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agriculture, femme, riz, Cambodge
Dans quelle mesure est-il possible d’atteindre des objectifs de conservation de la biodiversité, tout en répondant aux besoins de développement socioéconomique des populations locales ? Si l’atteinte concomitante de ces deux objectifs est une préoccupation centrale de la CDB, qui sera encore débattue lors de la prochaine conférence des parties en Chine en 2020, les moyens d’y parvenir font cependant débat. Leçons tirées d’une évaluation de 19 projets d’appui à des aires protégées.

L’AFD s’était fixé comme cap de doubler ses engagements financiers pour la biodiversité pour atteindre 160 millions d’euros par an à partir de 2013. Cet objectif a été dépassé avec 284 millions d’euros par an engagés entre 2013 et 2018. Les financements attendus au titre de l’objectif transversal n° 2 (l’intégration de la biodiversité dans l’ensemble des politiques de développement) ont ainsi été largement dépassés avec 44 % (contre 21 % prévus) des engagements totaux de la période 2013-2018. Les 19 projets incluent des projets achevés (8) ou en cours d’exécution (11), localisés principalement en Afrique, mais aussi en Asie et en Amérique centrale.

Les 19 projets évalués :

Appui à des aires protégées : 19 projets évalués
 

 

Les évaluateurs ont réparti ces 19 projets en 4 types identifiés selon les objectifs poursuivis par ces projets pour atteindre la finalité commune de conservation de la biodiversité (voir schéma ci-dessous). Ils ont notamment constaté un basculement dans le temps entre 2000 et 2017, les projets plus récents étant davantage axés sur des objectifs de développement socioéconomique alors que les plus anciens privilégiaient des objectifs de conservation.
 

Les 4 principales logiques d’intervention identifiées au sein des projets
Schéma inspiré de l’article : Adams William M. et al., 2004, "Biodiversity conservation and the eradication of poverty",. Science, vol. 306, n° 5699, p. 1146–1149. Source : Basteel


Des projets globalement pertinents, cohérents et efficients

Les projets sont généralement pertinents, dans le sens où ils répondent bien aux enjeux et besoins des territoires ciblés, même si leurs logiques d’intervention demandent à être clarifiées. Cohérents, ils sont bien alignés avec les priorités des politiques nationales et les axes stratégiques de l’AFD. Les modalités de gouvernance et de gestion ainsi que les budgets sont dans l’ensemble bien adaptés aux activités mises en oeuvre, à l’exception toutefois des moyens financiers alloués aux infrastructures et aux activités de développement, qui sont parfois insuffisants. Leur efficience est jugée satisfaisante par les évaluateurs, même si la majorité de ces projets se heurte à des retards dans la mise en oeuvre des activités.
 

Des résultats avérés qui varient suivant la typologie des projets

L’évaluation conclut que le niveau d’exécution global des projets est satisfaisant, même si la plupart, à l’exception de quelques-uns (voir l'encadré ci-dessous), n’atteignent pas des résultats satisfaisants sur les deux objectifs à la fois. Ce constat fait écho à celui de la littérature scientifique, qui présente une image moins univoque que le discours traditionnel sur la synergie gagnant-gagnant entre conservation de la biodiversité dans les aires protégées et développement, révélant des situations très contrastées suivant les sites étudiés.

Le saviez-vous ? CONCILIER CONSERVATION ET DÉVELOPPEMENT, C’EST POSSIBLE !

