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De Delhi à Paris : l’Inde sur la piste d’une gestion urbaine résiliente de ses déchets
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Face à l’urbanisation galopante, l’Inde est confrontée à un défi majeur : organiser, moderniser et financer la gestion de ses déchets solides. Du 7 au 9 juillet 2025, une délégation composée de hauts responsables du gouvernement indien a arpenté les coulisses des infrastructures françaises, dans le cadre d’un voyage d’étude soutenu par l’AFD, la KfW et l’Union européenne.
À Ivry-sur-Seine, sur le chantier de la future unité d’incinération du Syctom — le Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères, qui regroupe 82 collectivités d’Île-de-France dont la Ville de Paris — un grappin mécanique s’enfonce dans une fosse géante avant de remonter, chargé de plusieurs tonnes de détritus. « Il peut soulever jusqu’à cinq tonnes en un seul mouvement », glisse un technicien. Derrière la vitre, les douze membres de la délégation indienne observent en silence. Ce n’est pas l’odeur — absente grâce à un confinement soigneux — qui impressionne, mais l’ampleur de l’infrastructure. Cette usine de dernière génération doit remplacer une unité vieille de quarante ans, et entrer en service début 2026.
Une délégation aux profils et aux contextes variés
Issus du ministère indien du Logement et des Affaires urbaines (MoHUA), ainsi que de six États fédérés — le Bihar (nord-est), le Chhattisgarh (centre-est), le Jammu-et-Cachemire (nord), le Tamil Nadu (sud), le Tripura (nord-est) et l’Uttar Pradesh (nord) — les membres de la délégation incarnent la diversité des situations urbaines indiennes. Parmi eux : des hauts fonctionnaires de ce ministère, des Municipal Commissioners, équivalents de préfets à l’échelle de métropoles indiennes, et des State Mission Directors, en charge de la mise en œuvre de politiques nationales comme la Swachh Bharat Mission — Urban (SBM-U), vaste programme d’assainissement et de gestion des déchets solides lancé en 2014.

Les défis sont immenses. En Inde, l’urbanisation progresse à un rythme sans précédent, mais les infrastructures peinent à suivre. Certaines villes partent de zéro pour bâtir un système de gestion intégrée. D’autres s’appuient de façon complémentaire sur des dispositifs décentralisés ou sur des modèles informels, animés par les Didis — travailleuses communautaires chargées du tri et de la sensibilisation — ou les kabadiwalas, recycleurs de rue qui revendent les déchets valorisables. Acteurs clés de l’économie circulaire informelle, ils restent toutefois précaires et peu intégrés aux politiques publiques.
« On ne cherche pas à copier, mais à comprendre ce qui est transposable chez nous », résume un participant. Car chaque État a ses priorités : le Tamil Nadu investit dans la biométhanisation ; au Chhattisgarh, les déchets sont triés dans des centres SLRM (Solid & Liquid Resource Management) gérés par les Didis.
Le study tour : une initiative clef du programme CITIIS 2.0
C’est pour nourrir ces réflexions qu’a été imaginé ce study tour, un format encore peu connu en dehors des cercles spécialisés. Pendant trois jours, la délégation a visité plusieurs sites : le centre d’enfouissement et de valorisation de Veolia à Claye-Souilly, l’usine de recyclage Paprec dans l’Oise, et le Village olympique de Paris 2024, vitrine d’un urbanisme circulaire.
L’initiative s’inscrit dans un projet multidimensionnel - le programme CITIIS 2.0 (City Investments to Innovate, Integrate and Sustain). Porté par le ministère indien du Logement et des Affaires urbaines et cofinancé par des prêts de l’AFD (100 millions d’euros) et de la KfW (100 millions d’euros) ainsi que par une subvention de l’Union européenne (12 millions d’euros), il accompagne 18 villes et 21 États indiens dans la modernisation de la gestion des déchets, avec des impacts attendus sur le climat, la santé publique et la qualité de l’air. Un engagement qui trouve pleinement sa place dans le programme phare de la stratégie européenne Global Gateway — l’offre européenne d’investissements durables au service des populations et de la planète.
