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Méduses © Steve Miller / Flickr
C’est une coopération qui a de quoi surprendre au premier abord. L’Agence française de développement (AFD) et l’Agence nationale de la recherche (ANR) se sont associées pour lancer un défi scientifique, le challenge IA-Biodiv, en collaboration avec Expertise France. Ou comment faire avancer la recherche en intelligence artificielle au service de la biodiversité. Rencontre avec Kamal Dadi, de l’équipe Innovation de l’AFD, pour en préciser les contours.

En quoi consiste ce challenge scientifique ?

Kamal DADIKamal Dadi : Ce défi vise à faire avancer la recherche en intelligence artificielle, et plus précisément à travailler autour des verrous scientifiques standards de l’intelligence artificielle (IA) aujourd’hui, à concevoir des modèles et indicateurs de prédiction innovants, ainsi qu’à optimiser des méthodes d’IA pour la recherche en biodiversité. L’objectif est d’opérationnaliser les résultats de ces recherches et d’appuyer, à terme, les politiques publiques ou le secteur privé.

Concrètement, à partir du 31 août, cinq équipes de chercheurs et chercheuses seront sélectionnées : trois équipes franco-françaises et deux équipes mixtes françaises et africaines. Elles s’engageront à mener un travail de recherche d’une durée de quatre ans sous la conduite d’un consortium opérationnel composé du Pôle national des données en biodiversité, filiale du Musée national d’Histoire naturelle, du Laboratoire national de métrologie et d'essais et de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. En effet, il est urgent de produire des sciences au service du progrès durable et d’utiliser la technologie là où elle peut être la plus utile. En améliorant les modèles de prédiction, les algorithmes, cela aidera les écologues à extraire des connaissances signifiantes à partir des quantités massives de données disponibles.

Une agence de financement de la recherche, un acteur privé et une banque de développement qui font équipe autour d’un projet, voilà un casting étonnant !

K.D. : Et pourtant ! Imaginé par l'ANR et l'AFD qui cofinancent ce challenge, ce projet bénéficie également d'un don du laboratoire de recherche en intelligence artificielle de Facebook (Facebook Artificial Intelligence Research, FAIR). Il mobilise également l’appui technique d’Expertise France, qui rend possible le financement et l’accompagnement de consortiums africains dont les besoins sont spécifiques. Tout d’abord, chacun des acteurs est porteur d’excellence dans son champ disciplinaire. C’est un véritable processus d’innovation partagée que nous avons structuré ces deux dernières années, convaincus par la pertinence de l’approche pluridisciplinaire. Aujourd’hui, il est essentiel d’innover dans la manière même de fabriquer de la science. La recherche scientifique devient justement un objet de recherche. Notons aussi que nous sommes dans une logique open source, donc pas de brevet propriétaire à la clef, et une approche tournée vers l’intérêt général. Enfin, nous allons faire l’expérience grâce à ce challenge de ce que nous appelons dans notre jargon « la montée en TRL (Technology Readiness Level) » ou la maturation technologique. Autrement dit, comment aller rapidement vers l’opérationnalisation de la recherche scientifique ainsi produite à terme.

L'AFD, l'ANR et le FAIR s'associent pour lancer le challenge IA-Biodiv

 

Quelles difficultés rencontrent les chercheurs travaillant sur la biodiversité ?

K.D. : Les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et les récentes conclusions de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques sont univoques quant à l’état des lieux et les enjeux de sauvegarde de la biodiversité. Ainsi, nous savons aujourd’hui qu’il y a une corrélation entre le taux de croissance et les capitaux naturels des pays ; 50 % du PIB mondial dépend du capital naturel. Les dépendances sont aujourd’hui démontrées et les grandes arènes de la régulation financière les prennent désormais en compte.

On s’aperçoit également que la biodiversité est un sujet souvent subalterne dans les politiques et les stratégies de développement durable des organisations internationales. Plusieurs raisons à cela : la seule grille de mesure précise et « intuitive » de l’impact sur la biodiversité est le bilan carbone. Les impacts du changement climatique sont encore mal connus et encore moins formalisés en un outil de mesure applicable à grande échelle. D’ailleurs, les bases de données qui permettraient de s’y pencher sont encore incomplètes et longues à mettre à jour.

Par exemple, on sait que près de 95 % des océans restent inexplorés, les scientifiques n’ont décrit que 1,5 million des 10 millions d’espèces vivantes estimées sur terre. On n’en sait que très peu sur les interactions entre ces espèces, avec l’homme, et les futurs impacts du changement climatique sur leur évolution. De plus, la composante biodiversité est intimement liée à la qualité de l’air, de l’eau, des sols, à l’artificialisation des sols, aux choix des cultures, à l’éclairage de nos villes… La biodiversité devrait donc être traitée de façon transverse, telle l’énergie, et non comme un sujet cloisonné.


Pour en savoir plus et candidater au challenge IA-Biodiv


Que peut apporter l’intelligence artificielle à la recherche en matière de biodiversité ? Les deux domaines peuvent paraître éloignés, voire antagonistes… 

K.D. : Un domaine peut en servir un autre ! Autrement dit, ce n’est pas par hasard que l’intelligence artificielle trouve sa place dans l’avancée des recherches en cours sur la biodiversité : complexité des modèles, masses de données gigantesques et incomplètes, multiples solutions possibles… L’intelligence artificielle a un rôle essentiel à jouer : elle peut faire gagner du temps aux chercheurs, apporter des réponses lors d’analyses de comportements complexes, aider à l’estimation et à la compréhension des phénomènes d’évolution des populations du vivant végétal ou animal, et ce grâce aux données existantes et à celles issues d’observations collectives combinées à d’autres facteurs (météo, pollution, etc.) La biodiversité constitue un enjeu majeur du XXIe siècle pour l’humanité. La caractérisation de l’impact du changement climatique et du déclin de la biodiversité nécessite des analyses sophistiquées.

Retrouvez ci-dessous un webinaire (en anglais) du 6 mai dernier consacré au challenge IA-Biodiv.