• logo linkedin
  • logo email
Birmanie, Thaïlande, migrante
À l’occasion de la Journée internationale des migrants du 18 décembre, Khin Mae Soe, une Birmane partie construire une vie meilleure en Thaïlande, nous raconte son émouvant parcours. Et sa rencontre avec la Fondation pour l’éducation et le développement, soutenue par Terre des hommes France et l’Agence française de développement.

À peine entrée dans la pièce, son énergie se propage instantanément. Au départ intimidée, elle se détend rapidement pour nous conter son histoire, un récit ponctué de grands gestes, d’éclats de rire et de traits d’humour. Khin Mae Soe a 45 ans. Elle a grandi en Birmanie, au sein d’une famille modeste. Avec son mari, ils cumulent les emplois saisonniers dans l’agriculture ou la pêche. Mais en 1997, peu après la naissance de leur fils, tous deux se retrouvent sans travail. Les mois passent et les difficultés s’amoncellent. 

La Birmanie est à l’époque l’un des pays les plus pauvres d’Asie du Sud-Est, en proie à des difficultés politiques majeures. Beaucoup tentent alors leur chance dans l’eldorado thaïlandais, qui connaît un essor économique sans précédent entre 1987 et 1996. C’est le cas de sa mère, qui a émigré vers la Thaïlande et travaille illégalement dans un élevage de crevettes. Khin Mae Soe décide de saisir sa chance d’offrir à son fils une vie meilleure : elle emprunte de l’argent à sa mère et quitte le pays avec son mari et leur enfant. 
 


Lire aussi : Les diasporas africaines, un partenaire en mouvement



Pour traverser la frontière, elle fait appel, comme la plupart des migrants, à un passeur. La somme demandée est considérable - 16 500 baths, soit 490 euros – mais en désespoir de cause, ils acceptent. Avec un sourire triste, elle se souvient : « Tout s’est bien passé pendant la traversée… C’est en arrivant que les choses se sont corsées. » 

En juillet 1997, la Thaïlande subit une crise économique majeure, qui déstructure entièrement l’économie du pays. Le bath, la monnaie thaïlandaise, est très fortement dévalué et les marchés financiers du pays s’effondrent. La crise se prolonge et l’économie est durablement fragilisée. Lorsque Khin Mae Soe arrive en 1998, elle déchante.

Vivre dans la peur

Elle et sa famille s’installent chez des proches, eux aussi migrants. Les semaines passent sans qu’ils ne trouvent de travail. Ils n’ont rien : pas d’électricité, pas de téléphone, pas de moyen de transport… En tant que migrants illégaux, ils sont obligés de se terrer chez eux et craignent les descentes de police. « Nous n’avions pas le droit de sortir, raconte Khin Mae Soe avec un frisson. Ni pour faire les courses, ni pour chercher du travail… Nous vivions dans la peur, reclus. » 

Ils deviennent rapidement un fardeau financier pour leurs proches : « Nous n’étions bienvenus nulle part. Mais nous ne pouvions rien faire, à part espérer. » Avec un enfant en bas âge, la famille cumule les difficultés, puisque les employeurs refusent catégoriquement d’embaucher une jeune mère. Ils commencent à désespérer et envisagent de rentrer en Birmanie. 

Au bout de quatre mois, la chance leur sourit enfin : une place se libère dans la plantation de caoutchouc où travaillent leurs amis. Le propriétaire embauche son mari, puis Khin Mae Soe. La famille vit alors cachée dans les bois pendant quatre ans, à quelques kilomètres seulement des plages paradisiaques qui attirent déjà à cette époque des milliers de touristes. 

En 2002, le gouvernement thaïlandais prend des mesures pour régulariser la situation des migrants dans le pays : signature d’un accord avec la Birmanie, mise en place d’un système de titres de séjour et de travail… Khin Mae Soe et sa famille en bénéficient. Après quatre longues années de calvaire, leur situation est enfin régularisée. Ils commencent à s’en sortir, à mettre un peu d’argent de côté. 

