Comment deux villes en Inde ouvrent la voie à la préservation de la biodiversité urbaine

publié le 03 Novembre 2021
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Bhubaneswar Biodiversity Indian Cities
L’urbanisation et l’utilisation des terres font partie des sujets clés abordés lors de la COP26 sur le climat organisée jusqu'au 12 novembre à Glasgow, en Écosse. L’Inde, qui compte certaines des villes parmi les plus peuplées du monde, cherche à mettre au point des modes de développement urbain accordant plus de place à la nature. Soutenu par l’Agence française de développement (AFD), le programme CITIIS favorise un développement urbain écologique et durable à Surat et Bhubaneswar.

En 2050, la population mondiale atteindra 9,7 milliards d’habitants, dont 68 % vivront dans des zones urbaines selon le Département des affaires économiques et sociales de l’Organisation des Nations unies. Dans un scénario de maintien du statu quo, ces chiffres entraîneront alors une hausse des constructions et une modification de l’utilisation des terres, une plus forte pression sur les ressources naturelles existantes, une diminution de la couverture végétale ainsi qu’une baisse de la qualité de l’air et de l’eau. Dans ce contexte, une question s’impose : comment construire des villes qui accordent plus de place à la nature et préservent la biodiversité ?

Le programme CITIIS (City Investments to Innovate, Integrate and Sustain), lancé par le gouvernement indien avec le soutien de l’Union européenne (UE) et de l’Agence française de développement, a pour objectif de promouvoir le développement urbain durable. Deux projets dans le cadre de ce programme – le Wild Valley Biodiversity Project à Surat et le B-Active Project à Bhubaneswar – revitalisent des étendues de terres et des cours d’eau pour préserver l’équilibre écologique.

Planification dans une perspective de développement durable

Bien qu’elles soient situées aux extrémités opposées du pays, les villes de Surat et Bhubaneswar partagent un objectif commun : développer plus d’espaces verts urbains et améliorer la qualité de vie de leurs habitants. En Inde, l’urbanisation croissante a eu un impact direct sur les populations de la faune et de la flore locales. Le moineau domestique, par exemple, a disparu dans de nombreuses villes indiennes en raison de la perte de son habitat et de la pollution. Il est donc essentiel que les paysages construits ne soient pas inhospitaliers. Cette idée est au cœur du projet de Surat : il s’agit de transformer les friches urbaines autour du ruisseau Kankara, s’étendant sur 3,5 km, en un parc de biodiversité luxuriante réparti sur 86 hectares de terres.

Au fil du temps, le ruisseau, qui traverse au moins cinq quartiers de la ville, s’est détérioré jusqu’à devenir une décharge à ordures. Pour contrer ce problème, Surat Smart City Development Limited (SSCDL) se tourne vers la phytoremédiation, une technique utilisant des plantes vivantes et des microbes du sol pour supprimer ou réduire les contaminants dans l’environnement immédiat. Dans le cadre du projet, près de 600 000 jeunes arbres comprenant 85 espèces indigènes seront plantés dans le Wild Valley Biodiversity Park. Cela préviendra la pollution de l’eau, tout en améliorant la qualité de l’air. Les mauvaises odeurs devraient aussi être réduites.

« Les villes sont rapidement devenues des jungles de béton avec de moins en moins d’espaces ouverts. Convertir des friches en terres utilisables, intégrer des espaces ouverts et des plans d’eau, et développer de vastes étendues vertes en plantant des espèces indigènes est un rêve devenu réalité », se réjouit le directeur général Transit and Advisor au sein de la municipalité de Surat, Rajesh J Pandya. 

Dans la zone du ruisseau Kankara, certaines dépressions naturelles ont tendance à déborder durant les moussons annuelles. Dorénavant, par le biais du programme CITIIS, elles seront réaménagées pour servir de bassins de rétention d’eau reliés entre eux et seront utilisées comme bassins-versants durant les fortes pluies et les inondations. Ces bassins peuvent constituer un habitat pour les oiseaux et d’autres espèces, créant un espace de biodiversité au cœur de la ville.

Tandis que Surat profitera de la foresterie urbaine, Bhubaneswar augmentera sa couverture végétale en réutilisant ses sites au bord de l’eau pour l’agriculture et l’horticulture urbaines. La ville a la chance de disposer d’un écosystème aquatique avec un niveau élevé de la nappe phréatique et un réseau de 11 drains naturels. Le projet B-Active sera mis en place sur des terrains inoccupés ou sous-utilisés le long de deux de ces drains, qui traversent le centre de la ville.

