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Salon de l'agriculture, Cirad
Peut-on garantir une alimentation de qualité aux populations humaines tout en respectant la biodiversité ? Une conférence co-organisée par l’AFD et le Cirad le 24 février au Salon international de l’agriculture a permis de faire le point sur les promesses de l’agro-écologie, notamment pour les pays émergents.

Un lundi ordinaire au Salon international de l’agriculture de Paris. Alors que dans les allées du grand hall, veaux, vaches et cochons se laissent admirer avec la placidité de bêtes de scène, à l’étage, on travaille à réhabiliter… le lombric et l’abeille. 

Véritables ingénieurs des sols et de l’air, ils sont les icônes d’une biodiversité qu’il s’agit de « réintégrer dans l’acte de produire, de transformer, de consommer », comme le souligne Michel Eddi, président directeur général du Centre de coopération internationale en recherche agricole pour le développement (Cirad), en ouverture de la conférence organisée avec l’Agence française de développement (AFD) et intitulée « Peut-on concilier sécurité alimentaire et biodiversité ? » 

Le tournant pris par les agricultures occidentales dans les années 1960 était « basé essentiellement sur une vision chimique ». Les rendements atteints ont permis « une disponibilité apparente en calories par personne inédite dans l’Histoire », mais au prix d’impacts environnementaux massifs, et sans résoudre un paradoxe : à l’heure actuelle, « plus de 800 millions de personnes sont considérées en insécurité alimentaire ».

Aujourd’hui, le développement d’approches agronomiques plus durables, telles que l’agro-écologie, doit s’adosser à une réflexion sur les modèles économiques, souligne Bertrand Walckenaer, directeur général délégué de l’AFD : « Pour bien s’alimenter, combien les consommateurs sont-ils prêts à payer ? Comment assurer aux agriculteurs une juste rémunération ? » L’objectif de la conférence est donc de proposer des solutions tangibles pour « industrialiser l’agro-écologie ». Et Bertrand Walckenaer d’imaginer ce jour où le Salon international de l’agriculture aura pour égérie non plus une vache, mais une abeille ou un lombric. 


Biodiversité et sécurité alimentaire : l’état de la recherche

Pour poser les problématiques croisant biodiversité et sécurité alimentaire, quatre chercheurs se succèdent au micro. Conseillère en ressources génétiques pour des organisations internationales, Juanita Chavez revient sur la question des semences. D’un côté, des agriculteurs qui veulent en maîtriser l’accès et l’usage ; de l’autre, des sélectionneurs qui les privatisent à coups de brevets. « Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l’agriculture de 2004 a rééquilibré la balance en faveur des producteurs », mais le combat n’est jamais gagné. 

Chercheur en politiques agricoles et alimentaires à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), Pierre-Marie Aubert arbitre une autre controverse : elle oppose les tenants du land sparing soit le séquençage entre surfaces agricoles aux rendements maximisés et zones exclusivement dédiées à la biodiversité – à ceux du land sharing pour qui l’activité agricole et la prise en compte des écosystèmes naturels se jouent sur les mêmes terres. Le land sparing, qui a prévalu pendant 15 ans, n’a pas rempli ses promesses en matière de protection de la biodiversité. À l’heure où le GIEC préconise de limiter les terres arables, « il faut à la fois jouer sur la demande en réduisant les gaspillages et la consommation de protéines animales, et transformer l’offre », notamment via des solutions agro-écologiques.  

L’ingénieur agronome Marc Dufumier enchaîne en évoquant le changement de paradigme induit par l’agro-écologie : « L’objet de travail de l’agriculteur, ce n’est ni la plante, ni le sol, ni le troupeau, mais à chaque fois un écosystème agricole aménagé. » Il énumère quelques techniques éprouvées, mais conclut avec malice : « Avec ça, on arriverait à nourrir tout le monde. Le problème, c’est que la question est surtout politique ! »

Le socio-économiste de l’alimentation Nicolas Bricas invite pour sa part à repenser l’organisation de la filière agro-alimentaire : pour garantir la diversité des produits et l’approvisionnement à une échelle locale, il faut « réintroduire de la plasticité dans des procédés industriels devenus trop rigides », « développer des micro-entreprises de transformation » et « promouvoir les marchés de gros plutôt que les centrales d’achat »

Transition agro-écologiques à l’heure de la mondialisation 

Après les chercheurs, place aux acteurs institutionnels. Directrice mondiale des politiques et programmes à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Cyriaque Sendashonga explique comment l’UICN cherche aujourd’hui à « faire ressortir la dimension écosystémique de la sécurité alimentaire en menant des projets agricoles à petite échelle »

Chef d’unité Développement rural, diversité alimentaire et nutrition à la Commission européenne, Leonard Mezzi évoque ses axes de travail : l’accompagnement des producteurs africains, « avec 54 pays tous à des stades différents de la transition agricole », et la quête de bailleurs, « difficile de trouver des acteurs privés prêts à investir sur cette question »

Président du fonds d’investissement Livelihoods, Bernard Giraud souligne pourtant la prise de conscience de l’industrie agro-alimentaire, qui « opère un retour à la biodiversité, au local ». Il déplore quant à lui les orientations prises par certains gouvernements : « Beaucoup font le choix de subventionner des intrants. » Même constat chez Ibrahim Coulibaly, président du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) : c’est parce qu’il est « très difficile de changer les choses par le sommet » que son organisation mise sur une nouvelle génération de paysans : « Au Mali, nous avons développé un centre de formation à l’agro-écologie qui a déjà vu passer 600 jeunes. »

L’après-midi s’achève. Directeur du département Transition écologique et ressources naturelles de l’AFD, Gilles Kleitz revient sur les problématiques qu’ont fait émerger les discussions : la dialectique constante entre « retour au localisme » et mondialisation ; les impulsions venues des pays émergents ; la reconnaissance du service fourni par les agriculteurs à la communauté ; la nécessité de créer des coalitions avec l’ensemble des acteurs. « La biodiversité et l’agriculture sont autant des faits physiologiques que des faits sociaux et économiques » : il faut en accepter la complexité. Il faut aussi avoir en tête, conclut Elisabeth Claverie de Saint-Martin, directrice générale déléguée au Cirad, l’ampleur de la transition agro-écologique entamée : « Aller vers un nouveau modèle de production, c’est long et coûteux. La mobilisation doit être globale. »