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Paul Leadley (IPBES) : « La biodiversité devrait être un aussi grand enjeu que le climat »
La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité) se réunit à Paris à partir du lundi 29 avril pour finaliser son rapport d'évaluation planétaire.
Paul Leadley, qui travaille à l'université Paris-Sud sur les conséquences du changement climatique sur les plantes, est l’un des principaux auteurs de ce rapport. Il nous en dévoile les contours en avant-première.
Quelle est la mission de l’IPBES ?

Paul Leadley : L’IPBES est la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques – les services rendus à l’homme par les écosystèmes. Elle fournit aux gouvernements une expertise indépendante sur la biodiversité à l’échelle mondiale, sur laquelle ceux-ci pourront baser leurs décisions, comme le fait le GIEC pour le climat [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat].

Elle a été créée en 2012 pour combler le manque d’interaction entre scientifiques et décideurs politiques sur la question de la biodiversité, et compte aujourd’hui plus de 130 États membres.

Paul Leadley
Paul Leadley © IISD

L’IPBES finalise en ce moment un important rapport d’évaluation sur la biodiversité planétaire. De quoi s’agit-il ?

Nous avons déjà évalué la biodiversité continent par continent et réalisé des rapports sur la dégradation et la restauration des terres ainsi que sur les pollinisateurs. Il s’agit cette fois d’un état des lieux mondial de la biodiversité. Il porte sur la modification de cette biodiversité, ainsi que des services qu’elle nous rend, depuis le milieu du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, avec des projections jusqu’en 2050. Nous avons aussi cherché à comprendre les causes des déclins observés, et à livrer un panel de solutions.

L’étude a mobilisé plus de 150 spécialistes mondiaux de la discipline durant trois ans. L’objectif était de produire une expertise facilement accessible aux décideurs. Et celle-ci a une importance particulière : elle servira de base aux décisions qui seront prises lors du sommet de la Convention sur la diversité biologique qui se tiendra en Chine en 2020. 

Quel est le constat global qui est fait ?

Les études le disent depuis des années et notre évaluation le confirme : il y a une diminution très forte de la taille des populations étudiées. Pour le dire autrement, de nombreuses espèces connaissent un déclin rapide.

Dans son dernier rapport Planète vivante, le WWF parlait d’une baisse globale de 60 % de la taille des populations suivies. Une étude du CNRS et du Muséum national d’histoire naturelle a fait état en 2018 d’une disparition d’un tiers des oiseaux des campagnes françaises en quinze ans. Une autre étude a révélé une diminution de l’ordre de 80 % de la biomasse des insectes en Allemagne en trente ans.

L’agriculture est l’une des principales causes de cette perte de biodiversité par la destruction d’habitats qu’elle entraîne. On a toujours un gros problème de déforestation en Amérique du Sud – bien que celle-ci ait connu un ralentissement très important ces dernières années – et dans des pays comme l’Indonésie où les cultures d’huile de palme grignotent les forêts tropicales. Les inquiétudes sont fortes concernant Madagascar, où de nombreuses espèces endémiques [qu’on ne trouve nulle part ailleurs] sont impactées par la pollution et les changements d’utilisation des terres.

Le débat est vif sur l’interdiction du glyphosate… Dans quelle mesure les pesticides affectent-ils la biodiversité ?

La part des pesticides dans la perte de biodiversité est assez controversée. Les néonicotinoïdes, des nouveaux pesticides toxiques pour les insectes, sont mis en cause dans le déclin assez important des pollinisateurs en Europe et en Amérique du Nord.

Mais ce que l’IPBES constate dans son évaluation est que les causes sont multiples. Le déclin des abeilles est dû à la fois à l’arrivée de maladies venant d’autres régions, à l’introduction d’espèces invasives, aux pesticides ainsi qu’au manque de fleurs à butiner. L’agriculture et les autres activités humaines ont d’ailleurs un très fort impact sur la disponibilité de fleurs.

