Au Maroc, l’agriculture représente 13,1 % du PIB et joue un rôle important de pourvoyeur d’emplois (39 % de la population active du pays). Le domaine agricole fait donc l’objet d’une attention accrue de la part de l’État marocain qui multiplie initiatives et projets.
L’un des projets majeurs lancé en 2008 par le pays est le Plan Maroc Vert (PMV). Rebaptisé Génération Green pour la période 2020-2030, cette initiative a pour lignes directrices « l’efficience économique, l’équité sociale et la préservation des ressources naturelles » selon le ministère de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts marocain.
Le programme Istidama, lancé par le Groupe Crédit Agricole du Maroc (GCAM) en partenariat avec l’AFD, propose des solutions de financement ciblées, par exemple pour équiper en matériel agricole les fermes ou les agro-industries au service de l’efficacité énergétique et de la production d’énergie renouvelable. Le programme finance aussi des projets d’agriculture biologique ou de traitement et de valorisation des déchets agricoles.
Les bénéficiaires du programme Istidama peuvent notamment financer l’installation de matériels de systèmes solaires thermiques ou photovoltaïques ou d’unités de valorisation des déchets plastiques générés par l’activité agricole. D’autres, pour optimiser l’utilisation de l’eau dans leurs cultures, peuvent acquérir des systèmes d’irrigation complets et ainsi limiter leur consommation hydrique.
Depuis de nombreuses années, l’AFD a su entretenir un partenariat durable avec le GCAM et ainsi financer, via une enveloppe de 50 millions d’euros, les initiatives de développement agricole dans le milieu rural marocain, notamment mises en place via des programmes comme Istidama.
Ces projets ont d’ores et déjà des effets concrets sur le quotidien des agriculteurs bénéficiaires : une amélioration de leurs conditions de travail et de production les rendant plus compétitifs sur les marchés aussi bien locaux qu’européens et internationaux, tout en respectant les ODD.
Chez les Alami, l’agriculture est une affaire de famille. Ancien consultant dans le digital et le développement durable à Paris, Ali Alami est revenu au Maroc il y a quelques années pour faire de sa passion pour l'agriculture son métier. Une passion qu'il a développée aux côtés de son père, lui aussi amoureux de la terre.
Aujourd’hui, dans le village de Tiddas (province de Khemisset), Ali Alami se consacre à la gestion de ses champs. Il a pu obtenir la certification bio Maroc, Europe et Amériques pour les oliviers plantés il y a une dizaine d’années par son père et cultive une parcelle de caroubiers ainsi qu’une terre de blé ancien. En parallèle, Ali Alami développe un projet de maraîchage et d’arbres fruitiers biologiques et agro-écologiques. « C’était mon rêve, explique l’agriculteur de 37 ans, mais c’était un projet très coûteux. » En 2023, il obtient le financement du programme Istidama et se lance dans l’aventure.
« Istidama m’a permis de mettre en place une infrastructure adaptée à l’agro-écologie en un temps record, confie Ali Alami. Si je n’avais pas eu accès à ce programme, j’aurais dû commencer avec une parcelle plus petite et attendre avant d’étendre mes cultures. »
C’est donc avec un champ de 8 hectares de maraîchage et d’arbres fruitiers, entièrement irrigué, qu’il débute son projet fin 2023 : « Istidama a financé le forage du puits, la pompe, le terrassement du bassin, toute la tuyauterie et les électrovannes qui couvrent l’ensemble de mes parcelles, détaille le jeune agriculteur. Tout le nécessaire à une irrigation adaptée à la culture biologique et agro-écologique est financé par ce programme. »
Ali Alami débutera dans quelques semaines la plantation de ses légumes. Concombres, tomates, choux kale, oignons, radis, herbes aromatiques…, ces plants vont entourer les arbres fruitiers dont une partie a déjà été mise en terre. Il a choisi des espèces adaptées à la région : « Les jujubiers, les figuiers ou encore les grenadiers n’ont pas besoin de beaucoup d’eau ». Il vient de planter des citronniers et attend l’an prochain pour les pêchers et les abricotiers. « Je souhaite avoir une offre variée qui me permettra de vendre des paniers complets. L’objectif est de faire de la vente directe et de s’adresser directement aux consommateurs qui cherchent des produits sains et nutritifs. Tout ce que je fais est destiné à un marché local ! », s’enthousiasme-t-il. Dans quelques mois, l’agriculteur pourra mettre en place un système de paniers livrés via des points relais à Rabat et Casablanca.
