150
familles bénéficient d’un appui matériel et technique
16
nouvelles serres construites en 2017
4, 17 M€
Montant global du projet
Dans la communauté amérindienne de Caluyo, en Bolivie, l'installation d'une serre permet à l'agriculture locale de s’adapter aux effets déjà perceptibles du changement climatique. La serre sécurise et diversifie l’alimentation des habitants, améliore leur autonomie et créée une activité économique d'avenir. Une petite révolution dans ce village de l'Altiplano, l'une des régions habitées les plus hautes au monde.

50 kilomètres de La Paz. Après une demi-heure de piste dans un paysage désertique apparaissent quelques maisons en adobe, à base d’argile. Une colonne de porcelets traverse la route en terre et quelques vaches paissent ici et là. C'est le village de Calamarca. 

Une serre, d'une dizaine de mètres de long, tranche dans ce paysage désolé. Voilà trois ans qu'elle a été installée, avec le soutien du groupe AFD, du Secours catholique et de l’ONG locale CIPCA. Elle permet de nourrir quinze familles, réunies au sein d’une association de producteurs. Oignons, persil, carottes, l'intérieur de la serre contraste avec l'environnement sec et désertique de l'Altiplano. À côté de jeunes pousses de blettes, de belles salades fraîches sont parfaitement alignées sous la bâche. 

Ici, les habitants ont toujours cultivé des pommes de terre, la base de leur alimentation. Faire pousser d'autres légumes est un travail beaucoup plus exigeant. À 4 000 mètres d'altitude, les sols sont peu fertiles et le climat rugueux. 
 

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Une nouvelle vie pour la famille de Sofia
D’autres professionnels viennent sensibiliser la communauté à des thèmes spécifiques. Sofia, la fille de Maria Laura Mamani, raconte, tout sourire : « Une nutritionniste est venue et elle nous a notamment expliqué que la laitue, ce n'est quasiment que de l'eau. Alors elle nous a conseillé de varier notre alimentation, surtout pour que nos enfants grandissent bien ! »

Avec deux enfants de 4 et 6 ans, l’alimentation est une des préoccupations majeures de la jeune femme. Juana confirme que ses enfants sont désormais nourris de façon plus équilibrée : « L’impact est difficile à mesurer pour le moment, c’est trop tôt. Mais je remarque que les repas sont plus variés ».

Avec son large sourire qui illumine un visage encadré par deux tresses, Sofia ajoute que la serre rend la vie beaucoup plus facile : « Avant, nous nous tuions à la tâche, c’était vraiment dur comme travail. Il faut supporter le vent, creuser la terre qui est dure comme du bois. La serre nous facilite la vie. » La mère de famille de 31 ans, en plus de travailler dans la serre de Caluyo et de s’occuper de ses enfants, se rend parfois dans la communauté où est né son mari, pour aider sa belle-mère aux travaux des champs. Cette serre est donc une bénédiction dans son emploi du temps chargé.
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Maria ne s’inquiète plus des aléas
La situation des paysans de Caluyo a empiré ces dernières années, comme l'explique Maria Laura Mamani, membre de la communauté et l'une des associées de la serre : « Aujourd'hui, on ne sait plus quand il va pleuvoir ou quand il va faire soleil. Il se met à pleuvoir même en dehors de la saison des pluies, et il y a de très fortes gelées, ce qui n'arrivait pas avant. Il suffit d'une seule gelée pour que tous les légumes que l'on cultive à l'extérieur soient bons à jeter. »

À 50 ans, Maria est une femme « de pollera » comme on dit ici ; elle porte l’habit traditionnel aux multiples jupons colorés et le fameux chapeau melon. Elle n’a jamais quitté le village, parle l’aymara et a toujours travaillé la terre – avec les mêmes méthodes que ses ancêtres. Alors quand le changement climatique a frappé sa communauté de plein fouet, il a fallu s’adapter, ou partir. « Mes cinq enfants sont tous adultes maintenant, et quatre d’entre eux sont partis, car la vie est trop difficile ici », raconte-t-elle.

Les jeunes gens préfèrent souvent aller vivre une vie plus « moderne », notamment dans la ville tentaculaire de El Alto, à une quarantaine de kilomètres. Mais avec la serre le quotidien est désormais très différent, et Maria prend vraiment du plaisir à travailler : « Dans la serre, on peut planter de tout et toute l'année. C'est vraiment une chance. Nous n’avons plus de problème avec les intempéries, vous imaginez ? »
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Juana, pour l’émancipation des femmes
L'association bolivienne CIPCA, a profité de l'installation de cette serre pour promouvoir les bienfaits de la rotation des cultures. L'intervention de l'organisation ne se limite pas seulement à la mise en place d'équipements. CIPCA, très reconnue en Bolivie pour ses projets sérieux et pérennes, travaille essentiellement à la formation agricole durable et à l’émancipation paysanne.

