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Sommet de Séville : le Groupe AFD précurseur et éclaireur d’une nouvelle architecture financière de la solidarité internationale
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À quelques jours de la 4e conférence internationale sur le financement du développement, Rémy Rioux, Directeur général du Groupe AFD, revient sur les enjeux cruciaux de cette rencontre internationale. Alors que l’architecture financière de la solidarité mondiale montre ses limites, il plaide pour une refondation audacieuse et plus cohérente, articulée autour des banques publiques de développement et d’une mobilisation accrue des ressources. Dans cette interview, il détaille les propositions concrètes portées par le Groupe AFD et réaffirme son rôle de précurseur dans la transformation du financement du développement.
Dix ans après le lancement du cadre de travail ODD, pourquoi faut-il considérer que le sommet de Séville sera déterminant pour la solidarité internationale ?
Rémy Rioux : Le sommet de Séville est une étape importante, pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles. En 2015, le calendrier des grands sommets internationaux aurait dû être inversé. Nous aurions dû commencer par le climat et l’urgence d’y faire face. Ensuite, nous aurions pu rappeler que lutter contre le changement climatique n’est possible qu’en renforçant le lien social et en faisant le choix d’une croissance décarbonée. Nous aurions dû seulement à la fin nous demander comment financer cette ambition accrue, avec quels instruments et quelle architecture. Faute de nous être posé les questions dans le bon ordre, notre travail est resté inachevé. Nous avons été très actifs et innovants depuis dix ans, bien sûr. Mais il faut à présent fixer un nouveau cadre unique et ambitieux d’incitations et de redevabilité, pour réconcilier enfin le climat et le développement. C’est l’un des principes de l’agenda dit des 4P appelé de ses vœux par le Président de la République depuis 2023.
Et Séville sera, j’espère, utile pour arrêter l’hémorragie en cours depuis la fermeture de USAID en février dernier. L’OCDE estime que l’aide publique au développement (APD) devrait baisser de 60 milliards de dollars en 2025 par rapport à 2024. C’est la première fois qu’une baisse d’une telle ampleur se produit sans qu’elle soit concomitante avec une grande crise macroéconomique. Ce sommet va permettre de réunir tous ceux qui croient encore à la solidarité internationale. J’y participerai, aux côtés de notre ministre délégué chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux, Thani Mohamed Soilihi, que je remercie pour son engagement et son soutien. Séville va permettre de nous retrouver, de prendre du recul et de repartir de l’avant Je suis heureux que le Président de la République Emmanuel Macron et la Présidente de la Commission européenne, Ursula Van der Leyen, aient décidé de participer à la conférence.
Quels sont les objectifs, sujets et propositions du Groupe AFD à Séville ?
Rémy Rioux : Le groupe AFD se tient à la disposition du chef de l’État et du gouvernement, deux ans après le Sommet pour un nouveau pacte financier international de juin 2023 au Palais Brongniart. Je participerai notamment au side-event du Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P), qui rassemble plus de 70 pays, au plus haut niveau. Plus précisément, le groupe AFD portera des propositions concrètes lors de ce sommet. Ces dernières années, nous avons proposé plusieurs idées techniques et financières pour réformer l’architecture financière internationale. Par exemple, l’utilisation des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI pour renforcer et faire levier sur le capital des banques multilatérales de développement. Nous avons participé à la relance de l’idée des clauses de contingence dans nos contrats de prêt, mécanismes qui permettent de suspendre automatiquement les paiements de la dette lorsqu’un pays est frappé par une catastrophe. L’AFD avait déjà fait cette proposition il y a vingt ans, pour contrer les chutes de prix des matières premières, du coton dans le Sahel en particulier. Aujourd’hui, nous voulons généraliser ces clauses face aux catastrophes climatiques comme les cyclones. L’AFD travaille également en ce moment à l’origination de crédits carbone de grande qualité dans les projets de développement, qui pourraient être achetés par des investisseurs privés ou publics, comme le prévoit l’article 6 de l’Accord de Paris pour le climat de 2015.