Certaines initiatives ont concilié avec succès des actions de développement socioéconomique et de conservation, elles peuvent servir d’inspiration pour
le futur :

  • mise en place de la marque « Paysage bioculturel » au Mexique pour soutenir des filières étroitement liées à l’identité du territoire. Avec ce dispositif, chaque producteur de l’aire protégée (AP), respectant un cahier des charges de pratiques durables définies en concertation avec le gestionnaire de l'AP peut apposer sur ses produits le logo et la marque du parc. Il peut ainsi les commercialiser en valorisant leurs qualités environnementales
  • établissement de 2 labels de riz « favorable à la faune sauvage » en agriculture raisonnée et biologique, au Cambodge. Il est acheté par la société spécialisée « Ibis Rice » respectivement 30 % et 50 % au-dessus du prix du marché conventionnel et vendu sur les marchés allemands et cambodgiens, avec un effet démontré sur l’avifaune locale
  • soutien à des contrats de conservation et de développement à Madagascar. Ces documents fixent le cadre de collaboration entre le projet (engagements en matière d’appui technique sur des pratiques agroécologiques) et chaque producteur local bénéficiaire (engagements pour réduire les pratiques de déforestation, respecter les règles de gestion communautaires


La grande majorité des projets évalués contribuent à l’amélioration de la gestion et de la gouvernance des aires protégées, en renforçant les dispositifs institutionnels et de gestion. Certains ont réussi à influencer les politiques nationales en matière de conservation et beaucoup ont contribué à mettre en place des dispositifs de gestion innovants associant les communautés locales aux côtés des partenaires nationaux et des collectivités. Les projets orientés sur des objectifs de développement socioéconomique atteignent généralement de meilleurs résultats. Ils font la promotion de modèles de cogestion ou de gouvernance partagée, conduisant ainsi à une meilleure acceptabilité sociale.

La majorité des projets évalués contribue directement ou indirectement au maintien ou à la restauration des écosystèmes, des espèces menacées et de leur habitat, et des ressources productives. L’évaluation constate que les projets davantage axés sur des objectifs de conservation de la biodiversité obtiennent généralement des résultats plus significatifs en la matière.

En revanche, les résultats en termes de développement socioéconomique des populations sont généralement en deçà des attentes, et ce pour plusieurs raisons : nombre de bénéficiaires souvent marginal, faiblesse des moyens investis comparés à la taille des populations et des surfaces ciblées, faible implication des communautés dans la sélection des activités, etc. Certains projets orientés sur des objectifs de développement ont en revanche fait de réels progrès en matière de pérennité financière des aires protégées, en développant les recettes de l’écotourisme ou du mécanisme de Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) en faveur des administrations des parcs.

Enfin, l’évaluation constate que les projets induisent aussi des bénéfices non économiques : sensibilisation, éducation à l’environnement, production de connaissances et parfois réduction des conflits autour des aires protégées et sécurisation de leur région.

DES RECOMMANDATIONS STRATÉGIQUES POUR CONCILIER CONSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET DÉVELOPPEMENT SOCIOÉCONOMIQUE
  • privilégier l’approche territoriale et professionnaliser les activités de développement économique, en les axant sur des filières ou des chaînes de valeur et en les dimensionnant correctement par rapport au nombre de bénéficiaires et aux surfaces ciblés
  • mobiliser des compétences techniques en développement en complément des équipes d’appui aux aires protégées plus spécialisées en conservation de la biodiversité (par exemple, pour l’adoption de techniques d’agroécologie ou la commercialisation de produits labellisés)
  • apporter des appuis différenciés aux aires protégées en fonction de leurs spécificités et de leur perspective de pérennité
  • améliorer l’implication des communautés dans la sélection des activités visant à réduire les pressions sur les aires protégées
  • utiliser l’avantage de l’AFD de pouvoir associer différentes modalités de financement sur un même projet et mobiliser davantage de subventions pour préparer et accompagner des prêts.

Des impacts difficiles à évaluer

Les impacts en matière de conservation de la biodiversité et de gestion des ressources naturelles, et davantage encore en matière de développement économique, sont difficiles à évaluer pour l’ensemble des projets. Cela tient d’abord à l’absence ou l’insuffisance de situations de référence clairement établies avant le démarrage des projets. La faiblesse et le manque de pérennité des dispositifs de suivi empêchent également de disposer de séries de données sur le long terme, or ce sont les seules qui permettent de mesurer réellement les impacts. Sans dispositifs complets, des impacts pourtant réels sont impossibles à identifier.

