Amman, Jordanie, avril 2017. Quand il ouvre la porte de la pièce où il vit avec sa famille, le vieil homme tente bien de sourire. Mais il est aussitôt pris d’une quinte de toux violente. Avec sa lourde couverture sur les épaules et sa barbe de quelques jours, il semble épuisé. Seule sa fille de 2 ans, qui s’agite aux côtés de sa mère, sur des matelas usés posés à même le sol, est capable de ramener un large sourire sur son visage devenu gris. Originaire de Homs en Syrie, il s’est réfugié en Jordanie il y a quatre ans, avec sa famille. Il lui fallait fuir la guerre, les violences, les crimes du régime de Damas.
Prise en otage
Plombier de profession, il a tout perdu. Il était marié à l’époque à une autre femme, tuée dès le début de la guerre civile dans les bombardements. Il reste sans nouvelles de quatre enfants de ce premier mariage qui, tous, ont fui vers la Turquie. Il s’est remarié avec la jeune femme à ses côtés. Et précise, pudique : « Elle aussi a perdu son mari. » Elle a été un temps détenue, « prise en otage » dira-t-il, plusieurs mois, par un groupe armé. Peu importe lequel. Avec pudeur, il raconte que sa détention « a été terrible ». Quand ils se sont rencontrés, il a décidé de s’unir rapidement avec elle, « pour la protéger ».
Les conditions de vie à Homs étaient devenues si dures qu’ils ont décidé de fuir vers la Jordanie. Accueillis durant six mois dans le camp de réfugiés de Zaatari dans le désert jordanien, ils décideront d’en partir. Et de venir s’installer à Amman, quitte à s’affranchir de la légalité. « Les conditions de vie à Zaatari étaient mauvaises. Nous n’avions pas le droit de circuler. » Il n’en dira pas plus.
Désormais installés dans l’est de la capitale jordanienne, ils survivent. Lui avec son asthme non soigné. Elle qui vient de donner naissance à un second enfant. « Nous allons le chercher à l’hôpital en début d’après-midi », se réjouit-elle. Elle ne dira rien de plus. Discrète, tout en retenue.
Elle a accouché après une grossesse compliquée dans un hôpital d’Amman, et bénéficié de l’assistance de l’ONG française Première urgence internationale (PUI). Grâce au soutien financier de l’AFD, elle a pu rembourser les frais de l’hospitalisation et de la césarienne, de l’ordre de 500 dollars de cash for health qu’ils n’auraient pu avancer sans s’endetter davantage. À ce jour, leur créance avoisine les 800 dollars. Et elle pourrait bien encore augmenter. « Ma femme est victime de crises d’épilepsie. Elle a un traitement régulier à prendre qui l’empêchée d’allaiter. Nous allons devoir acheter du lait en poudre. »
150 dollars par mois
Ils n’ont pas d’autres ressources que les 150 dollars mensuels perçus du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). De quoi payer le loyer de leur lieu de vie précaire, l’eau et l’électricité. Les bons alimentaires du Programme alimentaire mondial (PAM) couvrent à peine leurs besoins journaliers.
Quant à l’accès aux soins, c’est un tunnel administratif. « On me dit que j’y ai droit, mais je n’ai aucun traitement pour mes problèmes respiratoires, et je n’ai pas les moyens de les payer », soupire le chef de famille entre deux râles déchirants. L’assistante sociale de PUI prend des notes. Écoute attentivement. Elle lui propose de l’accompagner au HCR et de l’orienter vers un autre partenaire médical jordanien qui pourra peut-être lui prescrire un traitement adapté. « Et l’avenir ? » Le silence s’installe.
« Voyez mon état, je ne peux pas travailler… elle non plus. » Leur petite fille sourit devant un dessin animé sur un téléviseur sans âge. Il ajoute : « Vous savez, tant que “Bachar” sera là, nous ne rentrerons pas. Il a tout détruit. Nous n’avons plus rien. Je suis arrivé ici avec les habits que j’ai sur le dos. » Alors même que les expulsions de réfugiés par les autorités jordaniennes augmentent, leur vie se concentre dans cette pièce insalubre et humide, en lien avec des voisins réfugiés, eux aussi originaires de Homs. « On ne sort pas du quartier sauf nécessité. »
Pas de retour rapide
La guerre en Syrie ne dessine aucune perspective d’un retour rapide dans leur pays. Le caractère chronique de la crise conduit chaque jour davantage de réfugiés syriens vers l’extrême pauvreté, en Jordanie comme ailleurs dans la région. Le cycle est connu ; plus la crise dure, plus la perspective d’un retour à une vie digne s’éloigne. Refuge précaire et statut temporaire. Dépendance à l’aide et interdiction de travailler, endettement rapide et travail des enfants. Voire prostitution et développement du mariage précoce, pression pour le retour…
Reste que le programme d’assistance de Première Urgence Internationale et de son réseau de partenaires jordaniens apporte aux réfugiés syriens une assistance certes modeste mais adaptée au plan individuel, sans laquelle ils ne pourraient faire face. Un programme qui, pour l’AFD, mérite d’être soutenu. Et de se poursuivre avec l’aide des autres bailleurs de fonds.
À lire sur ID4D :
- « Réfugiés syriens : l’aide au développement du Liban et de la Jordanie doit être inconditionnelle », par Haneen Ismail Sayed, coordinatrice du programme de développement humain de la Banque mondiale au Liban, en Syrie et en Jordanie.
- « Crises de réfugiés : soutenir le développement des pays d’accueil », par Paolo Verme, économiste senior à la Banque mondiale.
- « Crise des réfugiés au Liban : le point de vue d’une entreprise sociale », par Kim Issa, responsable des relations extérieures le l'ONG Arcenciel