
Contexte
Ce projet tire son origine de la confluence de deux séries de phénomènes :
- La montée de l'exclusivisme propriétaire : au cours des 30 dernières années, la théorie dite des droits de propriété assure le primat de la vision actionnariale sur la vision managériale de l'entreprise. Aux alternatives classiques proposées par l'économie sociale et solidaire (ESS), basées sur des formes diverses de mutualisme et de coopérativisme, émerge un nouveau domaine d'activité, souvent qualifié d'économie collaborative, basé sur des formes diverses de partage mêlant gratuité et services marchands.
- L’économie numérique : cette nouvelle économie du partage a connu un essor d'autant plus spectaculaire que, dans nombre de cas, elle a bénéficié du développement de l'économie numérique. C'est ainsi qu'on a vu naître et se développer nombre d'entreprises qui utilisent désormais internet comme plateforme pour mettre en relations offreurs et demandeurs pour des produits ou des services les plus variés. Nombre de ces entreprises-plateformes revêtent les caractéristiques externes des communs.
Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre du programme de recherche de l'AFD sur les communs.
Objectif
Ce programme a poursuivi cinq objectifs :
- Les deux premiers objectifs ont proposé de reconsidérer la notion même d’entreprise, tant dans ses dimensions « propriétaires » que dans celles qui relèvent de l'économie sociale et solidaire, en l’analysant notamment sous l’angle des faisceaux de droits qui la constitue.
- Le troisième objectif a consisté à mettre en évidence différents types de modèles économiques sur lesquels les nouveaux acteurs de l’économie collaborative peuvent asseoir leurs activités, en proposer des typologies et des cartographies.
- Le quatrième objectif a consisté à identifier les formes de rétribution qui peuvent permettre aux acteurs de l’économie collaborative de se rémunérer pour assurer leur reproduction à long terme.
- Enfin, dans une perspective internationale, le cinquième objectif a été d’explorer la manière dont des formes novatrices de mobilisation des acteurs et des communautés permettent le déploiement de formes nouvelles de création et d’exploitation des ressources.
Méthode
Le projet a été organisé en différents working packages (WP), qui mêlent et associent études historiques et études de cas, travaux quantitatifs et enquêtes qualitatives, dans différents domaines d'application, qui concernent tant des communs fonciers que des activités industrielles ou de services.
L'équipe mobilisée, fortement interdisciplinaire, comprend des spécialistes de l'économie, du droit, de la gestion des entreprises et du développement des pays du Sud. Sous la direction de Benjamin Coriat (Paris 13, UMR CNRS 72341), la recherche est conduite en relation avec quatre équipes partenaires : CEPRISCA (Université de Picardie), IRJS (Université Panthéon-Sorbonne), CREDEG (Université de Nice) et l’AFD. Le projet est cofinancé par le Crédit coopératif et le Labex ICCA.
Un comité de pilotage est institué qui comprend des représentants des quatre équipes partenaires et des financiers.
Résultats
Une partie des livrables et des résultats est disponible sur le site dédié au programme : encommuns.com
La conférence finale du programme (17, 18 et 19 novembre 2020) peut-être visionnée en replay.
Enseignements
Quatre séries de conclusions peuvent être formulées :
- Au-delà des formes codifiées de l’économie sociale et solidaire, on a assisté, dans la période récente, à l’émergence de formes sociétaires nouvelles (par exemple les entreprises à mission, les entreprises à but d’emploi, les entreprises sociales, etc.). Il existe sur le plan juridique une certaine flexibilité susceptible de favoriser l’adaptation des formes sociétaires et contractuelles aux objectifs du commun. Par ailleurs, certains communs sont en prise avec différentes expressions de l’intérêt général (accès à des biens essentiels, contribution à la protection de biens écologiques, etc.).
- Les modèles économiques observés sont dans l’ensemble fragiles, basés principalement sur le travail gratuit et bénévole, ou l’auto-entrepreneuriat. Trois grands modèles ont pu être mis en évidence et qui peuvent s’hybrider : « marchand », « hors marché », « en marché ». La difficulté à se reproduire pour nombre de communs vient de ce que les produits et services qu’ils délivrent ne sont pas conçues d’abord pour le marché mais pour fournir une utilité sociale ou environnementale, qui doit être reconnue par un « tiers contributeurs » (Etat, collectivité locale, etc.) à sa valeur par le marché.
