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Une coopération de grande ampleur associe depuis plus d’un an la Turquie et la France sur la question de l’adaptation des forêts aux enjeux environnementaux. Elle a été initiée par un prêt de politique publique et une subvention de l’Agence française de développement.

Ce jeudi 17 décembre 2020, l’ambassadeur de France en Turquie, Hervé Magro, a eu rendez-vous avec le responsable de la direction générale des Forêts de Turquie (OGM), Bekir Karacabey. L’heure était au bilan d’une coopération de grande ampleur menée ces dernières années entre la Turquie et la France sur la question des forêts. L’OGM y a notamment présenté deux nouveaux documents : une contribution à la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique pour les forêts turques et une feuille de route qui conduira à mieux intégrer la préservation de la biodiversité dans la gestion forestière.

Des documents pas si anodins… Car de tels objectifs, chiffrés et formalisés dans des documents officiels, ne vont pas de soi pour un des rares pays à ne pas avoir ratifié l’Accord de Paris sur le climat. Mais la réalité est plus nuancée car dans les faits, l’État turc s’appuie sur des institutions volontaires pour agir en faveur du climat et de la biodiversité. « La Turquie est d’ailleurs un partenaire essentiel sur ces sujets », confirme Aurélien Guingand, responsable d’équipe projet Biodiversité, Forêts et Aires protégées à l’Agence française de développement (AFD). 

Prêt de politique publique et coopération technique

Les avancées récentes au menu du 17 décembre ont été obtenues par deux moyens : un prêt de 150 millions d’euros accordé par l’AFD au Trésor turc en 2019 et un partenariat technique signé la même année entre l’AFD, l’ONF International (ONFI, filiale de l’Office national des forêts français) et son homologue turc l’OGM. Les deux sont intimement liés, puisque les versements en deux fois du prêt étaient conditionnés à la réalisation d’un certain nombre d’objectifs dont l’atteinte a été facilitée par la coopération technique.

C’est le principe de ce qu’on appelle un « PrPP » : un prêt de politique publique. L’AFD y recourt pour encourager ses pays partenaires à engager des réformes et soutenir les investissements dans certains secteurs en lien avec les Objectifs de développement durable des Nations unies. Ce concours-ci devait permettre d’inciter l’État turc à pérenniser son investissement dans la gestion des forêts – qui couvrent près de 30 % du territoire et abritent une biodiversité particulièrement riche – dans une période de fortes tensions budgétaires où les enveloppes consacrées à ce genre de politiques servent parfois de variables d’ajustement.

« Cette approche permet à la fois de mettre en place des actions innovantes sur le terrain et de travailler à l’élaboration de documents stratégiques pour orienter les politiques publiques », observe Serge Snrech, directeur de l’agence AFD pour la Turquie.

« Le dialogue noué à cette occasion avec la Turquie s’est d’ailleurs révélé décisif dans la finalisation de ces documents stratégiques, renchérit Aurélien Guingand. Il a permis de leur donner une ambition qui n’était pas acquise au départ. »

Pour sa part, le directeur général de la direction générale des Forêts turque, M. Bekir Karacabey, constate qu'il s'agit d'un « programme de coopération plus complet qui a apporté des contributions significatives aux deux parties pendant cette nouvelle ère. Il prend en compte de nombreux défis liés à la foresterie d'aujourd'hui, en particulier le changement climatique et la biodiversité. »

Une quarantaine de « déclencheurs »

L’empreinte de cette coopération est plus marquée que lors des trois précédents prêts de politique publique alloués depuis 2011 par l’AFD à la Turquie pour soutenir sa gestion forestière. « Ces prêts ont financé une bonne politique en termes d’atténuation du changement climatique et de protection de la biodiversité, mais n’ont pas suffisamment cherché à la rendre encore meilleure. Il y avait le financement du prêt d’un côté et le partenariat technique de l’autre, sans véritable passerelle entre les deux », analyse Aurélien Guingand. Cette évolution témoigne de la maturité accrue de ce partenariat et de la relation de confiance qui s’est développée entre les partenaires au fil des années.

Ce qui a changé avec ce quatrième PrPP est notamment la création d’une matrice de politique publique, soit une liste d’une quarantaine d’engagements – ou « déclencheurs » – budgétaires, institutionnels et techniques, répartis dans 13 domaines d’activité. Ces engagements sont à valider dans leur intégralité côté turc pour pouvoir obtenir les deux versements du prêt (deux fois 75 millions d’euros).

