Kinshasa, une des trois plus grandes villes du continent africain. Accéder à l’eau potable dans la capitale de la République démocratique du Congo est une gageure pour les habitants des quartiers périphériques de ce monstre urbain au nombre d’habitants incertain. Les Kinois des zones peu ou pas encore urbanisées ne disposent souvent d’aucun réseau de distribution d’eau. Ils s’approvisionnent en eau de sources ou de ruisseaux qui coulent dans les dépressions d’un paysage mouvant et décousu.
L’AFD appuie depuis 2006 l’adduction d’eau dans ces nouveaux quartiers qui ne sont pas desservis par la régie des eaux. Un système de gestion décentralisée a été mis en place par l’ONG locale ADIR ; celui-ci repose sur une participation communautaire structurée autour d’associations d’usagers, les ASUREP. Une seconde phase de déploiement a débuté en 2016 pour quatre ans, intitulée PILAEP 2. L’objectif principal est de raccorder 400 000 habitants de 26 quartiers à des réseaux d’eau et répondre ainsi à un besoin essentiel : une eau potable de qualité et accessible.
Le projet de recherche d’évaluation scientifique mené par l’AFD a pour ambition d’évaluer scientifiquement ces infrastructures d’eau, leurs impacts sanitaires (maladies diarrhéiques, stress) et socioéconomiques (corvée d’eau des femmes, scolarisation des enfants, gouvernance locale, etc.). Dans un contexte d’État fragilisé par les conflits et une administration défaillante, où très peu d’études de cette envergure ont été réalisées, son pilotage nécessite un solide engagement de la part de tous les partenaires.
[Actualisation] Les réalisations à jour en 2021
En 2021, les mises en eau se poursuivent dans les quartiers précaires périphériques de Kinshasa. Ce sont 26 000 habitants supplémentaires qui ont désormais accès à une eau potable depuis ce 20 mars dans les deux quartiers Mujinga et Ngomba, dans le cadre du projet PILAEP 2. Ces deux mini réseaux autonomes gérés sous modes communautaires par des associations d’usagers d’eau potables génèrent près de 40 emplois salariés et formels. Avec les projets PILAEP 1 achevé et PILAEP 2 en cours, ce seront plus de un million d’habitants des quartiers périphériques est et sud de Kinshasa qui auront pu avoir accès à l’eau et plus de 1200 emplois directs créés.
Le projet PILAEP 1 et les ASUREP :
Pour les partenaires de développement que nous sommes, il est toujours nécessaire de mesurer l’impact de ce que nous faisons. Impacts qui peuvent être positifs, on l’espère, ou défavorables.
Proposer un état des lieux avant la mise en eau des quartiers PILAEP 2, voilà l’objectif de ces deux mois d’enquête, de fin mars à mai 2018. Une équipe de 60 enquêteurs congolais interroge 18 000 habitants, répartis dans 3 000 foyers et dix zones d’enquête. Recruter les enquêteurs, dénombrer les ménages, interviewer et collecter les données figurent parmi les étapes prises en charge par l’INS.
À terme, les équipes cherchent à comprendre si le fait de réduire la distance au point d’eau – et donc le temps consacré à la corvée d’eau – permet notamment une hausse de la scolarisation des jeunes filles, davantage d’activités rémunératrices et d’autonomie pour les femmes, une diminution des actes violents dont elles sont victimes et du stress qu’elles vivent au quotidien. Enfin, l’amélioration de la santé des habitants, en particulier des enfants, est également évaluée. Un autre axe consiste à interroger la qualité de la gouvernance mise en place à travers les associations d’usagers (ASUREP).
Le travail d’enquête est un art. Il s’agit d’être accepté, de mettre les personnes en confiance pour répondre aux questions et que ces réponses donnent matière à analyse. « Quand on se présente pour la première fois, raconte Jérôme Anyasi, enquêteur, les gens ne savent pas ce que tu es venu faire chez eux. Si tu n’arrives pas à bien introduire l’objet de l’étude, ils peuvent refuser. Une fois qu’ils ont accepté, si vous causez un peu trop longtemps, il se peut que les gens se fatiguent et qu’ils décident de faire autre chose. »
Certains sujets sont également sensibles, ajoute l’enquêteur : « Les gens n’ont pas nécessairement envie de livrer certaines informations, comme la valeur de leurs biens. » De même que celles liées à la gouvernance, la corruption ou la violence au sein du quartier. Dans le contexte politique actuel qui se dégrade, les personnes interrogées peuvent également avoir peur de se faire arrêter. Un pilote de trois jours a permis d’examiner la formulation des questions pour ajuster le questionnaire. Après une dernière adaptation des outils de collecte et une réunion de lancement avec les équipes, l’enquête a pu être lancée.
Par cette évaluation, l’AFD cherche à combler un déficit de connaissances sur l'efficacité des investissements pérennes dans les réseaux d'eau potable sur la santé publique, le développement économique et le lien social. En matière de choléra, la communauté internationale privilégie généralement des approches sur le court terme au travers d’interventions légères (distribution de pastilles de chlore, de kits de filtration) et des dispositifs d’urgence (campagnes de vaccination).
Cette évaluation d’impact, couplée à une autre menée à Uvira dans le Sud-Kivu (RDC), doit permettre de contribuer à alimenter le débat international sur la répartition entre les investissements sur le court et le long terme, et l’importance à accorder à la qualité des services d’eau et d’assainissement dans le cadre des Objectifs de développement durable. Car comme le souligne Martin Leménager, responsable de l’équipe projet PILAEP, « avoir un réseau d’eau dans son quartier, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Encore faut-il que le service ne subisse pas des coupures intempestives et que l’eau ne contienne pas de bactéries ! »