- La recherche a établi que la question de la rémunération de la contribution aux communs ne suscite pas une réaction homogène : indifférence, rejet, dénonciation. La difficulté est de concilier l’absence de subordination et des formes de garanties d’existence. Des formes sociales originales émergent (exemple des coopératives d’activité et d’emploi), mais restent marginales et fragiles. Des outils juridiques comme les licences à réciprocité sont expérimentées mais doivent encore faire leur preuve. Enfin, les propositions en termes d’approche par les droits (« revenu contributif », « droits de tirage sociaux », etc.) sont à approfondir, notamment dans leurs modalités pratiques.
- Les communs dans les Suds peuvent prendre le relais de formes traditionnelles, sans pourtant en constituer des prolongements directs. Ils se déploient dans des contextes d’Etats faibles et de services publics défaillants ou inexistants. Ils peuvent être amenés à assumer des fonctions sociales nettement affirmées. Ils sont un terrain privilégié d’action pour les ONG et autres opérateurs de développement, pour renouveler les conditions de leur intervention.
Contacts :
- Benjamin Coriat, professeur émérite en économie, Université Sorbonne Paris Nord
- Stéphanie Leyronas, chargée de recherche à l’AFD

Contexte
Les bailleurs internationaux sont intervenus massivement dans les Territoires palestiniens depuis 1994. Une grande partie de ces financements ont permis la mobilisation de nouvelles ressources en eau et une augmentation de l’efficience de l’utilisation de l’eau dans un territoire aride. Ils ont supposé que les accords d’Oslo et la loi palestinienne de l’eau reflétaient la réalité de la gestion de l’eau.
Or, l’introduction de principes nouveaux à travers les accords d’Oslo et une gestion nationale de la ressource par l’Autorité palestinienne de l’eau (Palestinian Water Authority - PWA) a fragilisé les normes sociales qui régissaient le fonctionnement des gouvernances traditionnelles. De là sont nées des situations locales complexes où s’exercent différents registres de reconnaissance de droits d’accès à la ressource.
Il importe donc de comprendre comment chacune des trajectoires suivies par l’eau puisée dans un réservoir commun, qu’il s’agisse d’un puits ou d’une source, s’insère dans des faisceaux de droits et la manière dont ces faisceaux de droits sont aujourd’hui affectés par les projets financés par les bailleurs de fonds : qui s’est approprié l’eau rendue disponible par ces projets ? Selon quelles modalités ? Qui l’a perdue ?
Objectif
Ce programme de recherche s'est focalisé sur la dimension politique de la construction et de la transformation de communs. Il a cherché à comprendre la gouvernance actuelle des « paracommuns » de l’eau en Palestine, le terme « paracommuns » désignant les gains matériels potentiels issus de l’amélioration de l’efficience de systèmes puisant dans un réservoir commun de ressource naturelle, telle que l’eau. Le programme examine également comment on peut atteler les faisceaux de droits existant au sein des communs de l’eau pour en élaborer une gouvernance délibérative et équitable.
Il poursuit quatre objectifs :
- Quantifier les consommations d'eau nécessaires à la production des produits agricoles palestiniens en fonction des faisceaux de droits régissant l’eau ;
- Analyser la façon dont les trajectoires matérielles et institutionnelles de l’eau considérée comme « épargnée » grâce aux projets d’infrastructures visant à réduire les fuites dans les réseaux ont été modifiées ;
- Examiner la façon dont l’efficience est conçue au sein de chaque projet et par les différents utilisateurs, la façon dont ces utilisateurs mettent en avant des faisceaux de droits bien particuliers pour légitimer leur appropriation de la ressource et la façon dont les faisceaux de droits existants sont affectés par les projets ;
- Explorer les manières dont les changements dans la gestion d’irrigation ont pu améliorer l’efficience de l’utilisation de l’eau et qu’elles en ont été les effets.
Méthode
Le programme a comporté trois types de séminaires : des séminaires avec les membres du programme, des séminaires de recherche et des « séminaire de recherche action » qui ont associé, en sus des chercheurs, les agriculteurs des zones étudiées, des membres de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), des membres d’ONG agricoles palestiniennes, ainsi que des membres du ministère de l’Agriculture palestinien et de la PWA.
Le travail de terrain, très conséquent, s’est essentiellement déroulé au cours des 24 premiers mois du programme. Les terrains ultérieurs ont été réalisés pour trianguler les résultats obtenus par la métrologie, la cartographie et les enquêtes qualitatives. La diffusion des résultats a été réalisée par les publications, les séminaires et des panels organisés dans des conférences internationales.
