Quels sont aujourd’hui les grands enjeux de santé à l’échelle mondiale ?
ll s'agit surtout de répondre aux attentes des populations. À Paris ou à Bamako, pour soi ou pour ses proches, nous voulons tous la même chose quand il s’agit de santé : avoir accès à des soins de qualité près de chez nous et sans nous ruiner pour cela. Ce qui en France nous paraît naturel grâce, entre autres, à la Sécurité sociale, est en fait très compliqué à obtenir. Dans les pays pauvres, beaucoup de gens n’ont même pas accès à des soins de base, parce qu’ils doivent eux-mêmes payer leurs soins, parce qu’ils habitent trop loin d’un centre de santé ou que celui-ci n’a pas toujours l’eau et l’électricité, que les médecins n’y sont pas tous les jours, qu’il manque des médicaments… La priorité est de renforcer les systèmes de santé des pays les plus pauvres.
Si l’épidémie d’Ebola a pu se développer il y a cinq ans en Guinée et aujourd’hui en République démocratique du Congo, c’est parce que les systèmes de santé y sont défaillants. Parce que quand une personne arrive dans un dispensaire pour se faire soigner, non seulement elle n'est pas prise en charge, mais elle contamine aussi les personnes autour.
Ces défaillances sont corrélées avec le niveau de pauvreté et de désorganisation des pays. L’OMS évalue à 22 le nombre de pays dans lesquels les fondations mêmes des systèmes de santé sont à reconstruire : infrastructures, mais aussi équipements, médicaments, ressources humaines, gouvernance… Dans les pays à revenu intermédiaire, la situation est meilleure et les questions portent plus sur l’adaptation des systèmes de santé aux nouveaux besoins.
En quoi l’aide publique au développement permet-elle de répondre à ces défis ?
Le secteur de la santé est profondément sous-financé dans les pays les moins avancés. En raison des faibles ressources qu’ils y consacrent, la grande majorité de ces pays ne parviennent pas à fournir les soins de base aux populations. Le problème s’aggrave dans des zones comme le Sahel, où les dépenses des États pour maintenir la sécurité des populations augmentent au détriment, entre autres, de la santé. Le secteur est ainsi très dépendant de l’aide internationale. Et ça ne va pas s’arranger dans les années qui viennent.
L’aide publique au développement est un outil relativement efficace pour remédier à ces défaillances. Elle est aujourd’hui plutôt dirigée vers des programmes ciblant une maladie ou un groupe de maladie et portés par les organismes multilatéraux [dont le principal est le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme]. Ces programmes ont leurs avantages : ils sont efficients dans leur domaine et permettent de mesurer facilement des impacts – en nombre d’enfants vaccinés ou de décès évités.
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Le débat est aujourd’hui de savoir comment faire en sorte que ces fonds verticaux participent aussi au renforcement des systèmes de santé. C’est l’un des enjeux de la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme le 10 octobre à Lyon. L’aide publique au développement est indispensable, mais il faut sans doute la repenser un peu à l’aune de ces constats.
Quelle est l’approche de l’Agence française de développement en matière de santé ?
En tant qu’agence bilatérale, nous parlons avec les États et les ministères de la Santé et, chaque fois que nous le pouvons, nous nous inscrivons dans une optique de renforcement des capacités nationales. Notre vision de la santé est de ne pas travailler sur tel ou tel petit aspect, une maladie par exemple, mais de renforcer les systèmes de soin dans leur ensemble.
Concrètement, nous soutenons ces pays dans l’adaptation de leurs systèmes de santé à des nouveaux problèmes. Par exemple, la montée en puissance des maladies chroniques – diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, maladie d’Alzheimer – due à plusieurs phénomènes de société, comme le vieillissement des populations ou l’évolution des modes de vie (malbouffe, sédentarité, pollution…). Les pays en développement sont de plus en plus touchés par ces maladies. Or celles-ci demandent des investissements médicaux et des traitements beaucoup plus lourds que les maladies infectieuses qui prévalaient jusqu’à présent. Elles représentent donc un immense défi pour ces pays aux systèmes de santé déjà fragiles.
Nous travaillons aussi beaucoup au développement de dispositifs de détection des épidémies à l’échelle régionale. Les pays voisins ont tout intérêt à mutualiser leurs moyens et à échanger les informations sanitaires. Grâce à l’AFD, la Commission de l’océan Indien est par exemple dotée d’une capacité de surveillance et d’alerte des maladies qui couvre aujourd’hui ses cinq États membres, dont la France pour La Réunion. Il y a peu, nous avons contribué à y ajouter un volet sur la santé animale. Si l’être humain veut être en bonne santé, il faut en effet que son environnement le soit aussi. C’est le concept derrière l’initiative One health (« Une seule santé ») porté par l’ONU qui vise notamment à renforcer les échanges entre médecins et vétérinaires.
Comment s’y prend-on, sur le terrain, pour renforcer les systèmes de santé ?
Nous soutenons par exemple un programme d’appui à la santé aux Comores. Il a permis de réhabiliter des hôpitaux et des dispensaires, de fournir des équipements et des médicaments, de former des infirmiers et des sages-femmes, et de mettre en place un système de tiers payant permettant aux femmes d’accéder quasiment gratuitement à la médecine obstétricale. Avant cela, une césarienne coûtait 200 euros aux femmes, une somme qui, dans un pays où le salaire mensuel moyen est de 63 euros, obligeait toute la famille à se cotiser ou à vendre des biens. C’était une barrière évidente à l’accès aux soins. Aujourd’hui, 80 % de l’opération est pris en charge par un système financé par l’AFD.
Nous travaillons aussi avec le secteur privé, au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie avec le réseau Aga Khan. Nous avons ainsi pu financer des hôpitaux et des écoles de médecine via des prêts et des dons. C’est une très belle réussite.
En 2018, l’AFD a engagé 497 millions d’euros au profit de la santé dans le monde. Avec, comme résultat, une amélioration de l’accès aux soins pour 14 millions de personnes.
À quoi correspond la « couverture santé universelle » dont l’AFD soutient le déploiement ?
Il s’agit ni plus ni moins de ce qu’attendent les gens aujourd’hui : des soins de qualité accessibles financièrement. Nous y sommes en France, mais cela a pris une centaine d’années, depuis l’entre-deux-guerres jusqu’aux dernières briques du dispositif, la CMU et l’aide médicale de l’État.
Une couverture santé universelle, c’est quelque chose qui se construit progressivement. On peut commencer par offrir un package de soins de base qui couvrira 80 % des maladies courantes, puis proposer l’accès à des soins de plus en plus sophistiqués, contre un cancer, par exemple. Ou bien ne financer qu’une partie des soins de base au début, ou un certain type de population, les populations indigentes par exemple, ou au contraire les personnes plus simples à assurer comme les fonctionnaires, avant d’étendre la couverture à d’autres.
Le problème, quand on promet la gratuité avant que le système soit en place, c'est que les gens s’attendent à ne plus payer, et que les dispensaires se retrouvent brutalement sans argent. Passer de la séduisante annonce à la pratique n'est pas aisé.
Il faut faire simple pour commencer. Comme aux Comores, où nous avons d’abord soutenu un système de tiers payant pour l’accouchement par césarienne, et que nous allons maintenant étendre progressivement.