Transitions politiques et citoyennes
Des communs à construire, à gérer, à préserver
Forêts, eaux, terres, logements… Certaines ressources peuvent être gérées localement par des communautés, qui mettent en place une organisation et des règles ad hoc autour d’un objectif partagé : la préservation de la richesse en question, son accessibilité pour tous, une répartition plus équitable des revenus d’exploitation, etc. Ces « communs » sont de plus en plus souvent présentés comme une solution miracle face à la relative absence de politiques publiques adaptées et à l’inefficience des marchés.
Bien qu’ils ne soient pas exempts de risques, les communs offrent ainsi de nombreuses opportunités de développement. L’AFD accompagne depuis longtemps l’émergence et la structuration de communs. C’est le cas, par exemple, de plusieurs projets de gestion d’eaux souterraines dans le bassin méditerranéen où la promotion de dispositifs de concertation entre usagers s’est révélée plus efficace pour préserver la ressource que les outils réglementaires classiques (quotas, taxes) imposés par l’État. C’est le cas aussi de la mise à disposition de données numériques (data) des entreprises privées en vue d’améliorer l’analyse statistique nationale au Sénégal et en Colombie par l’ouverture du code source et des algorithmes de production d’indicateurs. L’AFD soutient également l’initiative Drugs for Neglected Diseases (DNDI). Ce groupement associe chercheurs, ONG, pouvoirs publics et laboratoires pour mettre en commun les savoir-faire visant à trouver des traitements contre des pathologies touchant des populations non solvables, qui n’intéressent pas les multinationales.
Les communs constituent également un bon sujet d’étude dans la mesure où ils aident à mieux appréhender les spécificités locales et à intégrer la manière dont certaines décisions sont prises par les acteurs en dehors des sphères de l’État et du marché (consommateurs, agriculteurs…). C’est pourquoi, l’AFD en partenariat avec des équipes de recherche de toutes disciplines (économie, sociologie, anthropologie, urbanisme, droit, etc.) explore ces formes de gestion communautaire dans les pays émergents ou en développement, s’intéressant à la manière dont elles peuvent renouveler l’action publique et permettre le déploiement de systèmes innovants d’exploitation des ressources. Les projets de recherche concernent donc des sujets très variés : gestion des eaux souterraines en Méditerranée, auto-organisation de services d’eau potable en Bolivie, "paracommuns" de l’eau en Palestine, communs de la terre et des ressources qu’elle porte, pêcheries en Polynésie, etc.
Les communs au cœur de la conférence internationale organisée par l'AFD en 2016Les communs ont d’ores et déjà renouvelé de nombreux champs de recherche. Ils réinterrogent les fondements traditionnels de l’économie, du droit, de la sociologie et des sciences politiques. En plaçant les usagers et les citoyens au cœur des processus de régulation et de gestion, ils sont porteurs de sens pour une agence d’aide au développement. La conférence Communs et développement, qui s’est tenue à Paris les 1 et 2 décembre 2016, a permis de rassembler et faire dialoguer les pratiques et les recherches menées sur l’articulation entre la production de communs et les dynamiques de développement. Elle a fait appel à une pluralité de grilles d’analyse et de disciplines et une quarantaine de travaux originaux ont été présentés.
En savoir plus sur les travaux présentés lors de cette conférence
partenariat sur ce programme
Communs, marché, État : quels équilibres ?
À la périphérie des institutions publiques et privées se développent les formes nouvelles de communs. Elles ne constituent pas des sphères en dehors du marché et de l’État, mais une pluralité de liens qui s’établissent. Dans des contextes marqués par une pluralité d’instances de pouvoir, des modes de gouvernance des ressource différents peuvent s’établir : communautaire, étatique, marchande. Chacun de ces modes de gouvernance a ses limites propres et aucun ne peut prétendre à lui seul assurer légitimité et effectivité. Développer un dispositif de gouvernance suppose de trouver des compromis et des synergies entre ces différents modes et d’inventer des articulations originales. Pour ce faire, l’AFD s’attache à observer les conditions et les voies de déploiement des différentes formes de communs, ainsi que les relations que ces communs construisent avec les sphères publiques et marchandes pour assurer leur pérennité.
Dans ses pays d’intervention, l’AFD est amenée à travailler avec des formes largement renouvelées d’entrepreneuriat, qui, tout en empruntant à l’entreprise certaines de ses pratiques, présentent dans certains cas de sérieuses originalités, des points de vue juridiques, sociaux et économiques. L’avenir de cette économie en mouvement repose notamment sur des modèles économiques présentant une garantie très inégale de pourvoir à la survie des participants. Afin de mieux comprendre ces nouvelles dynamiques, l’AFD et une équipe pluridisciplinaire sous la direction de Benjamin Coriat (Université Paris 13) collaborent pour réaliser un programme de recherche intitulé : Entreprendre « en Communs » - Droits de Propriété, « Communs » et Entreprise. Il prend pour objet central ces nouvelles activités entrepreneuriales inspirées des communs et des modes de coopération qui en sont dérivés. Ces travaux proposent également d’en analyser les formes, les conditions d’existence, les avenirs prévisibles, ainsi que les modes d’articulation avec les formes classiques de la production et de l’échange.
