65 000
hectares de forêt classée à protéger
2 250
agriculteurs accompagnés
47 500
villageois de 7 villages concernés
Au sud-est de la Côte d’Ivoire, la vaste région verte de la Mé subit de plein fouet la déforestation. À l’aide de GeoPoppy, une application innovante de collecte des données développée avec des logiciels libres, des ONG tentent d’enrayer le phénomène.

Aux alentours d’Adzopé, dans la région de la Mé, les arbres finissent de plus en plus souvent leur vie sous la lame d’une tronçonneuse. À l’image de ce territoire, 95 000 hectares de forêt disparaissent chaque année en Côte d’Ivoire, soit l’équivalent de plus de 130 000 terrains de football. C’est l’un des taux de déforestation les plus élevés d’Afrique. 

En 2017, le projet Redd+ La Mé s’est donné pour objectif d’enrayer ces défrichements, tout en améliorant les conditions de vie des agriculteurs et de la population. Redd+ La Mé s’appuie sur GeoPoppy : ce système d’information géographique sur tablette numérique, appuyé par le département Évaluation et Apprentissage de l’AFD, permet de suivre précisément l’évolution des surfaces cultivées et boisées. 

La Mé abrite les forêts de Mabi-Yaya — 65 000 hectares au total — dans lesquelles vit encore une population de chimpanzés en danger. À l’intérieur et à la périphérie des forêts, sept villages mobilisent l’attention de 18 agents. Ils travaillent pour le compte de l’ONG Nitidæ qui porte le projet Redd+. Leur but : développer une « agriculture zéro déforestation » au sein de laquelle les planteurs peuvent gagner leur vie sans défricher les alentours, grâce à des revenus équilibrés entre agriculture et exploitation de la forêt.

D’ici à fin 2019, les équipes de Nitidæ doivent accompagner 2 250 planteurs sur 5 000 hectares minimum. Conçu à partir de logiciels libres et gratuits par l’INRA, GeoPoppy permet aux opérateurs de l’ONG de collecter un maximum de données. Sur le terrain, auprès des bénéficiaires, en arpentant leurs parcelles équipés d’une simple tablette et d’un mini-serveur. Cartographier précisément permettra ainsi à tous de connaître, améliorer et protéger les espaces menacés.
 

Côte d'Ivoire, numérique, GeoPoppy, Kambou
Côte d'Ivoire, numérique, GeoPoppy, Abou, Kambou
Abou : « Reboiser pour la jeunesse »
Lorsqu’il était petit, Abou Ouattara se souvient qu’il lui était parfois impossible de voir le soleil, tant sa ville natale, Adzopé, était entourée par les forêts. À 41 ans, il est aujourd’hui le gérant de la propriété Atsé, qui déploie sur une centaine d’hectares d’Adzopé ses cultures de cacao, café, manioc, igname ou aubergines.

La hantise du gérant : les « scieurs » qui viennent couper les arbres la nuit sur la propriété. Son credo : la jeunesse et l’avenir qu’il envisage avec une touchante émotion. « Je ne pensais pas qu’un jour, nous pourrions avoir des choses comme GeoPoppy pour nous aider. Maintenant, nous pouvons mieux encadrer les parcelles et les connaître. »

Toujours dans le cadre du projet Redd+, 500 hectares de forêts nouvelles doivent voir le jour dans la région. La propriété Atsé participe à ce nouveau défi. Là aussi, GeoPoppy permet de suivre la progression des plantations de cédrela, de teck, de tiama ou encore d’aniégré. « Avec les cartes, nous pourrons bien gérer toutes ces terres pendant les 30 prochaines années. »
Côte d'Ivoire, numérique, GeoPoppy, Denis, Kambou
Denis ou « la technique au service de l’homme »
Lorsque l’ONG Nitidæ a dû recruter un chargé de mission « aménagement du territoire, suivi et évaluation », les connaissances en Système d’information géographique (SIG) de Denis Mea ont fait la différence. Aujourd’hui, il supervise les cinq opérateurs qui parcourent la région de la Mé.

