Avec 53 km² et environ 35 000 habitants recensés, Saint-Martin est un village, une petite île binationale unique au monde. La partie française de l’île a acquis son autonomie de collectivité d’outre-mer, indépendante du département de Guadeloupe, en 2008. C’est aussi un territoire historiquement en marge qui, bien avant Irma, faisait face à des problèmes structurels majeurs : une collectivité désorganisée, l’absence de documents de planification urbaine opérants, de profonds clivages économiques et sociaux, des quartiers précaires laissés pour compte ou encore un secteur informel très important.
Quelques chiffres significatifs : un taux de chômage de 33 % (avant le cyclone), un PIB/habitant deux fois et demie plus faible qu’en métropole, 120 nationalités, une population multipliée par 4,5 entre 1982 et 2015 et marquée par une immigration importante, 60 % des constructions édifiées sans permis de construire. Les dégâts importants du cyclone Irma ont donc mis en lumière et exacerbé des problèmes en grande partie hérités du passé.
Répondre à l’urgence… en pensant au long terme
Face à une crise climatique majeure, il s’agit à la fois de répondre à l’urgence des besoins de première nécessité, tout en réfléchissant à une intervention plus structurante fondée sur un projet de territoire. Amorcer sans délai la reconstruction des bâtiments publics (bâtiments scolaires, administratifs, sportifs, casernes de pompier) s’avère indispensable, mais seul le lancement d’actions structurantes de développement pourra entraîner une baisse significative du chômage.
Suite au passage de l’ouragan le 6 septembre 2017, Biliby, un habitant du quartier précaire de Sandy-Ground nous avait interpellés... Sa maison rudimentaire en front de mer avait été emportée par les vagues. Il en était réduit à dormir dans sa voiture. « Quand la reconstruction va-t-elle commencer ? » avait-il demandé, en souhaitant obtenir une réponse précise sur le temps à attendre. Répondre à l’urgence de la situation de Biliby passe par un soutien à la reconstruction du quartier mais aussi et avant tout à la possibilité d’accéder à un emploi durable, qui lui permette de subvenir à ses besoins et habiter une maison moins vulnérable aux aléas climatiques.
La résilience en ligne de mire
Avec un coût total des dégâts estimés à près de 2 milliards d’euros, chiffre considérable pour un si petit territoire, Irma a eu des conséquences financières énormes. Et le secteur touristique, principale source de revenus de l’île, est toujours moribond : sur un total d’environ 1500, seulement 300 chambres sont de nouveau ouvertes, essentiellement pour les déplacements professionnels.
Mais le passage d’Irma ne peut être réduit à l’aspect financier. L’impact sur les populations les plus vulnérables, touchées de plein fouet dans les quartiers précaires de Sandy Ground ou d’Orléans nécessite une nouvelle approche des risques de catastrophes naturelles et une réduction des facteurs de vulnérabilité.
Ainsi, le développement et la résilience de Saint-Martin passeront essentiellement par le tourisme plutôt haut de gamme, avec un positionnement et un modèle durables et attractifs que la collectivité souhaite favoriser. Le contexte saint-martinois ainsi que l’exiguïté du territoire ne laissent d’autres alternatives : aucun autre secteur n’est à même de réduire efficacement le chômage, mais aussi de relancer l’activité économique et ainsi réduire les vulnérabilités sociales.
Une mise en œuvre en plusieurs temps
L’AFD, via son agence en Guadeloupe, s’est très vite impliquée dans la réponse à donner à cette crise. Dans un premier temps, des experts AFD en matière d’eau et d’assainissement, ville et santé sont intervenus. Parallèlement, un appui/conseil avec le cabinet EY a été lancé pour réaliser un diagnostic financier, RH, organisationnel et en particulier des prospectives financières associées à un plan d’actions et un plan d’économies. L’objectif est d’élaborer un modèle économique soutenable, durable et raisonnable.
Ces études ont toutes constaté les grandes difficultés de la collectivité d’outre-mer, au-delà des stricts besoins de financement, à mettre en œuvre la reconstruction. Le deuxième temps de l’intervention sera donc la mise en place d’un programme de renforcement des capacités, une première dans une collectivité française. Enfin, dans un troisième temps, l’AFD pourrait financer, en complément des subventions attendues de l’État, des projets structurants en infrastructures et aménagement urbain, propres à restaurer l’attractivité du territoire.
Passer d’un modèle économique sous assistance à un modèle de développement durable sur un si petit territoire et dans un environnement géographique très contraint, impose de travailler en parallèle sur la politique d’aménagement du territoire, avec des projets générateurs de recettes et créateurs d’emplois et sur la remise d’aplomb des finances de la collectivité et de l’organisation de ses services… Sans oublier dans le court terme l’assistance aux populations les plus pauvres et donc très vulnérables.
Il s’agit d’un vaste chantier pour les années à venir nécessitant une volonté politique forte de la part des élus locaux et un soutien de l’État. Cette crise bouscule aussi les modes d’intervention de l’AFD et fait émerger la nécessité de disposer d’outils agiles, pragmatiques et très novateurs dans le contexte ultramarin français.