Ce répit ne dure que quelques années. En 2005, le sort s’acharne à nouveau contre eux. Lorsqu’elle revient sur cette période, l’émotion envahit à nouveau Khin Mae Soe ; ses mains se mettent à trembler. Elle se reprend et raconte. 

Tout recommencer

Une journée de mars, après de longues heures de travail, le couple rentre à son domicile. Ils découvrent alors avec horreur que leur maison a été cambriolée, vidée et mise à sac. Les voleurs ont tout pris : bijoux, argent, et surtout les papiers de toute la famille. Tout s’effondre autour d’eux. 

Complètement désemparés, ils rentrent en Birmanie. Ils y passent quatre mois, durant lesquels ils ne trouvent pas de travail et vivent dans une extrême précarité. Ils décident alors de repartir en Thaïlande pour tenter de renouveler leur titre de séjour. Mais pour cela, ils doivent fournir l’ancien document… « Nous ne savions pas quoi faire, nous ne parlions pas thaï et nous ne connaissions pas le fonctionnement de l’administration. Nous étions complètement livrés à nous-mêmes », explique Khin Mae Soe. 

À l’époque, la Fondation pour l’éducation et le développement (FED) vient tout juste d’être relocalisée à Phang Nga, en Thaïlande. « D’autres migrants nous ont dit que les personnes de la FED pourraient nous aider dans les procédures », raconte la jeune femme. Le directeur de la FED, Htoo Chit, prend alors les choses en main : il dépêche un courtier pour aller récupérer leur dossier au bureau de l’immigration et les aide à entreprendre leurs démarches. 

Le couple récupère rapidement ses documents légaux et tout devient plus simple : Khin Mae Soe et son mari retrouvent du travail dans une plantation de caoutchouc, ils se réinstallent dans une maison. Leur vie peut enfin reprendre. 

Le tournant

Cette rencontre avec Htoo Chit et la FED représente un tournant pour Khin Mae Soe. Elle se rend compte qu’elle a des droits, commence à comprendre comment évoluer dans ce milieu. Elle assiste alors à de nombreuses formations : « J’y allais dès que je pouvais. Même les jours où j’étais occupée, j’annulais tout pour pouvoir y aller ! C’est un nouveau monde qui s’ouvrait à moi. J’ai assisté à des formations sur nos droits en tant que travailleur migrant, mais aussi sur les droits de l’Homme, les violences domestiques… Elles m’ont aidée à m’émanciper, à prendre confiance en moi. »

En 2014, la migrante birmane passe un nouveau cap et devient Community Leader, une fonction dont le rôle consiste à diffuser les informations communiquées par la FED lors des formations auprès des communautés. Ses pairs se pressent à sa porte pour glaner des conseils : où aller lorsque l’on tombe malade ? Comment dénoncer les agissements illégaux d’un employeur ? Très rapidement, elle construit une relation de confiance forte avec eux.

Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi pour les aider à faire valoir leurs droits.

Les programmes mis en œuvre par la FED, avec le soutien de l’ONG Terre des hommes France et de l’Agence française de développement (AFD), incluent également des accompagnements spécifiques pour les femmes : lutte pour l’égalité, contre les violences sexuelles, etc. Khin Mae Soe regarde notre interprète d’un air malicieux et lui glisse, dans un grand éclat de rire : « Quand j’ai dit à mon mari que j’allais aller à ces formations, il n’était pas d’accord. Je lui ai dit que je faisais ce que je voulais, que nous étions égaux ! » 

Au fil de son récit, Khin Mae Soe s’est détendue, mais pas seulement. Ses mains ont arrêté de trembler, son regard s’est affirmé. C’est avec assurance qu’elle conclut : « À 55 ans, c’est la loi, je devrai rentrer en Birmanie. Mais cette fois, je ne veux pas faire de petits boulots : je veux m’engager dans une association et aider les gens. » Pour éviter à d’autres les souvenirs douloureux d’une vie difficile.