GeoPoppy en main, il explique : « Nous entrons d’abord le nom du bénéficiaire, ce qui crée un identifiant unique. Puis, le collecteur trace le contour de la parcelle, en relevant un certain nombre de points sur place, en s’aidant éventuellement d’images satellites. Les informations essentielles sont ajoutées telles que la localité ou le type de culture. La superficie est automatiquement calculée. »

Il ajoute, dans un sourire : « Souvent, les propriétaires pensent que leur parcelle est plus grande ou plus petite que dans la réalité. Lorsqu’on leur dévoile les chiffres, la surprise est donc bonne ou mauvaise ! » Féru d’environnement, il pense que « la science et les techniques doivent permettre à l’homme de mieux vivre avec la nature. »
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Romuald, « en route pour la certification foncière »
Retour au bureau après une sortie sur le terrain. D’un geste ample, la main sur la souris de l’ordinateur, Romuald Vaudry aime flâner virtuellement au-dessus des villages concernés par le projet. Les nuances de vert n’ont que peu de secrets pour le chef du projet « Redd + La Mé ».

« Ici, on peut voir un reste de forêt, mais il est tout à fait possible que des plants de cacao se dissimulent sous les arbres », explique-t-il. Plus loin, les cultures d’hévéa étendent leurs rangées conquérantes. « Nous essayons de montrer aux populations l’intérêt de planter d’autres espèces d’arbres : préservation de l’environnement, rentabilité et pérennité de l’activité économique. »

Quelques dizaines de parcelles, bien visibles et délimitées, sont déjà renseignées par GeoPoppy. « À l’ancienne, il fallait se rendre sur le terrain avec un bloc, un crayon et un GPS, puis rentrer au bureau pour saisir les données. Désormais, ce travail est évité ainsi que de nombreuses erreurs ou approximations. Un autre défi réussi concerne les collègues de terrain : tous utilisent sans difficulté GeoPoppy. »

La prochaine étape ? Un processus long, complexe mais important : « Nous préparons le terrain à la certification foncière des bénéficiaires. Ainsi, ils pourront transmettre leur patrimoine à leurs enfants en toute sécurité ou demander des prêts à la banque. Pour ces parcelles en cours de certification, les sociétés privées sont intéressées à venir reboiser gratuitement, pour acheter les bois à terme. »
Côte d'Ivoire, numérique, GeoPoppy, Kambou
GeoPoppy, la liberté entre les mains

GeoPoppy est un système complet de collectes de données, facile et peu cher à utiliser. Physiquement, l’outil est composé d’un mini-serveur portable (Raspberry Pi), alimenté par une batterie externe, et d’une tablette, en connexion wifi avec le serveur.
En termes de software, GeoPoppy n’utilise que des logiciels libres et gratuits, notamment  pour la gestion de la base de données (PostgreSQL) et le Système d’information géographique (QGIS).

Une fois le matériel acquis, le fonctionnement de GeoPoppy est donc gratuit, sans limites d’enregistrement ou de nombre d’utilisateurs. 

« Même si le projet de Nitidæ était spécifique, CartONG et l’AFD ont choisi d’utiliser des logiciels libres pour que l’outil soit aisément réutilisable et réplicable dans d’autres contextes et par d’autres acteurs. Tout est publié en licence Creative Commons », explique Martin Noblecourt, responsable de projet à CartONG, qui a aidé à adapter GeoPoppy aux besoins de l’ONG. 

Transparence des données pour un projet aux multiples usages
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© Sia Kambou - AFP / AFD


Redd+ est le mécanisme international de « Réduction des émissions de gaz à effet de serre issues de la déforestation et de la dégradation des forêts » dans lequel la Côte d’Ivoire est engagée depuis 2011. 

Vis-à-vis des Républiques françaises et ivoiriennes, du ministère de l’Environnement ivoirien ou des bailleurs de fonds comme l’AFD, l’utilisation d’un outil d’information géographique comme GeoPoppy permet, selon le chef de projet Romuald Vaudry, de « faire preuve de transparence dans ses données et de montrer pas à pas l’avancement du projet Redd+ La Mé »

« Pour que cet avancement soit mieux suivi et évalué, il fallait absolument que la qualité et la précision des données puissent être fiables et précises. Des données qui sont collectées sur support mobile, sans connexion Internet nécessaire sur le terrain », ajoute Martin Noblecourt, de CartONG. 

Fer de lance d’une nouvelle génération ? 

À l’origine, GeoPoppy a été développé par l’INRA pour suivre… des champs de coquelicots ! Après adaptation, GeoPoppy pourrait devenir le fer de lance d’une nouvelle génération d’outils numériques peu coûteux, à base de logiciels libres, au service du suivi-évaluation de projets. Car l’application s’adapte à tous les supports et systèmes d’exploitation. « Tout le monde peut l’utiliser, de la collectivité locale à la petite entreprise, à la ville comme à la campagne », confirme Denis Mea. L’expérience spécifique de la région de la Mé est donc duplicable à travers le monde entier, sur tous les terrains.