Il est très difficile aujourd’hui d’affirmer que les pesticides sont la cause principale de la chute de certaines populations. 

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Le changement climatique a-t-il déjà des impacts ?

Oui, on l’observe surtout sur la modification des aires de répartition de la biodiversité. Beaucoup d’espèces sont en train de migrer, d’étendre leur territoire ou d’en perdre. À l’image de la chenille processionnaire : il y a trente ans, la limite nord de son territoire se trouvait au niveau de la Loire, et on la retrouve aujourd’hui en Île-de-France, parce que les hivers plus doux permettent aux larves de survivre toujours plus au nord.

L’inquiétude porte sur la perte de territoires devenus trop chauds pour certaines espèces. Mon unité étudie par exemple plusieurs espèces de plantes rares dans le parc naturel régional de la Brenne (Indre). Nous observons que le changement climatique risque de les faire disparaître rapidement de la région.

Qu’en est-il des services que nous rendent les écosystèmes ? Dans quelle mesure sont-ils touchés ?

Il faut distinguer différents types de service : ceux liés à l’approvisionnement (en nourriture, en bois…), au fonctionnement des écosystèmes (stockage de carbone, traitement de l’eau…) ou à tout ce qui touche à la culture (beauté, bien-être…).

Ce que nous constatons toutefois, c’est qu’en de nombreux endroits l’augmentation des prélèvements des ressources se fait au détriment des services de stockage de carbone, de qualité de l’eau ou du bien-être.

De quoi les experts et les gouvernements vont-ils discuter à Paris à partir du 29 avril ?

Notre travail va être surtout de produire un résumé pour les décideurs. Ce résumé qui souligne les principaux messages, résultats et options, sera présenté au public au siège de l’UNESCO, à Paris, ce lundi 6 mai.

C’est un document qui est négocié entre les scientifiques et les représentants des gouvernements. Le mécanisme est le même que le GIEC : les pays peuvent apporter des commentaires sur le document et, si les scientifiques n’y voient pas d’inconvénients, certains passages sont alors modifiés. On espère que ce document sera adopté par les gouvernements, car chacun doit ensuite s’en servir de base pour agir.

Est-il compliqué de mettre autant de gouvernements d’accord sur un même texte ?

Peu de choses portent à controverse dans cette évaluation. Le constat est plutôt connu et il est globalement partagé par les scientifiques et les gouvernements. L’enjeu se trouve plutôt dans la nécessité d’élever le niveau de reconnaissance de la crise de la biodiversité que nous vivons. Il est essentiel qu’elle soit reconnue comme un grand enjeu, au même titre que le climat.

Comment expliquez-vous que la préservation de la biodiversité ait du mal à émerger comme un enjeu crucial ?

Cela peut s’expliquer par le manque d’études scientifiques sur le sujet, et par l’absence, avant 2012, d’une structure comme l’IPBES. Le constat n’est pas nouveau mais il manquait clairement un lien entre science et politique. Le GIEC existe, lui, depuis bien plus longtemps que l’IPBES.

C’est peut-être aussi parce que la biodiversité est plus difficile à appréhender, parce qu’il n’en existe pas de mesure simple. Avec le climat on peut parler d’augmentation des températures, de hausse du niveau des océans… De quoi parle-t-on pour la biodiversité ? D’extinction des espèces ? Du déclin des populations ? De changement d’aire de répartition ? On ne peut pas résumer tout cela en un seul indicateur. Et cela complique les communications sur le sujet vis-à-vis des décideurs et du public.

Le travail de l’IPBES doit aussi servir de base aux discussions qui auront lieu à Kunming en Chine en 2020, pour ce qui est déjà annoncé comme l’équivalent de la COP21 pour la biodiversité…

C’est clairement la prochaine grande étape pour la biodiversité ! On espère que de grands objectifs de préservation seront mis en avant et qu’ils seront fortement reconnus. Le but est d’aboutir à un équivalent de l’Accord de Paris, mais pour la biodiversité.

 

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