Résultats
Le programme a permis la publication de plusieurs articles dans des revues à comité de lecture : Geoforum, Journal of Political Ecology, Environment and Planning E : Nature and Space, International Journal of Water Resources Development.
De nombreuses interventions ont eu lieu en lien avec le programme, et notamment :
- La 12ème conférence internationale de l’AFD sur le développement en 2016 sur la thématique « Communs et développement » ;
- La semaine mondiale de l’eau de Stockholm (Stockholm World Water Week) en 2017 ;
- Le premier Forum international de l’eau de Palestine (Palestinian International Water Forum) organisé en 2018.
Les résultats ont également été diffusés auprès du grand public à travers des interviews presse et radio, des conférences et des formations.
Enseignements
Ce programme de recherche met en évidence « l’utilité de reconnaître les communs qui gouvernent l’eau destinée à l’irrigation. Il mobilise la notion de communs pour comprendre les interactions de pouvoir en jeu au sein des transformations se réalisant sur des échelles locale, nationale et internationale. Il se saisit des externalités positives générées par les communs afin de transformer les interactions politiques et économiques aux échelles nationale et internationale. Bien qu’il s’appuie sur une étude de cas palestinienne, ce développement conceptuel peut être appliqué n’importe où. Les Palestiniens gèrent depuis longtemps l’irrigation en tant que communs au niveau local. Cependant, l’attention massive qu’a suscitée leur combat national a mené les chercheurs à se focaliser sur les institutions nationales plutôt que sur les institutions locales. Cette focalisation sur l’échelle nationale a aussi favorisé la perception de l’eau en tant que stock plutôt qu’en tant que flux, […] géré successivement par une variété d’institutions. Au niveau local, ceci nous permet de comprendre les interactions entre les petits agriculteurs et les agribusiness voisines, par exemple. Ceci nous permet de comprendre les bouleversements au sein des interactions de pouvoir qui ont lieu lorsqu’une économie marchande entre en interaction avec une économie humaine. Au niveau national, ceci nous permet de nous pencher sur la gouvernance des paracommuns. […] Il est maintenant urgent de faire face à la question de la gouvernance des paracommuns de l’irrigation palestinienne. » (Trottier, 2018)
Pour aller plus loin :
- “Les lois palestiniennes de l'eau : entre centralisation, décentralisation et mise en invisibilité” (Julie Trottier, juillet 2018)
- “Palestinian water laws: between centralization, decentralization, and rivalries” (Jeanne Perrier, novembre 2020)
- “The institutionalization of irrigation and the effects thereof: The case of the Palestinian water user associations” (Jeanne Perrier, novembre 2020)
Contacts :
- Julie Trottier, directrice de recherche, CNRS
- Stéphanie Leyronas, chargée de recherche à l’AFD

Contexte
Depuis plus d’une décennie, l’étude des communs et leur mise en avant par les mouvements sociaux ont connu un remarquable essor. Les bases en avaient été fixées par Garrett Hardin en 1968 dans son article sur « la tragédie des biens communs », qui posait que seule la privatisation ou la nationalisation d’une ressource commune en accès ouvert pouvaient permettre d’en tirer profit tout en assurant son renouvellement. En démontrant que d’autres modalités de gouvernance et d’arrangements/agencements institutionnels à partir des communautés d’usagers de ces ressources étaient possibles, Elinor Ostrom a ouvert la voie à des articulations possibles avec d’autres champs (écologie, numérique) et d’autres enjeux (changement climatique, normes et interactions sociales).
Interrogeant les frontières entre sphère privée et publique, les définitions de la propriété, la gestion et le partage des ressources ou encore le rôle des communautés et des savoirs traditionnels, la discussion autour des communs ne pouvait manquer d’interroger également les travaux sur le genre mais aussi les points de vue et les pratiques féministes. Celles-ci ont ainsi enrichi les approches théoriques et programmatiques des communs. Souvent critique, cet apport n’a cependant pas débouché sur une articulation conceptuelle cohérente, ni sur un véritable aggiornamento des différentes approches des communs au prisme du genre.
Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre du programme de recherche de l'AFD sur les communs.
Objectif
A partir d’une revue systématique des productions académiques consacrées aux communs dans les domaines de l’économie, de la sociologie et des sciences politiques dans une perspective de droits humains en particulier, l’étude visait à dessiner les conditions de possibilité d’une approche des communs au prisme du genre.
