une brochette de témoins clés, experts du domaine abordé. L’objectif étant, pour les deux magistrats, de convaincre les « jurés » désignés dans l’assistance pour représenter les générations futures.

Ce lundi, l’AFD s’est prêtée au jeu d’un Tribunal pour les générations futures portant sur les politiques liées au développement. Avec cette question centrale, volontairement provocante, pour susciter le débat : « L’aide publique au développement (APD) est-elle une arnaque ? »

Intérêts politiques

« C’est ce qu’on pourrait être tenté de croire, démarre la procureure, vu que les fonds consacrés au développement des 150 pays de la liste de l’OCDE n’atteindraient qu’imparfaitement les bénéficiaires, victimes de la corruption et des intérêts politiques des pays donateurs. Les 145 milliards de dollars annuels d’aide publique au développement ne seraient, selon elle, qu’un sparadrap sur une jambe de bois au regard des sommes astronomiques investies dans ces pays par le secteur privé.»

Un propos appuyé dans un premier temps par la première experte appelée à la barre, la chercheuse de l’Institut de relations internationales et stratégiques Esther Schneider : « Certains pays en développement ne mettent parfois pas en œuvre les projets pour lesquels ils reçoivent des fonds. Toutefois, toutes les études ne pointent pas la responsabilité de l’APD dans la corruption. Ses acteurs, ce sont aussi les entreprises et les lobbies. »

TGF2
La chercheuse Esther Schneider à la barre du Tribunal des générations futures / © DR

 

Et que dire de l’intérêt politique des bailleurs de fonds ? « Il plane plus que de raison sur l’élaboration des programmes d’aide. On rend davantage compte aux parlementaires et citoyens des pays donateurs qu’aux populations bénéficiaires de l’aide », s'insurge Esther Schneider.

« L’APD fait partie des vecteurs de la politique étrangère de la France, reconnaît Yves Guicquéro, adjoint au directeur exécutif de la Stratégie, des partenariats et de la communication à l’AFD, appelé à la barre peu après. Mais ce n’est pas qu’une question de rayonnement et d’intérêt. Il y a aussi beaucoup d’altruisme et d’envie que le monde aille mieux. »

Un rouage essentiel

D’après le représentant de l'AFD, l’APD est indispensable pour répondre à des besoins importants partout dans le monde. « Sans elle, de nombreux domaines d’intervention comme la santé ou les énergies renouvelables auraient de grandes difficultés à être financés, défend-il. Il s’agit par ailleurs d’un formidable levier pour mobiliser le secteur privé et le pousser à investir en direction d’un monde plus durable. » Esther Schneider ne le contredit pas : « Si on supprimait l’aide publique au développement, c’est un système de marché qui prendrait le relais et de nombreux pays seraient alors sous la menace d’un fort endettement. »

Et l’avocat général d’opposer la transparence et l’impact certain de l’APD à un système régi par la charité privée qui, s’il venait à s’imposer, ne profiterait pas aux pays en développement. « L’aide publique au développement n’est pas exempte de tout reproche, mais le fait même que nous fassions aujourd’hui son procès prouve à quel point nous tenons à elle », souligne-t-il.

Une heure après l’ouverture du procès, voilà les jurés invités à délibérer. Et le verdict – sans appel – ne se fait pas attendre longtemps : à une large majorité, les jurés estiment que l’APD n’est pas une arnaque, bien qu’elle soit encore perfectible. Les citoyens ont tranché, l’APD restera sous surveillance.