Trois photographes sud-africains illustrent le parcours de trois entrepreneurs des « townships » du Cap. Un reportage qui montre comment ces habitants de quartiers déshérités ont surmonté les inégalités persistantes dans le pays pour réaliser leurs passions, assurer leur subsistance et apporter un changement positif dans leurs communautés.

Selon un récent rapport de la Banque mondiale, l’Afrique du Sud est le pays le plus inégalitaire au monde. Malgré la réduction significative de la pauvreté depuis l’avènement de la démocratie en 1994, les inégalités restent élevées. Elles se traduisent par des disparités salariales, un accès inégal aux services publics, une ségrégation géographique et une augmentation du chômage des jeunes. Les Sud-Africains noirs – et en particulier les femmes – sont toujours les plus touchés par les inégalités. 

Face à ce phénomène, les habitants des zones historiquement marginalisées des townships ont trouvé leurs propres solutions face à l'absence de services de base, d'opportunités d'emplois ou d'espaces de loisirs. Ces dernières années, les entrepreneurs sociaux ont notamment créé des entreprises de technologie financière, des organisations touristiques, des activités extrascolaires pour les enfants et des écoles d'art et de musique. 

L'AFD s'est associée à Igalelo, une organisation dédiée au développement d'opportunités économiques en faveur des communautés sud-africaines désavantagées. Igalelo gère un programme d'incubation de douze mois proposant aux éventuels entrepreneurs en herbe une formation commerciale et un développement de leurs compétences. L'objectif final est qu'ils transforment leurs idées en entreprises durables qui auront un impact social et environnemental de long terme dans leur communauté. 

« Bon nombre de nos entrepreneurs décident de créer leur propre entreprise par nécessité plutôt que par choix, et ne disposent donc pas nécessairement de la bonne combinaison de compétences pour que cela fonctionne. Par le biais de notre programme, nous dotons les entrepreneurs des compétences nécessaires pour développer, commercialiser et vendre leurs produits. »
 
Mathieu Planchard, directeur d'Igalelo
 
Afrique du Sud, township
Afrique du Sud, inégalités, Andiswa Mkosi
Avec Bulelani, les lecteurs d'aujourd'hui en leaders de demain
Les townships de Philippi et Nyanga, au sud-est du Cap, comptent une population totale de 270 000 habitants vivant dans des habitations informelles construites en bois, en carton et en tôle, mais également dans des maisons plus formelles en dur. Malgré l'absence d'accès aux services de base tels que l'eau et l'assainissement, ces townships s'associent à des entrepreneurs sociaux qui s'efforcent d’améliorer le quotidien de leur communauté.

Bulelani Futshane, âgé de 33 ans, est l'un de ces artisans du changement. Ayant grandi à Philippi, il connaît très bien les problèmes auxquels les individus de sa communauté, et en particulier les jeunes, sont confrontés au quotidien. En 2012, il a fondé Township Roots pour lutter contre la déscolarisation, former des chefs communautaires qui font preuve de résilience et augmenter les chances de succès des jeunes étudiants qui fréquentent des écoles dotées de faibles ressources à Philippi et Nyanga.

« Je me considère comme un mobilisateur communautaire, un instigateur du changement. L'éducation peut contribuer à élever la communauté, comme cela a été le cas pour moi, se souvient Bulelani. Enfant, les contes étaient la seule forme d'éducation qui existait pour inspirer mon imagination. »

Tous les samedis, Bulelani dirige un atelier d'alphabétisation dans une école à Philippi. Sa méthode d'enseignement est très pratique et fait appel au chant, à la danse, au théâtre ; autant d’activités que les enfants adorent. Siphumeze Genu, 13 ans, confirme : « J'attends le samedi matin avec impatience car je sais que la classe de Township Roots sera amusante. J'ai gagné en confiance grâce à l'aide de mon mentor Bulelani ! »

