
Comment définir l’emploi informel ? Et pourquoi cela pose de sérieux problèmes méthodologiques ?
L'emploi informel est généralement défini par l'absence de protection sociale (principalement une couverture maladie) ou par l'absence de contrat écrit (mais ce critère ne peut être appliqué qu'aux employés et est par conséquent plus étroit que la protection sociale). Toutes les définitions ne concordent pas, ce qui montre la complexité à saisir le phénomène dans sa diversité. On peut se rabattre sur la méthode proposée par Jacques Charmes (2012), qui distingue trois niveaux d’informalité :
- Emploi dans le secteur informel = individu informellement ou formellement employé dans une entreprise informelle ;
- Emploi informel = individu informellement employé dans une entreprise informelle ou dans une entreprise formelle ;
- Emploi dans l'économie informelle = individu informellement employé dans une entreprise informelle ou formelle + individu formellement employé dans une entreprise informelle.
Une bonne nouvelle, cependant : grâce à la 20e Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST), de grosses avancées seront réalisées à l’avenir dans le paramétrage de la collecte de données, ce qui permettra à nous, acteurs du développement, de mesurer beaucoup plus finement le travail non rémunéré, l’économie du care et plus globalement les différentes formes de travail féminin non formel ou atypique.
Le secteur informel est-il un moyen de « réguler » les dysfonctions de l’emploi dans le secteur formel ? Et pourquoi les femmes sont aussi majoritairement touchées ?
Je dirais plutôt qu’on est dans une forme de complémentarité entre emploi formel et informel. L’informalité ne relève pas seulement du choix individuel (ne pas enregistrer son activité). Il peut aussi s’agir d’une activité ayant basculé dans l’informalité. Le plus souvent, ce sont des réglementations ou des politiques de gestion de la production, des services ou d’utilisation des espaces publics qui conduisent les individus dans le système informel. Il peut s’agir de travailleurs journaliers occasionnels, de travailleurs payés à la tâche, généralement à domicile, de sous-traitants… On est dans des relations de travail globalement plutôt flexibles et précaires. Il peut s’agir aussi de travail partiellement informel, comme ceux qui offrent leurs services (« gigs ») sur des plateformes digitales.
Concernant les femmes, effectivement, elles restent majoritaires dans certains secteurs de l’informel. Cela tient au fait qu’il s’agit soit de formes de travail difficiles à recenser (soutien ponctuel à l’entreprise familiale) soit de tâches non rémunérées (travail du care). Le vrai problème pour le moment est le manque de reconnaissance institutionnelle, que ce soit pour les travailleurs à domicile ou les travailleurs domestiques, les récupérateurs de matériaux ou les vendeurs de rue, autant de métiers avec une très haute participation des femmes. Il y a un vrai travail à faire sur les politiques publiques dans les domaines de l’emploi et de la protection sociale pour prendre en compte ces réalités.
Quel rôle et quel positionnement pour l’aide au développement – et en particulier pour les agences telles que l’AFD – face à l’emploi informel ?
Pour améliorer les conditions du travail informel dans un contexte de fortes mutations – aussi bien économiques qu’environnementales – il est essentiel de garantir la protection sociale pour tous et de soutenir des politiques en faveur des formes de travail décent, de type formel ou pas. Il faut accompagner ces transitions plutôt que de se contenter de « formaliser » en surplomb ces métiers.
Pour être plus précise, je pense que l’extension de la couverture et des instruments d’un système de protection sociale aux travailleurs informels et à leurs ménages répondrait déjà à de nombreux enjeux de développement humain (accès de ces populations aux soins de santé, à des emplois de meilleure qualité, à un soutien plus efficace face aux chocs), mais aussi à des enjeux de développement économique (amélioration de la productivité) et enfin cela améliorerait le financement de la solidarité nationale (afin que chaque personne contribue à hauteur de ses moyens pour que chacun accède aux prestations dont il a besoin). Les financements d’une extension dépendront de la structure fiscale des États, d’une participation au dialogue social du secteur privé et des représentants des professions, activant un processus dans lequel les bailleurs peuvent jouer un rôle essentiel d’accompagnement.
Les initiatives de soutien à un travail productif et convenablement rémunéré, à la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les ménages, à la liberté pour les individus de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie (incluant une égalité de genre et de traitement pour tous) sont toutes alignées sur les engagements de l’AFD « 100 % Accord de Paris et 100 % lien social ».
5 défis pour l'emploi dans les pays en développement
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