Claire Zanuso, chargée d’évaluation à l’AFD, et Julien Ancelin, administrateur en systèmes d’information géographique à l’Institut national de recherche agronomique (INRA) évoquent GeoPoppy, un outil numérique mobile de cartographie, qui permet de renforcer le suivi et l’évaluabilité d’un projet. Regard croisé.
Concrètement, que signifie suivre un projet biodiversité ?
Claire Zanuso : La question de l’outil de suivi ne peut venir qu’après un long travail itératif avec l’ensemble des parties prenantes du projet pour clarifier la logique d’intervention, définir des indicateurs de suivi des réalisations, des résultats et idéalement des impacts. Prenons l’exemple du projet REDD+ de la Mé en Côte d’Ivoire (voir l'encadré ci-dessous) : sur la base de ce travail préalable et parmi l’ensemble des indicateurs définis dans le protocole de suivi, nous savions qu’il était nécessaire de délimiter les parcelles d’observation, d’en connaître la surface, le type de parcelle (agricole ou forestière), le type de culture (cacao, café, hévéa, etc.) et les activités d’accompagnement dont elles ont bénéficié.
Julien Ancelin : Après cette première étape, il est indispensable de concevoir un modèle logique de données, c’est-à-dire de transformer les informations que l’on souhaite recueillir en langage informatique, ce qui signifie modéliser l’architecture des données et les relations qu’elles ont entre elles. Ces étapes indispensables nécessitent des compétences spécifiques. Le numérique n’est pas une baguette magique !
L’objectif du projet REDD+ de La Mé est de développer une agriculture zéro déforestation qui permette aux planteurs de gagner leur vie sans défricher et de percevoir des revenus équilibrés entre agriculture et exploitation de la forêt. D’ici fin 2019, les équipes de l’ONG Nitidæ prévoient d’accompagner 2 250 planteurs sur 5 000 hectares. Le projet s’appuie sur l’utilisation de GeoPoppy pour suivre précisément l’évolution des surfaces cultivées et boisées.
Grâce à cette solution, les opérateurs de Nitidæ collectent un nombre plus important de données. À ce jour, plus de 330 bénéficiaires, soit 635 hectares ont été rigoureusement géoréférencés. Le rythme d’acquisition est de 5 parcelles par jour en moyenne, grâce à une simple tablette et un mini-serveur (Raspberry Pi), sans connexion Internet requise.
Quelle est la valeur ajoutée du numérique face au papier et au crayon ?
JA : Pour continuer sur l’exemple de la Côte d’Ivoire, aujourd’hui l’outil numérique permet au collecteur de tracer le contour de la parcelle sur la carte en relevant un certain nombre de points sur place et en s’aidant éventuellement d’images satellites. Les informations essentielles comme le type de culture sont ajoutées directement lors de l’observation sur le terrain. La superficie est alors automatiquement calculée. Les autres informations nécessaires pour renseigner les indicateurs de suivi-évaluation du projet sont également ajoutées.
CZ : Le travail des opérateurs est grandement facilité par ces outils numériques puisqu’auparavant, il fallait se rendre sur le terrain avec une ou plusieurs fiches papier de relevé d’informations, un appareil photo et un GPS ; et une fois de retour au bureau, il fallait saisir dans une base de données informatique les données collectées et les agréger. Désormais, les agents de terrain s’épargnent ce double travail et réduisent ainsi de nombreuses erreurs ou approximations lors de la retranscription des données collectées sur papier.
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Quelle est la valeur ajoutée des logiciels libres face aux logiciels propriétaires ?
JA : L’enjeu des outils open-source comprenant des logiciels libres est d’avoir la possibilité de s’adapter au contexte et aux besoins des utilisateurs, contrairement à une solution propriétaire qui impose un formatage. Ainsi, l’utilisation de carnets de terrain électroniques qui permettent d’embarquer les bases de données et des interfaces personnalisables sur le terrain prend tout son sens.
La fabrication de ces outils est collaborative, elle est totalement transparente dans le code et la documentation, ce qui garantit leur reproductibilité et permet que toute amélioration par la communauté soit partagée.
CZ : Véritable solution open-source conçue pour la collecte de données spatialisées, GeoPoppy fait partie d’une nouvelle génération d’outils numériques peu coûteux, à base de logiciels libres, au service du suivi-évaluation de projets. Nous sommes également en contact avec les porteurs d’un projet forestier au Bénin intéressés par l'adaptation de cet outil à leurs besoins.
GeoPoppy est une solution innovante de collecte des données développée avec des logiciels libres. Développé initialement par Julien Ancelin de l’INRA pour suivre les champs de coquelicots en France, GeoPoppy est un outil numérique mobile de cartographie, qui permet de renforcer le suivi et l’évaluabilité d’un projet. Il s’agit d’un système d’information géographique sur tablette numérique, facile à utiliser et peu onéreux. Une fois le matériel acquis, l’utilisation de l’outil GeoPoppy est gratuite, sans limites d’enregistrement ou de nombre d’utilisateurs.
Testé avec l’aide de CartONG sur un projet REDD+ de gestion durable de forêt en Côte d’Ivoire avec l’ONG locale Nitidæ, il permet de suivre précisément l’évolution des surfaces cultivées et boisées. L’adaptation de GeoPoppy pour ce projet pilote a été appuyée par les équipes en charge de l’évaluation à l’AFD.
Les premiers résultats ont été partagés lors de la conférence GeONG, une étape de plus dans une stratégie de soutien à la communauté de l’open-data. Dans la mesure où il s’agit de logiciels libres et gratuits (PostgreSQL, QGIS et LiZMap), GeoPoppy peut également être utilisé par d’autres acteurs (ONG, collectivités locales, entreprises, etc.).
La mise en oeuvre est-elle plus complexe ?
JA : Non, bien au contraire. Sans système de centralisation, l’utilisateur doit récupérer l’ensemble des fichiers de données, les rendre compatibles et les compiler à chaque modification. Ce travail fastidieux implique également une gestion rigoureuse des versions. A contrario, un outil numérique adapté permet aux collecteurs, quelle que soit leur localisation, de centraliser des données harmonisées vers une base de données centrale.
CZ : Les protocoles de suivi nécessitent de disposer de séries de données sur plusieurs années, ces outils numériques facilitent la reproductibilité de la collecte et une meilleure comparabilité des données à long terme. Par ailleurs, au delà d’un meilleur archivage, c’est l’ensemble des procédures de production de la donnée qui sont documentées, permettant une plus grande traçabilité.
Quelle est l’accessibilité des données collectées ?
CZ : La centralisation de la donnée permet aussi d’ouvrir des portails cartographiques accessibles aux analystes comme au grand public. Par exemple, en Côte d’Ivoire un site Internet ouvert permet de montrer pas à pas l’avancement du projet REDD+. Très utile dans une démarche de transparence et de redevabilité, notamment vis-à-vis des États français et ivoirien, du ministère de l’Environnement ou encore de l’AFD,
qui finance ce projet.
JA : Au delà de la simple visualisation des résultats, les outils numériques compatibles avec les normes internationales permettent de rendre les données collectées accessibles à distance et utilisables par les analystes, via tout type d’application. Produire des données réutilisables par la communauté scientifique, voire par le grand public, est bien le premier enjeu de l’open-science. On parle aujourd’hui de
données FAIR : faciles à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables. La qualité des données est donc un prérequis indispensable, dont la mise en oeuvre doit être pensée dès la collecte.