Avec l’une des croissances urbaines les plus fortes du monde, Dacca voit chaque jour sa population augmenter, pour atteindre aujourd’hui 17 millions d’habitants. Parmi ces nouveaux citadins, des paysans qui s’installent en périphérie de la ville, avec les moyens du bord, dans des quartiers échappant à toute planification et où les services de base ne sont pas assurés. Le début de la marginalisation. Ces quartiers informels, les « Low Income Communities », accueillent près d’un tiers de la population totale de la ville.
Parmi les premières préoccupations des habitants, nouveaux arrivés ou pas : l’accès à l’eau potable. Face à une demande croissante, le réseau collectif d’approvisionnement, géré par la Dhaka Water Supply & Sewerage Authority (DWASA), ne parvient à desservir que la moitié de la population, laissant en marge les bidonvilles où les installations sont plus difficiles à mettre en place et moins rentables. Alors, pour s’en sortir, place à la débrouillardise et au système D : les connexions « artisanales » — illégales — au réseau pullulent, apportant une eau de mauvaise qualité, souvent contaminée, qui représente une menace pour l’hygiène et la santé des habitants.
Une décision politique
Cette situation préoccupante n’a pas laissé le gouvernement impassible. Allié à la régie des eaux, celui-ci vise un objectif ambitieux pour 2018 : fournir une eau potable et accessible à la totalité des habitants de Dacca.
Sur le terrain, les ONG, nationales et internationales, n’ont quant à elles pas attendu pour agir. Elles travaillent depuis plusieurs années dans ces quartiers pour raccorder les maisons au réseau et sensibiliser les foyers aux maladies hydriques.
Pour soutenir l’ambition du gouvernement et poursuivre son engagement dans le secteur, l’AFD a décidé d’appuyer la DWASA, avec l'aide de l’Union européenne. Et pour mieux coller au contexte, elle a fait appel à quatre ONG (Dushtha Shasthya Kendra, Bangladesh Association for Social Development, Society for People’s Action in Change and Equity et Eau et Vie) dont l’expérience et l’ancrage local sont reconnus. L’objectif du projet, démarré fin 2017 : alimenter en eau 250 000 habitants répartis dans 18 bidonvilles de la capitale, par le biais de 3 000 connexions collectives ou individuelles selon le modèle de chaque ONG. Un véritable « engagement politique » selon Mustafiz Rahman, qui travaille pour la DWASA.
Tous impliqués
Ici, la coopération entre la régie des eaux et les ONG est la clé du succès. Les ONG mettent en place les réseaux d’eau potable dans les quartiers défavorisés. Le réseau construit est ensuite connecté sur le réseau public de la DWASA. Ces mini-réseaux permettent ainsi de créer un réseau à moindres frais. Dans le cas des connexions semi-collectives, un accord est alors passé entre une « Community Based Organization » (CBO) et la régie des eaux. Et ce sont les ONG qui s’assurent du paiement des factures.
La facture d’eau est adressée par pompe, utilisée par plusieurs familles et gérée par une CBO. L’implication des habitants est essentielle : la pompe étant la responsabilité de plusieurs familles, il arrive souvent que personne ne s’occupe de la maintenir en bon état, rejetant cette responsabilité sur d’autres. Avec le principe de la CBO, c’est un système durable qui est mis en place : chacun prend ses responsabilités et la maintenance et les factures sont prises en charge.
Les associations partenaires arpentent ainsi les rues de ces quartiers, à la rencontre des populations touchées par la pénurie, pour mieux déterminer leurs besoins, leur capacité à gérer en collectivité une connexion partagée… et à payer les factures. Chaque fontaine créée profitera à plusieurs familles associées pour partager son utilisation et sa gestion. Pour que le système fonctionne, des « chefs CBO » ont été désignés : ce sont eux qui seront en charge de la maintenance et de la collecte de l’argent, pour chaque fontaine.
L'ONG Eau et Vie a fait le choix d’un autre modèle : celui d’un robinet d’eau dans chaque maison. Cette solution résout à la fois le problème du stockage de l’eau, souvent source de contamination, mais aussi de temps perdu, en particulier pour les femmes et les enfants qui sont le plus souvent responsables de cette tâche. Pour cela, l'ONG a créé au Bangladesh deux structures locales : une association (Water and Life) et une entreprise locale (SJP). Un accord est passé pour acheter l’eau à la DWASA. Ensuite l’entreprise sociale investit et construit le réseau, fournissant ainsi à chaque famille du bidonville qui le demande de l’eau courante et potable. Les paiements sont récoltés chaque semaine par un réseau de collecteurs issus de ces quartiers, afin d'éviter l'endettement et d'assurer un suivi quotidien du budget.
Autre défi : convaincre les principaux intéressés, des habitants qui doivent sacrifier un espace d’habitation déjà limité pour installer réservoirs et réseaux.
Lorsque nous rencontrons les habitants de ces quartiers, ils sont loin d'être convaincus par le projet. Mais une fois les premières connexions installées, ils en reconnaissent l’avantage : l'eau est plus pure... et moins chère ! Ici, les gens sont prêts à payer une facture honnête pour une eau de qualité, toute l'année. Et pour la garantie que les infrastructures seront maintenues en bon état.
Il faut penser à tout, notamment au « design » des connexions, à réaliser sur-mesure en fonction de la place disponible et de la faisabilité dans ces zones d’habitat précaire où l’architecture est anarchique.
Objectif : durer
L’ambition est réelle : au-delà de la simple connexion au réseau, le projet entend assurer la viabilité des installations. Aussi bien au niveau de la maintenance que de la rentabilité du système. Car si l’engagement du gouvernement a poussé la DWASA à connecter de plus en plus les bidonvilles à son réseau collectif, la régie n’était jusque-là pas tenue de veiller à la durabilité des installations (maintenance, paiement des factures, etc.).
La négociation a été longue : il a fallu convaincre la régie des eaux de confier le suivi pendant plusieurs années aux ONG après la mise en fonction des connexions. Le défi est de taille : si le principe du système basé sur l’engagement de la communauté vise à terme une indépendance totale, s’assurer de son bon fonctionnement peut prendre du temps.
Dans les logements, les réservoirs de brique et de ciment commencent à émerger. Des premiers pas, même si beaucoup reste à faire : connecter les nouvelles pompes et réservoirs au réseau de la DWASA, mais aussi former les chefs CBO et poursuivre l’éducation de la population sur des questions d’hygiène et de nutrition.
Les ONG vont même plus loin que l'accès à l’eau courante potable. Ainsi l’entreprise sociale créée par Eau et Vie propose des services complémentaires (gestion des déchets, assainissement) qui sont intégrés dans une facture mutualisée. Avec une équipe composée à 50 % de personnes de la communauté, Eau et Vie crée de l'emploi local. Enfin, grâce aux activités de sensibilisation et de formation à la lutte anti-incendie (pour lesquelles la plupart des volontaires sont des femmes), l'ONG agit aussi sur l'autonomisation des femmes et leur donne un réel statut vis-à-vis de la communauté.