La majorité des projets orientés vers la conservation ont des impacts en termes de maintien de populations d’espèces menacées et de maîtrise des conflits entre les hommes et la faune sauvage grâce aux aménagements promus par les projets. Les impacts en termes de restauration des écosystèmes sont néanmoins quant à eux mitigés. À l’inverse, certaines actions produisent des impacts négatifs qui ne sont mesurables que dans le temps : exacerbation des dissensions entre ministères de tutelle, accroissement des pressions sur les aires protégées et des conflits, etc. La réalisation plus systématique et approfondie d’évaluations d’impacts environnementaux et sociaux en amont des projets permettrait de mieux circonscrire ces impacts.

Concernant les projets plus axés sur la conservation, les retombées économiques issues de l’augmentation de la biodiversité et d’une meilleure gestion des ressources naturelles par les acteurs vivant à l’extérieur des aires protégées sont souvent observables. Elles sont rarement d’importance telle qu’elles puissent compenser les pertes immédiates résultant des restrictions d’accès et d’usage aux zones protégées.

 

  • Le point de vue

Edwin Wanyonyi
Directeur adjoint de la Stratégie et du Changement, Kenya Wildlife Service, Nairobi

Nous avons reçu la visite d’un consultant indépendant pour évaluer le financement par l’AFD des projets de Kenya Wildlife Service dans les parcs nationaux de Meru et de Marsabit. C’était intéressant, car nous avons pu examiner quelles informations étaient disponibles pour mesurer les résultats et impacts prévus. Néanmoins, la visite a été trop courte et le consultant n’a pas eu le temps d’approfondir certaines questions évaluatives lors de sa mission. Nous avons dû discuter de quelques-unes de ses hypothèses afin de renforcer son analyse. Nous nous sommes également rendu compte que des activités prévues, que nous pensions pertinentes et mises en oeuvre de manière efficace, rencontraient en réalité des difficultés et n’obtenaient pas de résultats concluants. Nous avons ainsi pu modifier ces activités et revoir leur mise en oeuvre (par exemple sur l’enrichissement de pâturage).

 

  • L'interview

Martin Dorschel
Directeur du département Évaluation de la KfW

Avez-vous remarqué des différences entre vos pratiques d’évaluation et celles de l’AFD ?

L’évaluation de l’AFD à laquelle j’ai eu le plaisir de participer présentait deux différences notables. Alors que la KfW évalue surtout des projets ex post pris de manière individuelle, l’évaluation des aires protégées par l’AFD couvrait un large échantillon de projets menés entre 2000 et 2017, comprenant des projets en cours ou achevés. En conséquence, nos évaluations s’attachent principalement aux résultats de chaque projet de développement, tandis que l’évaluation de l’AFD permet d’établir des conclusions de portée plus générale. Par ailleurs, nos évaluations sont principalement conduites en interne pour que nos agents s’approprient les leçons produites, alors que l’AFD les externalise pour disposer d’un regard indépendant et ayant une portée stratégique. L’évaluation de l’AFD correspondait à une évaluation thématique, que nous pratiquons plus rarement. C’était une expérience très enrichissante pour moi d’être témoin de ce qu’un groupe de référence de ce type peut apporter à une étude stratégique.


Quelles sont les leçons de cette évaluation qui font écho à vos propres enseignements ?

L’AFD et la KfW font face à des défis similaires en matière d’appui aux aires protégées. Très peu d’aires sont en mesure de couvrir leurs coûts de fonctionnement à partir des revenus issus du tourisme. Les aires protégées ont besoin de financements fiables et d’un engagement fort de leurs gouvernements respectifs. L’évaluation de l’AFD confirme que la conservation est un domaine complexe pour les agences de développement en général et pour les évaluateurs en particulier. Comme l’AFD, nous constatons l’absence de données sur les situations avant le projet, la faiblesse des analyses des problèmes identifiés en amont et de définition des objectifs, ainsi que la difficulté de mesurer certains indicateurs.


Article initialement publié dans le Rapport des évaluations 2017/2018 de l'AFD, à découvrir en cliquant ici