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La vie sous-marine au Costa Rica
Coauteure de l'ouvrage « Droits de la nature », coordonné par Farid Lamara, expert au sein de l'AFD, Marine Calmet présente ses travaux au festival Agir pour le vivant à Arles, du 26 août au 1er septembre prochain. La juriste plaide pour la généralisation d'un droit spécifique du vivant. Malgré des exemples probants, celui-ci ne fait pas encore l’objet d’un traité international contraignant, contrairement aux droits humains.

Marine CalmetProtéger la nature et le vivant par le droit, de quoi parle-t-on exactement ?

Marine Calmet : Le concept de droit de la nature recouvre deux dimensions essentielles : un outil de contention des activités nuisibles, empêchant et punissant les violations, et un outil de programmation, établissant un cadre respectueux des écosystèmes et du vivant. Le droit actuel, d’inspiration occidentale, est marqué par une vision utilitariste où l'humain domine une nature objectifiée. Cette vision divise le monde en deux : les personnes et les biens, justifiant ainsi l'accaparement du vivant et les dégradations climatiques, écologiques et environnementales mondiales. Cependant, d'autres conceptions du droit émergent.


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Le droit à vivre dans « un environnement durablement propre et sain » est actuellement reconnu comme un droit humain universel. Quelle est la valeur ajoutée du niveau juridique supplémentaire pour lequel vous plaidez ?

M. C. : Le mouvement des droits de la nature vise à inscrire des principes interdisant les actions écocides et incompatibles avec les limites du vivant, comme celles du secteur minier en Équateur. Cela permet aussi de poursuivre ceux qui transgressent ces principes, conduisant à l'annulation historique, par exemple, des permis miniers pour protéger la réserve naturelle de Los Cedros. Ce type de droits contraignent les États à coopérer avec les populations locales et autochtones, interdisant les activités nuisibles à leur bien-être. En France cependant, ce rêve reste à concrétiser.

Les sociétés humaines actuellement dominantes sont largement anthropocentrées et productivistes. Un droit protecteur du vivant peut-il s'imposer dans ce contexte ?

M. C. : L’approche anthropocentrée divise le monde en catégories d’usage. À l'inverse, le droit de la nature considère que tout sujet biologique mérite des droits interdépendants : animaux, plantes, écosystèmes et populations locales. Ces approches gagnent du terrain dans les droits nationaux et locaux, comme au Brésil, au Pérou et en Équateur, pays précurseur ayant inscrit les droits de la nature dans sa constitution. En Espagne, la Mar Menor (la plus grande lagune d'eau salée en Europe), souffrant de pollution agricole, bénéficie d’une personnalité juridique depuis 2022. Cela lui permet de faire valoir ses droits et de recevoir des dédommagements, et d'être représentée par un conseil de tutelle composé notamment de citoyens et de scientifiques.


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Comment le mouvement pour un système juridique de protection du vivant a-t-il évolué ? En quoi les cultures premières et autochtones peuvent-elles inspirer de telles évolutions ?

M. C. : En Colombie, la Cour constitutionnelle a déclaré le fleuve Atrato « sujet de droit » pour assurer sa protection, au nom des droits humains à vivre dans un environnement sain. Les droits des habitants et du fleuve ont ainsi été garantis, soulignant le lien entre droits humains et droits de la nature. En Amérique latine, les traditions andines et cosmovisions (philosophies) quechuas ou amazoniennes ont inspiré ces droits. En Équateur, le concept de forêt vivante a émergé grâce au peuple Kichwas. En Nouvelle-Zélande, les peuples Mahorais ont obtenu pour le fleuve Whanganui le statut d’entité vivante, permettant de défendre ses intérêts devant la justice. En Afrique, les peuples locaux se battent pour préserver des sites sacrés, comme le lac Albert, en créant un statut et une représentation pour ces lieux.

Certaines forces politiques opposées aux droits de la nature et aux politiques environnementales regagnent du terrain dans plusieurs grandes économies, comment l'alternative que vous proposez peut-elle contrer cette tendance ?

M. C. : En Occident, où le lien avec les cultures autochtones est plus distendu, d’autres types de gardiens de la nature émergent. Les mobilisations pour l’eau, les rivières, les forêts contre les projets écocides se multiplient. Mais elles sont souvent criminalisées par un droit inadéquat aux enjeux environnementaux actuels. Les défenseurs de la nature, comme Paul Watson de Sea Shepherd, sont attaqués par ceux qui soutiennent la logique de l'effondrement des écosystèmes. Le combat pour les droits de la nature permet de revaloriser un lien puissant avec notre environnement. En France, la bataille de l’eau illustre ce conflit entre droit privé et usage commun. Les droits de la nature ouvrent des perspectives car ils sont justement un outil de prévention des tensions et conflits, ils permettent d’anticiper et d’éviter la destruction des éléments vitaux des écosystèmes. Ils proposent une gouvernance adaptée aux limites planétaires, sauvegardant la paix entre les humains et avec leur milieu.


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