Comment se caractérise la reprise africaine post Covid-19 ? Entre séquelles de la crise liée au Covid-19 et reprise de la croissance, quelles sont les perspectives pour l’économie africaine en 2022 ?
Christian Yoka : La crise du Covid a été exceptionnelle par son ampleur et le coup d’arrêt qu’elle a porté à la croissance que connaissait l'Afrique ces vingt dernières années – le continent enregistrait jusque-là le plus fort taux de croissance au monde. En 2021, l’Afrique a renoué avec la croissance et le PIB réel a dépassé son rythme de progression d’avant-crise. On se retrouve à 3,6 % contre 3,2 % en 2019. La reprise est donc assez robuste, notamment en raison de la conjoncture internationale, qui elle-même reprend des couleurs. Tout cela à la faveur de la dynamique observée en Chine, avec une forte demande autour des matières premières comme le pétrole ou les métaux précieux, qui bénéficie à plusieurs pays du continent.
En savoir plus : L'Économie africaine 2022, collection « Repères », Éditions La Découverte
Autre point positif pour un certain nombre de pays du continent : une trentaine a pu bénéficier de la poursuite de l'appui des bailleurs de fonds internationaux. Cela a redonné de l'espace fiscal à un certain nombre de pays qui ont pu faire 1,8 milliard de dollars d’économie. C'est encourageant, mais des nuances sont à apporter. Car, si la reprise est réelle, elle est moitié moins forte que dans les autres pays.
Même si cette reprise est plus importante qu'avant la crise ?
C. Y. : Tout à fait, car dans le monde, la croissance se situe entre 5 % et 7,5 %, alors qu'en Afrique, elle est comprise entre 2,5 % et 3 %. La vigilance est de mise. C'est pourquoi le FMI a revu à la baisse les perspectives de croissance pour 2022. C’est inquiétant car avec la crise sanitaire, le nombre de personnes qui ont basculé dans la pauvreté a augmenté ; on parle de plus de 33 millions de personnes sur le continent africain. Si cette perspective de moindre reprise devait perdurer, on peut craindre des effets sur le niveau de personnes continuant à vivre dans l'extrême pauvreté. Les perspectives comportent une grande part d’incertitude.
Pourriez-vous nous dire quelques mots concernant les principales disparités économiques sur ce continent ?
C. Y. : Il est vrai que l’on prend parfois des raccourcis lorsqu’on parle de l’Afrique ; on l’aborde comme s’il s’agissait d’un pays. Ce continent est très hétérogène, comme l'Europe avec des pays comme l'Allemagne et la Bulgarie. Par exemple, en Afrique du Sud ou au Maghreb, le niveau de vie est en moyenne trois fois plus élevé qu’en Afrique de l’Ouest.
Des disparités existent selon la spécialisation des économies. L'Afrique centrale et australe est très dépendante des matières premières extractives. En Afrique de l’Est ou du Nord, on trouve des économies bien plus diversifiées et moins dépendantes des ressources naturelles. Il est intéressant d'observer que cinq des dix pays représentant en poids 40 % de l’économie du continent (l'Afrique du Sud, l'Angola, le Nigeria, le Ghana et l'Algérie) tirent près de 80 % de leurs richesses à partir de leurs exportations liées aux matières premières extractives.
D’autres pays ont des revenus qui reposent surtout sur le tourisme, comme la Tanzanie ou l’île Maurice. Lorsqu'on prend ces deux catégories de pays, on voit qu'ils sont soit extrêmement vulnérables aux variations des cours des matières premières, soit très dépendants aux mesures mises en place du fait de la crise Covid.
Les pays dont les économies sont les plus diversifiées sont ceux qui ont le mieux résisté à cette crise ; il y a là un modèle de croissance à tirer pour encourager au maximum la diversification des économies.
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On peut lire dans l'ouvrage que « depuis environ dix ans, presque tous les pays africains affichent des signes de progrès économique avec des taux de croissance entre 5 % et 9 %, mais sans grand effet sur la réduction de la pauvreté qui (…) touche majoritairement les jeunes et les femmes. » Comment l’expliquer et quelles sont les pistes pour y remédier ?
C. Y. : Rappelons d'abord que ce phénomène n’est pas propre à l’Afrique : on observe des disparités similaires en Europe par exemple, en matière de chômage, de précarité, d'accès au logement… Si la pandémie a eu un impact significatif sur l’explosion de l'extrême pauvreté, on assiste à une réduction du niveau de pauvreté depuis une vingtaine d’années. Ainsi, l’Indice de développement humain (IDH) a augmenté quasiment partout, même au Sahel, bien que cela ne soit pas forcément intuitif. Encore une fois, la pandémie a mis un coup d’arrêt à cette progression. Il faut aussi prendre en compte la dynamique démographique qui vient absorber une grande partie de la richesse produite. Au Niger par exemple, le taux de croissance est d’environ 2 %, et le taux d’accroissement naturel de la population est de 3,9 %.
A-t-on des pistes pour réduire cette pauvreté ?
C. Y. : Oui, il faut des politiques publiques beaucoup plus inclusives, et faire en sorte que les personnes et les zones géographiques les plus vulnérables fassent partie des projets. Rappelons qu'une grande partie des économies des pays d'Afrique sont dominées par l'agriculture, avec des populations essentiellement rurales. Il est indispensable de s’assurer que les politiques travaillent à un développement équilibré des territoires afin que les personnes qui vivent dans les lieux les plus reculés puissent également être concernées par les politiques. Il faut aussi développer des politiques de filets sociaux pour toucher ces populations, et notamment les jeunes et les femmes.
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Les Droits de tirage spéciaux (DTS) semblent au cœur des discussions Union européenne-Union africaine depuis le sommet sur le financement des économies africaines…
C. Y. : Saluons la décision prise – représentant l’un des éléments de réponse à la crise – d’augmenter les Droits de tirages sociaux pour les pays membres du FMI. Cela représente 650 milliards de dollars, une somme significative. C’est l’une des réponses pour renforcer les réserves des pays membres. Les discussions ont bien avancé, l'arrivée de l'administration Biden n’y est pas pour rien. En août 2021, les montants ont été fixés : les États-Unis ont reçu 113 milliards de dollars, la Chine 41 milliards de dollars, la France 27 milliards de dollars. L’ensemble des pays africains a reçu 33 milliards de dollars ; c'est trop peu, même si c'est déjà bien.
La France a donc plaidé pour qu'une plus grande partie de cette allocation du FMI puisse bénéficier aux pays africains. Notre pays est disposé à donner une partie de son allocation et plaide pour que d’autres pays riches fassent de même, dans la mesure où ils en ont moins besoin que les pays pauvres. Cela a été proposé en juin 2021, lors du sommet du G7. L'objectif a été retenu : re-allouer 100 milliards de ces DTS vers les pays d’Afrique. C'est une très bonne nouvelle, mais la question suivante se pose : quel circuit pour introduire ces ré-allocations ? Autrement dit, est-ce que cela va directement aux États, ou alors via les banques de développement des pays africains ? Les questions techniques sont donc aujourd'hui sur la table. Il ne s'agit pas tant d'utiliser ces DTS pour renforcer les réserves de change (même si cela permet d'importer plus), mais surtout pour maintenir une capacité d’investissement.
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