Elle est de ces femmes pour qui mettre leurs compétences au service du bien commun est un impératif. Des âmes précieuses dans un pays comme le Burkina Faso, en proie à l’insécurité et à la pauvreté. À 39 ans, Fadima Kambou mise sur l’humain à travers des projets sociaux pour les Burkinabés.
Cette fibre s’est manifestée très tôt. « J’ai toujours eu cette curiosité pour le secteur des ressources humaines. Dès l’âge de 14 ans, je demandais tout le temps à ma mère sa fiche de paie, afin de voir comment on la payait, comment cela était calculé », confie celle qui est la quatrième d’une fratrie de six, et la première fille.
Tout naturellement, après une licence en communication, elle embrasse un parcours ressources humaines à Paris. « J’ai commencé ma mission en demandant à la directrice des ressources humaines de me laisser aller sur le terrain. J’ai donc travaillé avec les ouvriers du groupe, à leurs postes respectifs, pour mieux comprendre ce qu’ils faisaient, pour mieux saisir leurs besoins. Cela me semblait indispensable avant de pouvoir prendre des décisions ou des initiatives plus avisées. »
Ce goût des autres s’exprime aussi en dehors de la sphère professionnelle : au sein de son église, elle identifie des jeunes en difficulté, dont certains semblaient voués à l’échec, et leur apporte un soutien. En 2018, elle quitte la France, son pays d’adoption, avec l’idée de servir son pays d’origine, le Burkina Faso.
Fadima enchaîne les initiatives : directrice des ressources humaines d’une institution de microfinance ouagalaise, à la tête d’un programme consacré à l’innovation sociale pour l'employabilité des jeunes du pays et de la diaspora… En 2020, elle décide de se consacrer à Go PAGA, un projet venant en aide aux familles de soldats morts pour leur patrie. Car « le pays des hommes intègres » lutte contre les affres du terrorisme qui gangrène toute la région, et le premier rempart contre ce fléau reste militaire.
Aux origines de Go PAGA
À l’origine de ce programme pilote d’accompagnement professionnel et scolaire à l’égard des veuves et des orphelins de militaires tombés au combat, se trouve une voisine de Fadima, épouse de militaire, dont les enfants jouent avec les siens. Un jour, la directrice des ressources humaines apprend sur les réseaux sociaux que des attaques ont eu lieu dans le nord du pays. Une troupe partie au combat ne donne plus de nouvelles. Inquiète, Fadima se doute que le mari de sa voisine est en opération.
Elle va donc chez elle le soir même pour une visite de courtoisie, avec l’idée de la soutenir indirectement. Car elles n’échangent jamais sur le métier de son mari militaire. Pourtant, et pour la première fois, les mots sortent et sa voisine lui confie toute son inquiétude : elle n’a pas de nouvelles depuis deux jours.
Secouée, Fadima rentre chez elle, marquée par le tourment de cette femme mère de trois enfants. Elle se met à sa place, elle dont le mari est un ancien du Prytanée militaire de Kadiogo, établissement formant des cadres militaires et civils pour servir la nation. Une perspective terrifiante pour Fadima : « Je me suis alors demandé ce que je pouvais faire, à mon niveau, avec mes compétences, pour contribuer à quelque chose, pour me sentir utile. » De là naît une idée de programme individualisé.
Désormais, cet effort de guerre porte un nom : Go PAGA. « Go » signifie « aller » en anglais et PAGA « femme » en moré, l’une des langues principales du Burkina Faso. Un programme pilote de quatre mois, initié sur fonds propres en partenariat avec l’armée nationale et soutenu dans sa phase initiale par Jeunesse Sahel, un projet de l’Agence française de développement au Grand Sahel.
Un premier test avec sept femmes et une adolescente – fille d’un des défunts – porte déjà ses fruits et suscite des élans de solidarité citoyenne. Ainsi, lorsque Fadima a souhaité contracter des assurances santé pour l’ensemble des femmes du projet pilote et de leurs enfants, le directeur de la société Yelen Assurance a tenu à offrir toutes les assurances pour « contribuer à soutenir le moral de ceux qui se battent pour la liberté et la paix des Burkinabés. »
Résister aux sirènes du terrorisme
Les enjeux sont de taille. « Go PAGA, c’est participer à donner une réponse concrète de la société civile quant au sort de ces familles-là. C’est contribuer à lutter contre le terrorisme », insiste Fadima.
Cette mère de famille connaît bien le poids des traditions et la volonté de nombreuses femmes d’y échapper. Elle prend l’exemple d’une femme de la ville de Djibo dont le conjoint est décédé : « La coutume du lévirat veut qu’elle épouse le frère ou l’oncle de son défunt mari. Si elle refuse, elle se retrouve abandonnée, chassée. Et ça, c’est du pain béni pour ceux qui voudraient l’embrigader. »
Les femmes peuvent être particulièrement vulnérables, notamment lorsqu’elles sont mères. « Une femme est prête à tout pour le bien-être de son enfant. Jusqu’aux derniers sacrifices. Parce qu’elle cherche pour lui la stabilité et la sécurité. Quitte à devenir l’épouse d’un terroriste », souligne Fadima. Et d’ajouter : « détourner la femme d’un militaire tué au combat pour la rallier à sa cause serait d’ailleurs pour les terroristes une double victoire symbolique. »
L’enjeu des orphelins est tout aussi essentiel. « Si on ne s’en occupe pas, ce sont des jeunes qui pourraient facilement se retourner contre le pays. Par frustration de voir leur mère délaissée. Et par reconnaissance envers ceux qui leur tendent la main en les recrutant dans leurs sombres rangs », alerte-t-elle.
Le projet Go PAGA ne consiste pas à distribuer de l’argent aux veuves de soldats. « On leur trouve une solution durable et personnalisée en les accompagnant pour se stabiliser au niveau professionnel. En tenant compte de leur niveau scolaire et en partant de qui elles sont, chacune. En travaillant à leur indépendance pour qu’elles puissent prendre soin d’elles, de leurs enfants et même de plusieurs personnes dans la famille », souligne Fadima. Le programme a été lancé officiellement le 13 février dernier à Ouagadougou, devant une cinquantaine d’invités. La restitution du projet pilote est prévue pour juin prochain.
À en croire certains responsables militaires, le programme aurait d’ores et déjà un impact sur le moral des troupes. Partir pour une mission « aux finalités incertaines » tout en sachant que leur famille sera aidée dans le cas où ils perdraient la vie semble être une motivation supplémentaire dans leur engagement.
Fadima, elle, rêve déjà à la suite : un programme Go PAGA national pour l’ensemble de l’armée et une assurance maladie à vie pour les veuves et les orphelins de guerre. Un souhait qui pourrait bien se concrétiser grâce à l'engagement sans faille de la jeune femme et de son équipe.