Les associés de la serre profitent donc régulièrement des ateliers de l'une des membres de CIPCA, Juana Quispe. En plus de leur apporter une aide technique, la jeune femme vient les informer sur les lois existantes, sur les possibilités de demandes de financement aux différents ministères, ou encore les sensibiliser à leurs droits et à l’émancipation féminine. Juana explique d’ailleurs que si le projet a été implanté à Caluyo, ce n’est pas un hasard : « Ici les membres de la communauté avaient vraiment envie de travailler ensemble. Ils formaient déjà une petite association, et le plus important : il y avait majoritairement des femmes. Et ça pour nous, c’est essentiel, un tel projet les aide vraiment à s’émanciper. »

Juana passe quatre jours par semaine sur le terrain, avec les associés des différents projets. « J’ai trois avantages », explique-t-elle : « Je parle l’aymara, je viens de la campagne et je suis une femme ». Beaucoup d’habitants de l’Altiplano ne parlant pas bien l’espagnol, il est donc beaucoup plus facile pour Juana, qui parle la langue native, de comprendre les communautés et de les guider. Et quand elle rentre chez elle le week-end, cette célibataire de 37 ans aide sa famille qui élève du bétail et cultive des pommes de terre. La vie âpre de l’Altiplano, elle connaît.
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Agriculture durable, eau préservée

CIPCA a pour objectif d'implanter un modèle d'agriculture durable. Énergie, eau, intrants... Les implications sont multiples. Ici, un panneau solaire a aussi été installé. Celui-ci alimente désormais une pompe permettant d'aller puiser de l’eau ; eau qui servira à l'arrosage de la serre. L’Altiplano étant une zone aride, préserver la ressource hydrique est un enjeu capital. Or, l’arrosage installé grâce à ce panneau solaire est très économique. Grâce au goutte à goutte installé dans les sillons, « nous utilisons le réservoir de 300 litres en trois jours environ. Les plantes ont juste l’eau dont elles ont besoin », précise Maria.

De La Paz à la terre
Grâce à la serre, les habitants de Caluyo reviennent à la terre, gagnent en autonomie et se nourrissent mieux. Prochaine étape : le développement d’une activité économique durable et respectueuse de l’environnement.

La serre de la communauté de Caluyo est devenue un véritable cœur d'activité autour duquel s'organise la vie des quinze familles. Il faut mettre la pompe en marche, assurer l’entretien du panneau solaire, désherber, ramasser et diviser les légumes, sarcler, replanter. William a 27 ans et s'il est allé en ville faire des études, aujourd'hui il voit l'avenir ici, à Caluyo : « Je suis allé à La Paz quelques temps. Mais là-bas il y a beaucoup de bruit, beaucoup d'agitation. Je préfère être ici et maintenant qu'il y a la serre il y a de quoi faire, il y a du travail et ça me plait. » 

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© Aizar Raldes pour AFD

 

La Paz, il y a passé quelques mois, pour des études d’agronomie. Travaillant en parallèle dans la construction, il a très vite su que cette vie urbaine n’était pas faite pour lui. Aujourd’hui de retour, marié à Sofia, William est l’un des moteurs de la communauté. Il s’est formé dans la construction d’infrastructures productives, mais également dans la production potagère et la santé animale – grâce à CIPCA. 

Il cherche désormais à valoriser au maximum les produits issus de la serre : « Ce que nous produisons c’est pour notre consommation. Nous n’avons plus besoin d’acheter de légumes. Et maintenant nous avons amélioré nos rendements, alors, quand nous avons trop de légumes nous les vendons au marché. On gagne peu pour le moment, mais c’est un début ! » Une fois par semaine il se rend avec d’autres associés de la serre au marché de Villa Remedios. Là-bas, ils vendent leur surplus. Avec environ 100 bolivianos de gains par semaine, pas de quoi faire fortune pour le moment. Mais peu à peu, un véritable processus commercial se met en place. 

Et les quinze familles de rêver à une production encore plus importante qui serait vendue jusqu'à La Paz « car nous venons d’obtenir le label bio », précise Juana Quispe, de CIPCA : « Nos légumes sont organiques, et c’est un véritable atout. Maintenant il faut étendre la surface de production, mais pour ça je fais confiance aux membres de la communauté, ils sont tous très investis. » 
 

Une serre qui fait des petits

Le système d'agriculture vivrière et durable développé par la communauté de Caluyo fonctionne si bien qu'il donne des idées aux communautés alentour. Cette année, autour de Caluyo, pas moins de seize serres identiques sont sorties de terre. Chacune nourrit plusieurs dizaines de famille... Au total, le projet doit concerner les familles paysannes amérindiennes de 30 communes de Bolivie, avec l’objectif de voir ces bonnes pratiques se diffuser aux autres familles des territoires visés.