La région d’Arusha est considérée comme l’un des greniers de la Tanzanie : 40 % du PIB régional provient de la production végétale et 80 % des habitants sont employés dans ce secteur. Néanmoins, cette agriculture est loin d’être durable : les pesticides et autres intrants chimiques sont utilisés à outrance, au point que les habitants se plaignent non seulement du goût des aliments, mais aussi de problèmes de santé, comme des douleurs abdominales ou des ulcères de l’estomac. Dès 2019, « l’appel d’Arusha » avait été signé par de nombreux chercheurs pour alerter sur les conséquences sanitaires des pesticides en Afrique.
Un enjeu de santé publique
Anna Lomayani, 60 ans, agricultrice dans le petit village d'Oldonyowas du district d’Arusha, n’a aucun doute sur la cause de ses maux : « Avant, je consommais des légumes traités chimiquement, et je souffrais d’ulcères à répétition. Depuis que nous sommes passés à l’agriculture biologique et que nous n’utilisons plus aucun pesticide, je n’ai plus aucun problème ! »
Un constat confirmé par une étude réalisée par le Tropical Pesticides Research Institute (TPRI) et l’ONG Rikolto à Arusha : 47,5 % des échantillons de légumes testés avaient des niveaux détectables de résidus de pesticides, dont 74 % au-dessus de la limite maximale recommandée par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Par ailleurs, 63 % des échantillons étaient également contaminés par au moins une souche bactérienne.
Face à ce problème, mais aussi à la baisse de fertilité des sols, les ONG Îles de Paix, Cari, Recoda et le réseau d'agriculteurs Mviwata-Arusha ont créé un projet en trois phases visant à développer des pratiques agroécologiques et une agriculture biologique dans la région d’Arusha. Ce Programme d’accompagnement à la gestion durable des terres et à la transition agroécologique dans la région d’Arusha (Arutae) bénéficie d’une subvention de 500 000 euros de l’AFD pour la première phase actuellement à l’œuvre.
Former les agriculteurs…
Pour faire adopter ces nouvelles pratiques, une approche participative a été choisie, de la création de groupes de producteurs avec leur propre gouvernance, au choix des activités mises en place sur la base des besoins exprimés. « Les producteurs voulaient vraiment faire partie du programme, notamment parce qu’ils se rendent compte que leurs sols ne sont plus aussi productifs qu’avant, mais aussi parce qu’ils veulent apprendre à produire des légumes qui ne sont pas nocifs pour eux ! », détaille avec enthousiasme Sylvester Masanja, chargé de projet pour Recoda.
Dans les villages de Shiboro et d'Oldonyosapuk, nichés sur les versants du mont Meru, des parcelles de démonstration ont été créées. Dans l’une, les agriculteurs attentifs apprennent à planter des légumes en respectant les principes clés de l’agroécologie et en utilisant des pesticides naturels, tandis que dans l’autre, ils s'initient à la production du « manure tea », un fertilisant 100 % bio à base de déjections de vaches.
Chaque agriculteur s’engage ensuite à partager ses connaissances avec trois autres personnes, assurant ainsi une diffusion large de ces nouvelles pratiques. Au total, le projet vise directement 1 500 producteurs dans dix villages, et 30 000 indirectement.
… et sensibiliser les consommateurs
Mais si dans les villages, les habitants sont bien conscients de l’importance de consommer des aliments biologiques, en ville, la perception est différente. Bien que 81 % des personnes interrogées à Arusha déclarent vouloir acheter des produits sains, la plupart d’entre elles se fondent sur des critères peu fiables : la propreté de l’aliment ou son aspect esthétique. Le projet vise donc également à sensibiliser les consommateurs à la sécurité alimentaire, en leur permettant notamment d’identifier les produits bio, ainsi que les vendeurs, sur la base d’un contrat de confiance avec les producteurs. Ces efforts permettront de créer un véritable marché du bio, quasi inexistant aujourd’hui.
Le projet travaille en parallèle avec une dizaine de journalistes afin de former les médias et les faiseurs d’opinion à la question de l’agriculture biologique. L’objectif est de mettre fin aux préjugés et de fournir aux consommateurs une meilleure compréhension des enjeux, et in fine de favoriser l’appropriation de ce sujet par la population tanzanienne.
« Les gens sont réticents à acheter mes carottes, parce que comme elles poussent de manière naturelle, elles sont parfois un peu tordues, elles ne correspondent pas aux standards », explique Godson Mathayo Ayo. Les motivations de l’agriculteur de 73 ans sont tout sauf pécuniaires : « Je ne cherche pas le profit ; j’espère juste qu’avec la certification, plus de gens se rendront compte de l’impact des pesticides sur leur santé, et qu’ils pourront faire les bons choix pour consommer mieux ! »