Au cours des années, en l’absence d’un dispositif d’entretien solide, l’eau des canaux est devenue polluée. Les principaux coupables sont le déversement des ordures et des débris et les eaux usées des logements privés. Pour revitaliser la zone, Bhubaneswar Smart City Limited (BSCL) envisage un projet de promenade au bord de l’eau, qui combinera l’agriculture urbaine et une solide gestion des déchets. Une grande diversité de cultures vivrières sera produite selon un système de rotation, avec une utilisation minimale des insecticides et des pesticides pour préserver la qualité du sol. Et tous les déchets biodégradables produits seront soit utilisés sur le site, soit envoyés à un centre de microcompostage. 

Des approches innovantes en matière de boisement 

Compte tenu de la forte densité des villes indiennes, le SSCDL tire le meilleur parti de chaque arpent de terre en utilisant la technique Miyawaki. Cette méthode de boisement urbain conçue par le botaniste japonais Akira Miyawaki consiste à planter deux à quatre arbres de différentes espèces indigènes sur chaque mètre carré de terre de manière qu’ils ne reçoivent le soleil que par le haut. Par conséquent, les arbres poussent vers le haut, ce qui engendre une canopée plus dense dans un laps de temps plus court. 

Une forêt urbaine plantée en utilisant la méthode Miyawaki peut pousser en vingt à trente ans, quand une forêt conventionnelle peut mettre entre cinquante ans et plusieurs centaines d’années pour pousser naturellement. Dans le Wild Valley Biodiversity Park, chaque mètre carré de terre renfermera une combinaison constituée d’un buisson, d’un arbre à croissance lente, d’un arbre de canopée, d’un arbre colonnaire et d’un petit arbre. Les différentes hauteurs et la diversité des espèces de plantes maximiseront leurs chances de croissance. Conformément à la méthode, les personnes en charge du boisement choisiront des espèces originaires de l’État telles que le filao, le neem, le siris et le rohida, en utilisant un sol enrichi en matières organiques telles que la biomasse et les enveloppes de céréales, en rétenteurs d’eau, en fertilisants et en micro-organismes.

La plantation devrait donc grandir 10 fois plus vite, être 30 fois plus dense qu'une plantation classique et ne nécessiter presque aucun entretien après seulement deux ou trois ans. Cela se traduira finalement par une baisse des températures, une réduction de la pollution, une augmentation du nombre d'oiseaux et d'insectes locaux et la présence d’un puits de carbone au cœur de la ville.

Rapprocher les citoyens de la nature

Le Projet B-Active a également pour objet l’utilisation optimale de la terre – la ressource la plus précieuse de Bhubaneswar – en utilisant la parcelle proposée pour plusieurs programmes de production, incluant l’agriculture et le jardinage gérés par la communauté. Les entrepreneurs seront encouragés à vendre des produits biologiques frais, des semences, des jeunes arbres, des tisanes et des extraits de plantes. Les avantages ne seront pas seulement économiques : des personnes de différents milieux socio-économiques se côtoieront probablement sur le marché, créant les conditions pour un échange d’idées. Des ateliers permettront aux habitants de Bhubaneswar de découvrir des expériences pratiques et d’en apprendre davantage sur la culture des aliments nutritifs et sur ceux qui les cultivent.

Cette « salle de classe vivante » facilitera l’échange de connaissances entre les zones rurales et urbaines, entre la nature et la ville. La ville de Bhubaneswar espère qu’un plus grand nombre de personnes fréquentera le Biodiversity Park ou la promenade au bord de l’eau par exemple. Autant de moyens d’augmenter le contact avec l’environnement et d’inciter à la préservation de la biodiversité dans la région.  

« L’accès à des espaces verts ouverts peut renforcer la qualité de vie des gens car cela améliore considérablement la santé physique et mentale », explique Naim Keruwala, coordinateur et chef d’équipe du programme CITIIS à l’Institut national des affaires urbaines en Inde. Et d’ajouter : « Cela permet également de construire un lien avec la ville et ses communautés. Surat et Bhubaneswar incarnent ce principe dans la mesure où elles développent des espaces publics ouverts innovants et durables qui entraîneront la plantation de plus d’un demi-million d’arbres dans l’enceinte de la ville, profitant directement à plus d’un million d’habitants. »

Vers un avenir plus vert

Les projets répondent également à un appel lancé lors de la Conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable en 2016, qui exhortait les villes partout sur la planète à « protéger, préserver, restaurer et promouvoir leurs écosystèmes, leurs eaux, leurs habitats naturels et leur biodiversité ».

Les projets Wild Valley Biodiversity Park et B-Active rapprochent deux villes supplémentaires de cet objectif et montrent l’exemple à d’autres villes. 

« Puissions-nous développer de nombreux espaces verts de ce genre, où que nous soyons, conclut le directeur du projet à Bhubaneswar Diptirani Sahoo, afin de permettre à la vie de s’y épanouir, même après notre départ de ce monde. »