Comprendre et accompagner les politiques sectorielles
Afin d’enrichir davantage le dialogue qu’elle noue avec les autorités partenaires à l’occasion du financement d’interventions, l’AFD propose ou accompagne des projets de recherche sur les politiques sectorielles : les réformes qui les façonnent, les nouvelles modalités de gestion ou de régulation qu’elles définissent, les évolutions institutionnelles qui les accompagnent. Les axes développés autour de la gouvernance sectorielle concernent principalement : le rapport entre service officiel et services informels, l’articulation entre grands systèmes centralisés et petits systèmes décentralisés, et enfin la place du secteur privé dans la gestion et la régulation sectorielles.
L’un des projets porte, par exemple, sur la gouvernance des secteurs de l’eau et de l’assainissement dans plusieurs villes de Bolivie. Il s’agit d’approfondir, dans le contexte actuel de sécheresse qui touche le pays, la connaissance des interactions entre grands systèmes centralisés et petits systèmes décentralisés de gestion de l’eau, et de mettre à jour les dynamiques d’auto-organisation des services portées par les habitants dans certains quartiers. Un volet de ce programme concerne spécifiquement la gouvernance coopérative des services d’eau et la question des performances techniques et sociales qu’elle permet. Les chercheurs souhaitent analyser les modèles de gestion des services en milieu urbain (association ou coopératives d’eau potable) et rural (coopératives d’irrigants), leurs réussites et leurs limites, mais aussi les conflits inter et intra-communs qui peuvent émerger de tels modes de gestion, notamment dans l’articulation entre usages domestiques et agricoles de l’eau. Enfin, les perspectives de durabilité des petits dispositifs et leur propension à intégrer un cadre de régulation plus large sont également étudiées.Les politiques sectorielles ont par ailleurs été marquées depuis plus de vingt ans par une volonté d’allier décision publique et efficacité privée à travers divers projets de partenariats public-privé. Dans la lignée d’un important programme de recherche développé dès 2005 sur ce sujet, l’AFD poursuit l’effort de documentation et d’analyse de ces schémas institutionnels, par exemple dans le secteur de l’eau urbaine au Sénégal, avec désormais plus de recul et la possibilité de revenir sur des trajectoires de temps long de ces réformes.
Les dynamiques de l’action publique multi-acteurs
Le programme de recherche de l’AFD sur les politiques publiques vise à réfléchir à la fabrique des décisions, mais aussi aux enjeux de leur continuité dans le temps et dans l’espace, en fonction des intérêts et des acteurs en présence (gouvernement, associations, collectivités, etc.). Cette approche est indispensable à la compréhension de l’État dans ses composantes tant administratives, que politiques et sociétales, et à la construction de sa légitimité. Elle permet aussi aux bailleurs de se situer, en percevant mieux la capacité réelle d’influence de chaque acteur et les dynamiques à accompagner. Elle offre par ailleurs une nouvelle grille de lecture pour anticiper l’impact des projets de développement.
En Afrique notamment, les praticiens et les bailleurs font régulièrement le constat que les programmes de développement s’insèrent dans des secteurs où il n’y a pas de politique publique claire, où l’Etat dispose de faibles ressources et où il est même, parfois, en retrait voire absent. Afin de mieux appréhender ce qui se joue dans les trajectoires de construction des politiques publiques, l’AFD, en partenariat avec la région Nouvelle Aquitaine, a décidé de soutenir un important projet de recherche piloté avec l’équipe du laboratoire Les Afriques dans le monde de Sciences Po Bordeaux. Il vise à construire un cadre d’analyse opérant, montrant la complexité des jeux d’acteurs et les formes inattendues de la présence étatique. Ce programme de recherche-action est développé dans six pays du continent africain (Maroc, Côte d’ivoire, Kenya, Tanzanie, Mozambique, Madagascar) et concerne plusieurs politiques sectorielles (gestion des ressources naturelles, politique de la ville, éducation et politiques sociales).
Les dynamiques de l’action publique multi-acteurs sont particulièrement intéressantes à appréhender dans leurs inflexions à l’occasion de « moments politiques ». C’est le cas notamment de la place considérable qu’occupent les sociétés civiles au Maghreb depuis les « printemps arabes » de 2011. En Tunisie, au Maroc, en Algérie, au-delà de la multiplication des associations de promotion des libertés publiques, on assiste à un déploiement d’initiatives inédites en matière de protection sociale, d’éducation, d’emploi ou d’environnement (écoles communautaires, coopératives agricoles, etc.). Un vaste programme de recherche comparative, mené par l’Université d’Aix-Marseille, et cofinancé par la Caisse des Dépôts (CDC), analyse ces expériences et leur relation avec l’État, notamment à l’échelle des collectivités locales.
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