Bien qu'il soit devenu père à un jeune âge, Bulelani a toujours fait en sorte d'être présent dans la vie de ses filles de 9 et 7 ans : « Savoir que dans ce pays, la plupart des pères sont absents de la vie de leurs enfants me donne une bonne raison de vouloir être là pour mes filles. Je ne manque jamais rien, je suis toutes leurs activités, je vais les chercher à l'école et je passe toujours du temps à leur parler le soir. »

L'accompagnement qu'Igalelo lui a fourni lui a permis d'acquérir les compétences nécessaires pour développer son entreprise. « Igalelo nous a aidés dans les domaines pas très romanesques de la création d'entreprise, comme la comptabilité et le marketing. Igalelo porte les jeunes entrepreneurs sociaux au niveau supérieur pour que leurs entreprises soient durables », affirme Bulelani, avant de conclure : « Je ne suis pas ici pour vendre de la pauvreté. Je suis ici pour montrer la résilience de mon peuple. Je n'ai pas honte de montrer que mon peuple est capable de survivre à la pauvreté, et non seulement de survivre mais aussi de s'épanouir. »
Afrique du Sud, inégalités, Sibusiso Nyamakazi
Sibusiso et le pouvoir fédérateur de la musique
À 27 ans, Sibusiso Nyamakazi est écrivain, musicien, militant et homme d'affaires impliqué dans plusieurs projets visant à améliorer le cadre de vie de la communauté de Philippi, un township de 200 000 personnes au sud-est du Cap. La mission de sa vie est d'y réduire les inégalités grâce au pouvoir fédérateur de la musique.

En 2015, Sibusiso a fondé le Philippi Music Project pour fournir aux musiciens en devenir un studio d'enregistrement à des prix abordables. Il les accompagne également et les présente aux acteurs de l'industrie de la musique par le biais d'ateliers, d'accès à des concerts en direct, de services maison d'ingénierie du son et de masterclasses gratuites.

Sibusiso sert de « lien ». Il estime que la musique a le pouvoir unique d'attirer, de développer et de renforcer la créativité au sein des communautés locales. Pour le jeune homme, elle peut être utilisée pour mettre les individus en relation, exploiter les talents et développer la créativité des jeunes vivant dans les townships.

« Les gens viennent dans les townships en pensant tout savoir de nous. Ils proposent des bourses d'étude en ingénierie, en médecine et en informatique. Ils disent que nous avons besoin des compétences prisées sur le marché, que nous avons besoin d'atouts pour nous développer. Mais bon nombre d'entre nous veulent faire des choses créatives comme de la musique. Ils ne s'intéressent pas assez à ce que nous sommes et trop à ce que nous devons devenir pour être un pays développé », analyse Sibusiso.

En tant que passeur, Sibusiso est toujours en mouvement. Les appels, les messages et les e-mails qu'il reçoit le tiennent toujours en alerte. Grâce au programme de formation commerciale et de développement des compétences d'Igalelo, Sibusiso a pu élargir son réseau au-delà de l'Afrique du Sud, jusqu'en Europe. Igalelo met ainsi les bénéficiaires de son programme en relation avec son réseau de partenaires locaux et internationaux, leur permettant d'accéder à de nouveaux marchés ou d'augmenter leurs parts sur les marchés existants.

Sibusiso a des projets ambitieux pour son entreprise. « Dans les prochaines années, je voudrais développer mon entreprise à l'étranger, combler le fossé qui existe entre nous et le monde grâce à la musique, s’enthousiasme-t-il. Je prévois de me rendre dans autant d'endroits que possible, et d'inciter les gens à réfléchir aux impacts que des projets comme le Philippi Music Project peuvent produire. »
Afrique du Sud, inégalités, Renshia Manuel
Renshia et ses « légumes cultivés en boîtes »
Renshia Manuel est une mère célibataire de quatre enfants qui vit à Hanover Park, un township de 34 000 habitants au sud-est du Cap. En 2016, elle a eu l'idée de faire pousser des légumes dans des boîtes de culture, après une période de chômage de deux ans au cours de laquelle elle a eu du mal à subvenir aux besoins de sa famille.