C’est le NIUA — le National Institute of Urban Affairs — l’un des principaux think tanks indiens en matière d’urbanisme, qui assure la mise en œuvre technique du programme : il coordonne les échanges entre les villes participantes, organise l’accompagnement des projets, et structure les partages d’expérience à l’échelle nationale. Son rôle est d’autant plus crucial qu’il agit comme interface entre les administrations locales, les États et les partenaires internationaux, assurant ainsi la cohérence et la continuité de la coopération.
« L’économie circulaire est une chaîne complexe, du tri à la source à la revente des matières recyclées », rappelle Nitesh Chandrakar, expert déchets à l’agence de l’AFD à New Delhi. « Cela exige de l’innovation, mais aussi et surtout une coordination étroite entre services publics, acteurs privés et communautés locales. »
L’expertise française, entre inspiration et adaptation
« Ce que nous avons vu est impressionnant, mais il faut pouvoir l’adapter », note Basava Raju S., secrétaire à l’aménagement urbain du Chhattisgarh. En Inde, la valorisation organique, le compostage ou le biogaz sont déjà expérimentés, mais les investissements observés en France — près de 700 millions d’euros pour l’usine d’Ivry — restent inaccessibles sans un modèle allégé.
« Quel serait le coût réel de ces modèles, une fois transposés dans notre contexte ? Avec quelles technologies, quelles normes, quelles ressources humaines ? », interroge Vikram Virkar, Municipal Commissioner de Muzaffarpur, une grande ville située dans l’État du Bihar, au nord-est de l’Inde.
Créer des ponts, bâtir des partenariats
Orchestré par Efficacity — l’Institut français de R&D dédié à la transition énergétique et écologique des villes — avec le soutien de Business France, le voyage a également donné lieu à une session plénière structurante avec plusieurs hauts représentants du ministère indien du Logement et des Affaires urbaines, ainsi que des représentants des six États mentionnés. Ensemble, ils ont échangé autour de la gestion durable des déchets, de la valorisation des ressources et de la qualité de l’air.

Lors de cette session, des entreprises françaises telles qu’Acoem, Airinspace, ARIA Technologies – SUEZ Air & Climate, Ellona et Pando2 ont présenté leurs solutions innovantes : surveillance de la pollution atmosphérique, capteurs connectés, traitement de l’air, modélisation prédictive… Autant de technologies qui pourraient alimenter de futurs projets conjoints.
« L’idée, c’est d’identifier des partenariats industriels, avec transfert de technologie », explique Julien Couchouron, chef du service Industrie & Cleantech à Business France.
Archana Jayaraman, spécialiste de la résilience urbaine à la KfW, résume : « ce genre de mission donne du sens au travail de terrain. Il ne s’agit pas de copier un modèle, mais de comprendre, adapter et transposer à l’échelle des villes indiennes. »
Une diplomatie technique ancrée dans le réel
Au-delà des infrastructures, ce sont aussi des modèles de gouvernance qui se croisent. En Inde, chaque projet doit démontrer son utilité sociale et économique. « La création d’emplois, c’est un critère incontournable pour nous », rappelle un haut responsable du ministère indien du Logement et des Affaires urbaines.
Le study tour, en mettant en contact les acteurs de terrain, facilite ce dialogue. Et ouvre, peut-être, de nouvelles perspectives de coopération — notamment si l’Inde confirme sa candidature aux Jeux olympiques de 2036.
À Ivry comme à Indore, une conviction se dessine : les déchets d’aujourd’hui feront parties des ressources de demain. Encore faut-il disposer de l’écosystème pour les transformer et surtout pour éviter leur production.
« Comme pour l’énergie où le kWh le plus propre est celui qui n’est pas consommé, la réduction de la production de déchets est un prérequis au cercle vertueux de l’économie circulaire, conclut Fabrice Juquois, responsable équipe projet Déchets solides à l'AFD. À cet égard, les activités de communication, sensibilisation, formation des populations et des décideurs, comme le propose le projet CITIIS 2.0 au travers de ce voyage d’étude, mais aussi au sein de chacune des villes participantes, sont la clef pour enclencher les changements de comportement nécessaires au niveau du tri des déchets à la source et d’une consommation plus responsable et durable ».
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