Au Cameroun, Serge Armel Njidjou, fondateur du fab lab AUI-Techno, est devenu le champion de la lutte contre la mortalité des nourrissons prématurés en imaginant un modèle de couveuse néonatale adapté aux besoins très spécifiques de son pays. Retour avec lui sur la genèse de ce projet déjà multi-récompensé et sur ses perspectives de croissance.
D’universitaire reconnu dans le domaine du numérique à dirigeant d’un fab lab, votre parcours est singulier. Comment en êtes-vous venu à créer AUI-Techno ?
Serge Armel Njidjou : Cette idée est le fruit d’un long processus de maturation. J’ai fait toute ma carrière à l’Université de Dschang, à l’ouest du Cameroun, dans le domaine du numérique. En parallèle, j'étais également chef du Centre d’interface avec les milieux industriels. J'ai toujours eu en moi la passion de l’entrepreneuriat. Au sein de mon université, j’ai contribué au développement de structures d’incubation de plusieurs projets.
C’était très intéressant mais je restais considérablement frustré par l’inertie du milieu universitaire, la lourdeur des procédures administratives notamment, qui ralentissait considérablement le développement et la mise sur le marché d'initiatives innovantes. Les idées étaient là, mais elles ne débouchaient sur rien de concret.
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C’est pourquoi j’ai finalement décidé, fin 2015, de fonder mon propre fab lab, AUI-Techno, avec la ferme intention de réunir autour de moi les meilleurs talents et d’accompagner des projets porteurs de sens et 100 % Made in Cameroun, de leur conceptualisation à leur commercialisation.
Et c’est dans ce contexte d’émulation intellectuelle qu’est née l’idée de ces couveuses néonatales interactives ?
Tout à fait. Au départ, il ne s’agissait que d’une idée parmi d’autres. Le déclic a eu lieu lorsque nous avons reçu, pour notre premier prototype, le prix spécial du chef de l’État lors des Journées d’excellence de la recherche scientifique, en 2018. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur ce projet en particulier.
Un projet qui vient répondre à un véritable manque au Cameroun…
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à l’heure actuelle, le Cameroun ne dispose, en tout et pour tout, que de 100 couveuses néonatales pour plusieurs milliers de structures sanitaires. On estime qu’environ 15 000 décès de nourrissons prématurés pourraient être évités chaque année si le système de santé camerounais disposait des équipements adéquats.
Autre problème, toutes ces couveuses sont importées : la plupart viennent d’Europe ou d’Asie, et nous ne disposons pas de techniciens sur place ayant les compétences adéquates pour en assurer le bon fonctionnement.
En outre, elles ne sont pas du tout adaptées aux contraintes locales. Il suffit d’une coupure du courant électrique pour déclencher une panne. Résultat, tout le système de santé se retrouve à renoncer à l’usage de ces couveuses, déjà peu nombreuses, avec les conséquences dramatiques que vous imaginez pour les nourrissons prématurés. C’est pourquoi nous avons soigneusement étudié les demandes du personnel soignant pour imaginer un produit qui colle au plus près aux besoins sur le terrain.
Quelles sont ses spécificités ?
Son premier atout, c’est sa résilience énergétique. En cas de coupure d’électricité, ou même tout simplement en l’absence d’approvisionnement en électricité, ce qui est le cas dans certaines zones du pays, nos couveuses peuvent fonctionner à l’énergie solaire.
Autre spécificité : comme nous avons un gros déficit de personnel bien formé en pédiatrie au Cameroun, nous avons fait en sorte qu’elles soient les plus interactives possible : les médecins pédiatres ont la possibilité d’étudier à distance les indicateurs de santé des nourrissons, via leur smartphone, tout en traitant d’autres jeunes patients en parallèle.
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Les couveuses disposent également d’un système de photothérapie intégré. Enfin, en cas de panne, notre équipe de techniciens reçoit automatiquement une alerte et peut intervenir rapidement pour réparer les équipements.
De combien de couveuses néonatales dispose désormais le Cameroun ?
Encore trop peu, malheureusement. D’abord, parce que le processus d’homologation a été très long, le Cameroun ne disposant pas d’organisme dédié à la certification de ce type d’équipements de pointe. Mais c’est chose faite depuis décembre 2019. Avec le ministère de la Santé, nous avons construit un programme très ambitieux pour que le pays se dote de 500 de nos couveuses néonatales d’ici trois à quatre ans.
Malheureusement, les discussions ont été interrompues par la crise du Covid-19, qui a mis de côté toutes les politiques de santé dédiées à la santé maternelle et infantile. Nous espérons qu’elles reprendront rapidement.
Néanmoins, plusieurs de nos couveuses sont d’ores et déjà utilisées dans un établissement de référence, l’hôpital régional de Bafoussam. Notre ambition à long terme est de distribuer notre produit dans tout le réseau hospitalier camerounais, public comme privé.
Vos équipements ont-ils également vocation à être utilisés à une plus large échelle ?
Oui. En la matière, les besoins ne se cantonnent pas au Cameroun. D’après nos estimations, il y a un déficit d’environ 100 000 couveuses rien qu’en Afrique centrale et de l’Ouest. Nous avons entamé une procédure d’homologation au Burkina Faso, nous sommes également en discussion actuellement avec la Société béninoise de pédiatrie. Notre but est bien de répondre à une demande à très grande échelle.