Les sept pays d’Asie du Sud-Est dans lesquels l’Agence française de développement (AFD) intervient se distinguent par leurs niveaux de développement très disparates. Cambodge, Laos, Vietnam, Thaïlande, Philippines, Indonésie et Birmanie présentent des contrastes marqués tant linguistiques, religieux, politiques qu’économiques et géographiques. Des dynamiques communes émergent néanmoins, notamment au regard de la grande vulnérabilité de ces territoires au changement climatique, de la perte de biodiversité et de l’augmentation des inégalités.
Des défis renforcés par la pandémie du Covid-19, comme l’a rappelé dès le début de la conférence Joseph Zveglich, chef économiste de la Banque asiatique de développement (BAsD). Selon les prévisions du rapport Asian Development Outlook publié par la BAsD, l’Asie du Sud-Est sera la région asiatique la plus touchée économiquement par la crise en 2022, avec une baisse de 8,6 points de son PIB par rapport à la situation pré-Covid, contre 2,5 points pour la région Asie en général.
Face à l’ensemble de ces défis, Jean-Pierre Marcelli, directeur des opérations à l’AFD, a insisté sur l’importance d’adopter une approche globale : « Il faut privilégier des approches en nexus, c’est-à-dire agissant à la fois sur les sphères économique, sociale et environnementale afin de lutter contre le changement climatique et pour le développement durable, tout en renforçant la résilience des populations. »
Une réponse adaptée de la France
Lors de ses remarques introductives, Philippe Lacoste, directeur du développement durable au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, a rappelé l’engagement de la France pour la mise en œuvre des objectifs de développement durable et de l’Accord de Paris dans le monde : « avec la nouvelle loi de développement adoptée en août 2021, la France se donne les moyens de contribuer de manière plus efficace à la lutte contre les inégalités et la protection des biens communs. »
Voir ici la première partie de la conférence en anglais
La stratégie de l’AFD en Asie du Sud-Est, publiée en novembre 2020, répond tout particulièrement à certains des grands enjeux identifiés en Asie du Sud-Est. Ainsi, trois grandes priorités ont été identifiées : la transition vers des trajectoires bas-carbone et la résilience des territoires, la préservation et la gestion durable de l’environnement terrestre et maritime, et enfin la lutte contre les déséquilibres sociaux et les inégalités.
L’importance de la coopération entre acteurs du développement
L’objectif de la conférence était aussi de s’interroger sur la manière d’agir pour améliorer l’impact des actions de développement dans la région, « centre économique et stratégique de la planète », selon Igor Driesmans, ambassadeur de l’Union européenne auprès de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). Le mot d’ordre : renforcer la coopération. « Il est essentiel de s’assurer que nos objectifs soient concertés, et a minima qu’ils se complètent, pour que notre action soit efficace », a insisté Armida S. Alisjahbana, secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l'Asie et le Pacifique (UNESCAP) et sous-secrétaire générale des Nations unies. Une vision partagée par S.E. Robert Mateus Michael Tene, Secrétaire général adjoint de l’ASEAN, qui a souligné l’importance « de la transparence et du dialogue pour atteindre cet objectif » et S.E. Igor Driesmans.
Minh-di Tang, cheffe de la division Asie du Sud-Est au sein du ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères, a quant à elle salué « les nombreuses synergies entre les perspectives de l'ASEAN sur l'Indo-Pacifique, la stratégie de l’Union européenne et la stratégie de la France ». Elle s'est aussi félicitée de la variété des opportunités de coopération qui s’ouvrent avec le statut récemment obtenu par la France de partenaire de développement auprès de l’ASEAN.
Lever les barrières pour l’investissement
Le secteur privé a un rôle central à jouer dans la transition énergétique de la région. « La coopération entre secteur public et privé est nécessaire pour soutenir les pays dans leurs ambitions et les appuyer dans l’atteinte de leurs Contributions déterminées au niveau national (CDN, au cœur de l’Accord de Paris). Pour cela, il faut que nous adoptions une feuille de route cohérente sur la transition énergétique », a expliqué Beni Suryadi, directeur de l'énergie, des combustibles fossiles, des énergies alternatives et du stockage au sein du Centre de l'ASEAN pour l'énergie.
Un cadre législatif stable est nécessaire : « Nous devons comprendre les contextes locaux pour surmonter ces obstacles, et appuyer la mise en œuvre de régulations au cas par cas », a ajouté Sirpa Jarvenpaa, directrice de l’organisation Energy Transition Partnership.
D’où l’intérêt d’une approche telle que celle portée par l’AFD, comme l’a défendu Raphaël de Guerre, directeur régional de Proparco en Asie du Nord et du Sud-Est : « L’AFD peut apporter un soutien à un secteur en amont, puis Proparco intervient pour soutenir le secteur privé dans son investissement. »
Préserver la biodiversité : une variété d’approches
Autre enjeu clé pour la région : préserver la biodiversité autour du Mékong, fleuve traversant quatre pays sud-est asiatiques. Pour Carl Middleton, directeur du centre d'études sur le développement social de l’Université de Chulalongkorn, la réponse nécessite de répondre à deux questions : « pourquoi la préserver ? » et « qui est en charge de la préservation ? ». Selon lui, « il y a une diversité d’approches qui peuvent être mises en place pour préserver le Mékong, mais cela nécessite d’instaurer un dialogue public inclusif. »
Thim Ly, planificateur du bassin de la Mekong River Commission, a présenté l'approche de celle-ci et les priorités stratégiques, pensées dans une approche transversale : protéger l’environnement, assurer le bien-être social et le développement économique, renforcer la coopération institutionnelle et renforcer la résilience, notamment contre les inondations et les sécheresses extrêmes.
Une approche mise en perspective par Jake Brunner, chef du groupe indo-birman à l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) : « Le Mékong est un fleuve qui s’autorégule. Ses inondations ne sont pas violentes ni imprévisibles, et des millions de gens en dépendent pour l’agriculture. Il est vain de vouloir contrôler la nature : il faut la laisser se réguler seule ! »
Justice environnementale et climatique : sur tous les fronts
Enfin, question grandissante pour le développement inclusif de la région, l’accès à la justice environnementale et climatique a été abordé lors de la dernière table ronde. Le défi à relever est de taille. Il s'agit de « commencer par renforcer la régulation, faire des lois, mettre un cadre législatif », selon la coordinatrice régionale « Droit de l'environnement et gouvernance » au sein du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Georgina Lloyd.
Encore faut-il que ces lois puissent être mises en œuvre, a ajouté Jean-Philippe Rivaud, substitut général près la cour d'appel de Paris : « L’efficacité de la loi est tout aussi importante que sa création. Et pour cela, il est nécessaire de former les juges et les magistrats, mettre en place une police pour faire appliquer les lois, et renforcer la coopération internationale pour pouvoir mener efficacement les enquêtes. »
Une vision partagée par Christina Pak, avocate au sein de la BAsD : « la justice environnementale est complexe et nécessite des connaissances techniques, et une compréhension de la base scientifique et politique. C’est pour cela qu’il faut que cette matière soit incluse dans les programmes des écoles de la magistrature. »
Voir ici la seconde partie de la conférence en anglais