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Région de Kishoreganj pendant la période des crues, au Bangladesh
Les résultats préliminaires d’une étude réalisée avec l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et Sciences Po éclairent l’articulation du genre et du climat au coeur des discours des principaux acteurs du développement. À l’ère des Objectifs de développement durable, une priorité ne doit pas chasser l’autre.

Quoi de commun entre la réduction des inégalités de genre et la lutte contre le changement climatique ? Les deux sont au cœur de l’Agenda 2030 et des 17 Objectifs de développement durable (ODD) adoptés en septembre 2015 : l’ODD 5 et l’ODD 13 y sont respectivement dédiés. En toute logique, ces deux problématiques sont aussi au cœur des discours, des engagements et des stratégies des principaux acteurs nationaux et transnationaux de l’aide au développement et de la lutte contre les effets du changement climatique.

D’une certaine manière, le défi des ODD s’illustre à travers cette paire d’objectifs. Comment les (ré)concilier ? Peut-on les entremêler ? De quelle manière ces deux problématiques s’articulent-elles dans les stratégies et les discours des nombreux acteurs impliqués ?

C’est tout l’objet d’un travail de recherche ambitieux et novateur initié en 2020 par l’Agence française de développement (AFD) avec l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et le Programme de recherche sur le genre (Presage) de Sciences Po. « L’analyse des discours sur les questions de genre a été menée par de nombreux chercheurs en sciences sociales depuis des années, explique Serge Rabier, socio-démographe chargé de recherche à l’AFD. Cela a permis de mieux comprendre les typologies de discours, qui renvoient à des visions différentes et à des objectifs de transformation plus ou moins profonds des rapports sociaux entre les sexes. »

La lutte contre les changements climatiques s’appuie sur un cadre international structuré depuis 1992 et sur le Sommet de la Terre de Rio, tandis que la prise en compte des enjeux genre s’est invitée dans l’agenda international quelques années plus tard, lors de la 4e Conférence mondiale sur les femmes organisée à Pékin en 1995. « Il y a eu jusqu’ici très peu de travaux de recherche portant sur les deux problématiques et leurs intersections, poursuit ce chercheur, spécialiste des questions de genre. C’est pourquoi nous voulions établir un premier état des lieux pour mieux éclairer ces enjeux, qui sont majeurs aujourd’hui. Or, il est intéressant de commencer par ce que les institutions et les organisations dans le domaine du développement disent, écrivent, déclarent. »

Un nouveau champ de recherche 

En pointe en la matière, l’OFCE a donc été chargé de réaliser une analyse des discours de différentes catégories d’acteurs sur un ensemble de production documentaire assez large. 800 documents en français, en anglais et en espagnol de 54 structures, incluant des institutions internationales, des organisations non gouvernementales, des agences multilatérales et bilatérales ainsi que des banques publiques de développement, ont ainsi été passés au filtre de 150 mots clés et de champs sémantiques associés à la lutte contre le changement climatique et au genre, pour mieux les cerner. 

À l’intersection du genre et du climat, huit cadres interprétatifs (aussi appelés narratifs) ont ainsi émergé, illustrant chacun une approche différente pour les faire converger. Les résultats préliminaires de ce travail de recherche, reçus à la veille du Forum Génération Égalité, montrent que c’est en premier lieu sous l’angle de leurs vulnérabilités que les femmes et les filles sont considérées comme prioritaires dans la lutte contre le changement climatique.

Vient ensuite une vision opposée qui les considère au contraire comme les porteuses d’un potentiel essentiel dans la transition de nos économies vers des modèles plus durables, des jeunes femmes qu’il faut donc éduquer, former et financer davantage. Autant de cadres qui doivent être considérés comme des scénarios d’après Serge Rabier. « Ils mettent tous l’accent sur des priorités et des préférences politiques, économiques ou sociales propres, voire divergentes. Ils présentent tous des avantages et des inconvénients. En réalité, ils sont tous intéressants car ils permettent de s’ancrer dans les réalités très différentes des pays dans lesquels nous intervenons. »

L’étude, dont les résultats seront publiés dans quelques semaines, montre d’ailleurs que les discours des institutions ne sont pas monolithiques : ils peuvent faire appel à l’ensemble des approches identifiées, comme c’est le cas pour l’AFD. 

Et le chercheur de poursuivre, enthousiaste : « C’est un premier travail très riche, qui a permis de créer une base de références et de pistes d’analyse pour aller plus loin, car tout n’est pas encore exploré. » À commencer par les perceptions de ces discours dans les pays en développement ou émergents, leur éventuelle acceptation ou les résistances rencontrées, et bien sûr leur mise en œuvre.

Les discours seront-ils suivis d’actions ? Permettront-ils de traduire en actes une meilleure conciliation des enjeux de genre avec la lutte contre le changement climatique, et d’apporter ainsi des transformations profondes ? Si l’AFD a fait du respect de l’Accord de Paris et du lien social les piliers de sa stratégie, la recherche apporte une pierre de taille à cet édifice.