La chance lui a souri quand elle a remporté le premier prix d'un concours local grâce à son idée de « légumes cultivés dans des boîtes ». L'argent du prix lui a permis de lancer son entreprise, baptisée GrowBox.

GrowBox vise à fournir des aliments nutritifs de base à ceux qui en ont le plus besoin, tout en favorisant le développement de pratiques durables et respectueuses de l'environnement. Hanover Park étant une suite d'allées de maisons mitoyennes sans espaces verts, GrowBox est la solution idéale qui permet à quiconque de cultiver des légumes dans de petits espaces confinés.

Renshia a également bénéficié du programme d'incubation de douze mois d'Igalelo, grâce auquel elle a transformé GrowBox en une entreprise durable : « Igalelo m'a aidé à traduire l'idée GrowBox en entreprise. Ils m'ont appris à réaliser moi-même les tâches administratives et comptables, et à présenter mon activité aux clients et financeurs potentiels. Ils m’ont invitée à des événements de mise en réseau et m’ont présentée à beaucoup de gens. »

Alors que son activité se développait, Renshia a dû faire face à l'insécurité quotidienne associée à la vie dans un township, rongé par la violence et la criminalité des gangs. Elle tient néanmoins à remettre en question le stéréotype omniprésent selon lequel les townships sud-africaines sont des lieux invivables et ravagés par la criminalité. Son entreprise en est la preuve : « Je veux montrer aux gens que Hanover Park ne se résume pas à la violence des gangs dont tout le monde entend parler. Il y a des gens bien et des initiatives positives qui émanent de ce lieu. Si nous nous inspirons et que nous nous responsabilisons mutuellement, beaucoup de choses positives peuvent en découler, et les gens verront alors autre chose que la violence et les gangs. »

Fière de son parcours, Renshia estime qu'avec beaucoup de détermination et de travail, les gens comme elle peuvent surmonter les inégalités existantes. « Quand j'ai créé mon entreprise, les gens me conseillaient sans cesse de trouver un emploi, explique l’entrepreneuse. Je n'ai que le diplôme du lycée, j'allais donc commencer au bas de l'échelle et gagner le salaire minimum. Mais ce n'est pas ce que je voulais faire. Je savais qu'à force de travail et de dévouement, j'atteindrais mes objectifs, j'étais donc prête à fournir l'effort nécessaire. Je veux que mes enfants voient les efforts que je fournis dans mon travail, pour qu'ils fournissent les mêmes efforts dans tout ce qu'ils font. »
Afrique du Sud, inégalités
Moins d'inégalités, plus de cohésion sociale

La population sud-africaine se définit encore nettement selon des critères ethniques et socio-économiques. Ces défis exacerbent les problèmes sociaux existants et pourraient à long terme affecter le développement économique et la démocratie dans le pays. 

En 2015, l'AFD s'est associée à l'Initiative Pauvreté et Inégalité de l'université du Cap (UCT - PII) et à l'Institut pour la Justice et la Réconciliation (IJR) en vue de produire une étude examinant la relation entre cohésion sociale et inégalités économiques en Afrique du Sud, ainsi que les changements institutionnels nécessaires pour favoriser la cohésion sociale et réduire les inégalités. 

L'étude conclut que plus les niveaux de revenus et d'emplois sont élevés, plus la cohésion sociale est forte. À l'inverse, la pauvreté, le chômage et les mauvaises prestations de services sont associés à une cohésion sociale moindre. Autre enseignement de l’étude : les niveaux élevés d'inégalités et la perception qu'aucune amélioration n’a eu lieu en la matière depuis l'émergence de la démocratie en 1994 sont les principaux obstacles à la cohésion sociale en Afrique du Sud. 

Les prochaines étapes de cet ambitieux projet de recherche collaboratif consistent en l'élaboration d'un indice de cohésion sociale. Celui-ci sera utilisé pour formuler les politiques d’amélioration de cohésion sociale et assurer un développement inclusif. En partenariat avec StatsSA, l'Indice de cohésion sociale de l'Afrique du Sud devrait être lancé en mars 2019. 

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