Et c’est tout le groupe AFD qui sera présent en Espagne. Proparco sera à Séville pour expliquer comment notre filiale parvient, pour chaque euro d’argent public investi, à mobiliser un euro d’argent privé à partir de 2025. Expertise France sera là également, avec ses pairs, pour porter les enjeux de mise en œuvre des projets et de l’assistance technique. C’est essentiel, car à Séville on ne va pas seulement parler de volumes financiers mais discuter aussi de mise en œuvre concrète et de capacités d’absorption.
Quels effets et changements concrets attendre de ce sommet, dans le contexte de la refondation de la finance mondiale ?
Rémy Rioux : J’espère que ce sommet sera un moment de consensus et d’action. Une façon d’y parvenir, c’est de mettre les banques publiques de développement nationales, en particulier celles des pays du Sud, sur le devant de la scène. Un travail de fond est réalisé ici par le groupe AFD depuis plus de dix ans, au sein du club IDFC créé en 2011 puis dans le cadre du mouvement Finance en commun (FiCS) lancé en 2020. Le premier livre de référence sur les banques publiques de développement sera présenté à Séville. Alors que les institutions financières publiques étaient quasi absentes des conclusions du sommet d’Addis Abeba en 2015, c'est l’inverse dans le compromis de Séville où elles sont omniprésentes. Le rôle des banques publiques de développement (les « public development banks », PDBs) nationales est établi de façon détaillée au paragraphe 30, comme l’une des modalités privilégiées pour mobiliser les ressources domestiques, en particulier l’épargne des particuliers. Les PDBs sont en effet le chaînon manquant entre les budgets publics et les marchés financiers. Elles peuvent contribuer très significativement à la qualité de l’investissement.
Et puis, au paragraphe 37 et pour la première fois dans un texte onusien, les PDBs sont conçues comme un système formant la colonne vertébrale de l’architecture financière internationale. Le groupe AFD travaille aujourd’hui avec plus d’une centaine de banques publiques de développement, qu’elles soient clientes ou partenaires de cofinancement. Nous estimons que nous pourrions en accompagner beaucoup d’autres vers les marchés financiers, en mobilisant notamment les outils de garantie développés par la Commission européenne puis par MIGA au sein du groupe Banque mondiale. Sans créer de nouvelles institutions, l’objectif est ici de bâtir une architecture plus capillaire, plus vaste, plus respectueuse aussi, qui irriguerait jusqu’au dernier kilomètre. Car la force d’une banque publique de développement nationale, c’est précisément son ancrage dans son propre pays. Et si elle coopère avec l’AFD ou avec la Banque mondiale, c’est parce qu’elle veut aller plus loin, partager des méthodes, échanger d’égal à égal et bénéficier de financements moins coûteux pour servir ses clients.
Enfin, nous publierons à Séville avec mes collègues de l’AFD Thomas Mélonio et Jean-David Naudet, un nouveau Policy Paper. Après avoir expliqué comment la finance climatique a bousculé l’aide publique au développement (voir L’aide publique au développement à l’âge des conséquences), puis esquissé un nouveau cadre de référence (voir Deux poids, deux mesures pour le financement du développement), l’AFD estime qu’il est temps de proposer une unification des référentiels actuels — aide publique au développement, finance climat, Total Official Support for Sustainable Development (TOSSD) — pour les rendre plus lisibles. Notre nouvelle étude (voir Au-delà de la « dichotomanie ») s’interroge sur les catégories traditionnelles, en particulier la dichotomie « pays en développement » / « pays développés », qui structure encore très fortement les relations internationales mais ne reflète plus la réalité de l’économie mondiale, après l’émergence de nombreuses Nations du Sud. Le monde n’est plus binaire : il est devenu un continuum de situations. D’ailleurs, 61 des pays dans le monde, soit un pays sur trois, sont à la fois des pays en développement et des pays développés. Tout cela nourrit une forme de confusion qu’il nous faut à présent dépasser. Il faut redonner du sens à ce que nous faisons. Sinon, les vents contraires qui soufflent déjà pourraient bien se renforcer…