Il s'agissait d’appliquer une approche par le genre au triptyque présentant les composantes des communs (ressource, communauté, règles), ainsi qu’aux caractéristiques majeures des communs (action collective, propriété, répartition de la valeur). Cette approche visait à mettre en évidence en quoi le genre, comme système de domination, contribue à structurer les processus de gouvernance et d’allocation des ressources.
Il s’agissait également, sur la base des travaux réalisés, de considérer comment sont satisfaits (ou non) les droits à l’existence des femmes et des hommes, leurs besoins pratiques (amélioration des conditions de vie) ainsi que leurs intérêts respectifs dans l’optique de la réduction des inégalités femmes-hommes. A cet égard, une attention particulière a été portée à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) relatifs aux communs et à l’égalité des sexes et à leurs éventuelles contradictions. Dans cette perspective, l’ensemble des activités associées au soin à autrui (care), abondamment traitées dans une perspective de genre, ont fait l’objet d’une attention spécifique, dès lors que des liens étroits étaient susceptibles d’être dégagés entre les modalités d’organisation sociale du soin aux personnes (enfants, personnes malades, personnes âgées et/ou dépendantes…) et celles encadrant la gestion des communs, environnementaux notamment.
Méthode
L’OFCE a proposé un dispositif pour la sélection du corpus étudié pour la réalisation de cet état de l’art et son analyse critique. Les questions de recherche ont été posées sous différents angles : l’économie féministe, l’histoire des communs, l’éco-féminisme et les perspectives féministes sur les communs.
L'OFCE a prolongé ce travail via deux études de cas permettant d’illustrer à la fois :
- les limites actuelles de l’articulation entre genre et communs,
- les perspectives qu’est susceptible d’ouvrir une approche critique au prisme du genre de leur définition et des discours qui leur sont associés, en particulier sur le terrain des politiques de développement.
En déployant par exemple une approche sous l’angle du care (et de sa critique), ces études de cas sont susceptibles d’aborder de manière croisée des pratiques autour de la gestion de communs différents : ressources naturelles mais aussi numériques, services fondamentaux à la communauté, etc.
Résultats
Le projet de recherche a débouché sur trois livrables :
- Un rapport d’étude restituant l’état de l’art, les choix méthodologiques opérés et le résultat de l’analyse. Ce rapport esquisse des propositions de recherche complémentaires et une série de recommandations et autres points d’attention qui pourront alimenter les réflexions stratégiques en cours à l’AFD.
- Deux notices permettant d’illustrer de manière plus fine l’intérêt d’une approche critique au prisme du genre pour la (re)définition des communs : « L’eau, un commun unique en son genre ? » et « Les communs urbains au prisme du genre »
Un webinaire « Conversation de recherche » a également été organisé :
Enseignements
La littérature associant perspective de genre et réflexion sur les communs n’est pas nouvelle, mais reste insuffisamment explorée. Elle est hétérogène et est analysée ici selon un double champ : académique et analytique d’une part ; normatif et engagé d’autre part.
Les communs ne sont pas exempts de formes d’oppressions. L’agenda de recherche reste ouvert : plus de travaux empiriques sont requis pour comprendre les processus de recomposition des hiérarchies au sein des communs ainsi que les modes de résistances de la part des groupes oppressés.
Ce travail bibliométrique ouvre la voie d’une analyse de la littérature grise produite par les agences et bailleurs pour le développement pour saisir comment les croisements des littératures académiques sur le genre et les communs influencent les pratiques de ces acteurs. Dans cette optique, la grille de lecture proposée pourrait être adaptée pour identifier des cadres discursifs et normatifs d’action (policy frames).
Sans prétendre à l’exhaustivité, ce rapport démontre l’extraordinaire fécondité d’une approche croisée du genre et des communs pour aborder les transitions majeures de notre temps (environnement, démographie, numérique).
Afin d’esquisser les contours d’une approche transformative du genre et des communs, deux études complètent ce rapport : l’une est dédiée aux communs urbains et l’autre aux communs environnementaux sous l’angle des changements climatiques.
Pour en savoir plus, téléchargez les papiers de recherche issus du projet :
Contacts :
- Hélène Périvier, économiste à l’OFCE
- Maxime Forest, politiste à l’OFCE
- Stéphanie Leyronas, chargée de recherche à l’AFD
- Serge Rabier, chargé de recherche à l'AFD