Au cours d’une conférence dédiée au lancement de l’ouvrage « L’Économie africaine 2023 » organisée le 19 janvier dans les locaux de l’AFD à Paris, de nombreux experts ont exposé leurs prévisions sur les économies du continent pour l’année à venir. Entre reprise fragile, augmentation de la dette et insécurité alimentaire, tour d’horizon des défis auxquels sera confrontée l’Afrique en 2023.

Une bonne nouvelle, d’abord : contrairement à la tendance au ralentissement économique qui touche le monde entier, plusieurs pays africains devraient connaître un fort essor en 2023. Pour autant, au cours de leurs échanges autour de L’Économie africaine 2023 publié aux éditions La Découverte, les experts réunis au siège social de l’AFD à Paris le 19 janvier ont mis en garde contre la tentation de crier victoire trop tôt. 

Certes, le continent devrait atteindre un taux de croissance moyen d’environ 4 %. Mais ce taux ne dépasse pas 2 à 2,5 % si l’on tient compte des taux de croissance démographique attendus. Même si une telle projection représente encore le double de l’estimation mondiale évaluée à 1,2 % de croissance, la plupart des pays africains n’ont pas encore retrouvé leurs niveaux d’avant pandémie. « Il faudra être patient avant de retrouver les mêmes niveaux de croissance du PIB par habitant, confirme ainsi Matthieu Morando, macroéconomiste au département Afrique de l’AFD. Actuellement, le continent compte encore au moins dix pays dont le niveau de PIB par habitant est inférieur de plus de 5 % à ce qu’il était avant la crise. »

La diversité : une force 

Si les économies de l’extraction et celles dépendantes du pétrole ont été durement touchées par la pandémie et la volatilité des prix des matières premières, les économies nourries par un champ d’activité et de secteurs plus variés ont mieux résisté. « Les pays diversifiés ont su maintenir un certain niveau de croissance en 2022, ce qui constitue en quelque sorte une exception [par rapport aux moyennes mondiales], et ils rebondissent à présent avec des taux de croissance d’environ 5 % », constate Matthieu Morando. Si la nation exportatrice de pétrole qu’est le Nigeria a vu son PIB croître de 3 % l’an dernier, ses voisins d’Afrique de l’Ouest, à savoir la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo, considérés comme étant « très diversifiés », ont tous atteint des taux de croissance d’environ 6 %. 

Une croissance fragile

Malgré des problèmes de sécurité persistants, le FMI prévoit des taux de croissance similaires pour plusieurs pays du Sahel. Un dynamisme posé sur un socle instable : sur les 29 pays dans le monde identifiés par le Fragile States Index (indice des États fragiles) comme étant en « état d’alerte », 21 sont africains. 

« En proie à des conflits intra-communautaires, de nombreux États fragiles sur le continent [constatent que] la légitimité des instances dirigeantes s’est dégradée, explique Françoise Rivière, responsable de la division Économie et Stratégie au département Afrique de l’AFD. Certains États, comme le Mali, le Burkina Faso et la Guinée notamment, ont été fragilisés par des coups d’État et des situations politiques particulièrement tendues. »


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Plus généralement, plusieurs facteurs vont déterminer si les économies africaines seront en mesure de retrouver leurs taux de croissance élevés d’il y a dix ans. L’un de ces facteurs est la baisse de cinq points de la croissance de l’économie chinoise l’an dernier. Il en a résulté une baisse concomitante de la demande, en particulier en ce qui concerne les matières premières en provenance d’Afrique, mais aussi une diminution des financements et des investissements directs. 

À quoi s’attendre en 2023

Après un récent ralentissement, la poursuite de la reprise « dépendra de la mobilisation des financements internationaux et de la capacité des banques publiques de développement, ou plus généralement des bailleurs de fonds, à [assurer] un soutien », prévient Françoise Rivière. Sans oublier « les risques climatiques, sécuritaires et politiques qui ne sont pas nécessairement prévisibles. » 

Les conférenciers se sont accordés à dire que, partout sur le continent, l’endettement croissant risque de compliquer les efforts de relance. Après avoir diminué pendant près de dix ans, la dette publique est de nouveau en hausse. Selon le FMI, près de la moitié du continent africain, soit 22 pays à faibles revenus, sont déjà en situation de surendettement ou encourent un risque élevé de surendettement. Par ailleurs, 18 gouvernements africains consacrent au moins 20 % de leurs recettes annuelles au remboursement de la dette extérieure du secteur public. La Zambie et le Soudan consacrent ainsi plus de 40 % de leurs dépenses publiques annuelles au remboursement de la dette, ce qui laisse peu de moyens aux gouvernements pour investir dans les infrastructures ou dans des mesures visant à améliorer la sécurité alimentaire. 

Les crises, une forme d’opportunité face à l’insécurité alimentaire ?

Face aux importations de plus en plus coûteuses de céréales essentielles et d’engrais en provenance d’Ukraine et de Russie, certains aliments sont désormais hors de portée pour des millions de personnes, obligeant les gouvernements africains à repenser leurs politiques de production alimentaire. 


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« L’autosuffisance alimentaire contribue indéniablement à la sécurité alimentaire », note Ousseynou Nakoulima, responsable de la gestion du portefeuille à l’International Finance Corporation, une agence de la Banque mondiale. Intervenant lors de la conférence en duplex depuis Washington, ce dernier a qualifié l’inflation croissante et l’insécurité alimentaire de paradoxe : « Les crises récentes, tant celle de l’Ukraine que celle du Covid-19, ont paradoxalement ouvert la voie aux sociétés africaines, les contraignant à produire localement ou à faire appel à des fournisseurs locaux. Il est intéressant de constater, même dans les secteurs manufacturiers, que certains acteurs privés peuvent émerger et permettre de remplacer les importations, notamment en provenance de Chine, par une production locale. »

Les signes d’un déclin du développement

Pour autant, les crises sanitaires, économiques et géopolitiques mondiales ont entraîné de graves problèmes de développement en Afrique. Les Nations unies ont ainsi constaté la plus forte chute des chiffres de l’Indicateur du développement humain (IDH) en trente ans. Selon les derniers chiffres, les mesures effectuées par rapport aux normes de santé, d’éducation et de niveau de vie ont baissé dans 90 % des pays évalués.

Pour Matthieu Morando, « le constat est brutal. Nous n’avions jamais rien connu de tel depuis la création de ces indicateurs dans les années 1990. Les auteurs [du rapport de l’ONU] estiment que nous avons perdu environ cinq années de développement humain… Et nous constatons le même ordre de grandeur pour le continent africain. »

Si quelques pays comme le Togo, le Congo et le Ghana ont vu leurs scores IDH s’améliorer quelque peu, ceux de 40 pays ont baissé deux ans de suite, en particulier en ce qui concerne l’éducation. Lors de la pandémie, les écoles ont fermé pendant de longues périodes, des cours ont été annulés et l’apprentissage en ligne n’a souvent pas été à la hauteur d’un enseignement en présentiel. Avec la crise sanitaire, un plus grand nombre de jeunes, et en particulier de filles, a dû quitter l’école. Selon une étude menée dans les zones rurales du Kenya, le taux de décrochage scolaire chez les lycéennes a triplé, passant de 3,2 % dans les années ayant précédé la pandémie à 9,4 %. Par ailleurs, le risque pour ces jeunes filles de tomber enceinte avant d’avoir terminé le cycle secondaire a doublé. En matière d’éducation comme dans d’autres domaines, il faut repartir de l’avant.