Pour la tranche 2019, la Turquie devait ainsi approuver un budget d’investissement de 270 millions de livres turques (28 millions d’euros) sur la sylviculture et la réhabilitation des forêts dégradées, mettre en place un plan de gestion des feux de forêts dans au moins 15 directions régionales, et lancer une série de projets pilotes sur l’écotourisme ainsi que la gestion du risque d’avalanche, entre autres. Pour la tranche 2020, elle devait notamment démarrer plusieurs projets de recherche de long terme sur les conséquences des effets du changement climatique sur les forêts, tout en produisant une stratégie d’adaptation à ces impacts.

« Les problèmes des forêts turques et françaises sont les mêmes »

Cette matrice très détaillée a été étroitement négociée avec l’ensemble des parties : AFD, OGM, Trésor turc, ministère du Budget. Et l’ensemble des déclencheurs a finalement été validé, si bien que le deuxième versement doit intervenir sous peu. « Ces déclencheurs ont permis un véritable dialogue de politique publique tourné vers des objectifs ambitieux en matière d’adaptation au changement climatique et de conservation de la biodiversité, se réjouit Zeren Erik Yasar, chargée de projet climat et forêt à l’agence de l’AFD d’Ankara. Ils étaient très clairs et tous en lien avec les objectifs du prêt. Les réalisations resteront visibles bien après le partenariat. »

Celui-ci n’aurait pas pu être mené à bien sans le travail de l’ONFI, qui a œuvré sur le terrain en appui aux différents partenaires turcs pour la réalisation des engagements. La filiale de l’ONF a pour cela bénéficié d’un Fonds d’expertise technique et d’échange d’expérience (Fexte), une subvention de 800 000 euros attribuée par l’AFD.

« Nous avons mobilisé l’expertise française via des partenaires comme l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), le Citepa ou encore le bureau d’études Eco-Med. Nous avons essayé de créer des collaborations franco-turques qui perdureront au-delà du programme, explique Pierre-Emmanuel Leclerq, directeur général de l’ONFI. Les problèmes de la forêt turque sont les mêmes que ceux que rencontre la forêt française : crise sanitaire, changement climatique… Nous devons trouver des réponses communes en faisant travailler nos experts ensemble. »

Une quinzaine de missions en 2021

Sur le terrain, les spécialistes des deux pays ont par exemple échangé des semences et planté des pépinières, en Turquie comme en France, pour tester l’adaptation de plusieurs espèces d’arbres aux futures conditions climatiques. La Turquie préfigure en effet ce que pourrait devenir le climat français dans quelques décennies, tandis que les espèces françaises à croissance rapide (pin maritime, pin des landes) intéressent les experts turcs, qui souhaitaient tester l’adaptation de son espèce industrielle phare, le pin de Calabre. Des expériences ont aussi eu lieu pour pulvériser des répulsifs depuis des drones afin de lutter plus efficacement contre les ravageurs.

Dans les bureaux du ministère turc de l’Agriculture et des Forêts, ce prêt de politique publique a aussi permis de renforcer les équipes dédiées à la biodiversité. Elles planchent désormais sur un règlement qui permettra de concrétiser la feuille de route rédigée sur ce sujet. Elle sera d’ailleurs complétée avec les retours d’une expérience pilote sur l’intégration de la biodiversité dans les plans de gestion forestière qui doit être prochainement menée dans une province de Turquie. « Tout ceci est très important car les documents politiques fixent les grandes orientations à l’échelle du pays », souligne Zeren Erik Yasar.

Une vingtaine de missions ont été menées entre les deux pays en 2019. En 2020, à cause de la crise du Covid-19, certains échanges se sont poursuivis en ligne. Il reste aujourd’hui une quinzaine de missions à effectuer sur 2021. Une coopération intensive, donc, que les deux institutions forestières ont l’intention de poursuivre à l’avenir.


Un événement en ligne pour une coopération exemplaire

L’ambassadeur de France en Turquie Hervé Magro, les directeurs généraux des forêts des deux pays ainsi que le directeur de l’AFD en Turquie Serge Snrech ont participé à l’événement du 17 décembre qui s'est intégralement déroulé en ligne. 120 spectateurs de différentes institutions des deux pays ont suivi la réunion qui a été l'occasion pour les experts turcs et français de présenter les résultats d'une coopération exemplaire.