Ali Alami a une vision à long terme. Il cherche à développer et à régénérer le sol pour que l’activité soit rentable dans les prochaines années : « Mon but est de faire de l’agriculture durable avec des produits nutritifs qui poussent sur un sol sain et vivant. Avec cette approche écologique et biologique, cette terre sera, au fil des ans, de plus en plus fertile. » Pour lui, la question écologique est importante : « C’est du bon sens selon moi. Je souhaite que mon agriculture soit productrice et non consommatrice. Cela prend plus de temps mais, in fine, mon activité coûtera moins cher tout en créant des produits de meilleure qualité et plus nutritifs. »
Abdelmalik Kharbouch se dresse fièrement près du semoir à semis direct acquis il y a tout juste un an. « Cela fait cinq ans que je sème mon blé, mon fenugrec et mes pois chiches avec la technique du semis direct mais, jusqu’à l’année dernière, je devais louer la machine de mon ami Rachid, confie l’agriculteur de 64 ans. C’est lui qui m’a converti à cette technique et m’a encouragé à sauter le pas avec le programme Istidama. Sans Rachid, je n’aurais pas ce semoir », s’exclame-t-il en posant une main sur l’épaule de son ami.
Aux côtés d’Abdelmalik, Rachid Elgziri a le sourire. Agriculteur depuis trente ans, il possède une trentaine d’hectares à Jorf El Melha (province de Sidi Kacem), où il cultive des céréales comme le blé tendre, le blé dur, l’orge ou encore la coriandre. Il est passé à la plantation en semis direct il y a six ans. « J’ai commencé par tester cette technique avec un semoir distribué par l’Office chérifien des phosphates (OCP) via une association agricole locale. Puis j’ai fait la transition de manière progressive vers le semis direct et aujourd’hui c’est la seule technique que j’utilise dans mes champs. Je possède cinq semoirs, ce qui me permet d’en louer aux voisins. Ça m’a changé la vie et j’ai pu me débarrasser des anciens outils qui me coûtaient cher aussi bien en temps qu’en argent, explique fièrement l’agriculteur en pointant du doigt la bineuse à disques et la charrue de son grand-père posées au sol. Je n’utilise plus ces machines et je ne laboure plus mes terres. Quand j’ai appris que cette technique endommageait mes sols, j’ai compris qu’il fallait changer ma façon de travailler. » Le labour, en enfouissant la matière organique en profondeur, appauvrit les sols et favorise l’érosion par le vent et la pluie.
« C’est important pour moi de préserver la terre, les terres de mon pays me sont chères. Il en va de notre responsabilité, collectivement, de préserver notre environnement, affirme l’agriculteur de 49 ans. C’est pour cela que j’encourage tous mes amis à sauter le pas et à acheter un semoir de semis direct. » Mais sans aide financière, Rachid Elgziri le confesse, il n’aurait pas pu rassembler l’argent nécessaire : « Le programme de crédit Istidama m’a facilité la vie. Un semoir peut coûter jusqu’à 300 000 dirhams (environ 30 000 euros), il m’aurait été impossible de débourser tout cet argent. Alors j’ai sauté sur l’occasion et j’ai encouragé Abdelmalik à en faire de même. »
« Ce semoir a changé ma vie, confie Abdelmalik. Avant, je passais énormément de temps à labourer et ça me coûtait très cher. Pour planter mes 10 hectares de terres et les 20 hectares que je loue, j’avais besoin d’environ 250 kg de graines. Aujourd’hui, pour la même surface, je n’ai plus besoin que de 150 à 180 kg. Avant, je récoltais 35 à 45 quintaux par an (3,5 à 4,5 tonnes), contre 80 quintaux (environ 8 tonnes) aujourd’hui. Cette machine, je l’ai dans le sang. Je n’arrêterais de l’utiliser pour rien au monde », conclut-il en riant.
Pour Rachid, les avantages de l’utilisation d’une telle technique ne s’arrêtent pas là. « Le blé planté avec le semoir est plus grand et pousse mieux, dit-il en tenant deux brins de blé à la main. Les grains aussi sont plus gros, regardez comme il est beau notre blé ! » L’agriculteur est aussi très fier de la coriandre qu’il plante pour en récolter les graines à la fin de l’été ou au début de l’automne. « Venez voir ma belle coriandre, dit-il au milieu de son champ fleuri en ce début de printemps. Dans quelques mois, je vais pouvoir récolter les graines, avant d’utiliser la technique de semis direct, les quantités étaient bien moindres et les graines moins grosses. »