Qu’est-ce qui a poussé l’Union européenne à lancer la Facilité de recherche sur les inégalités ?
Gabriella Fesus : La réduction des inégalités dans nos pays partenaires est une priorité fondamentale pour la Commission européenne. Nous sommes par ailleurs conscients qu’il s’agit d’un phénomène multidimensionnel avec de nombreuses dynamiques et de nombreux moteurs. Malheureusement, les niveaux d’inégalité entre pays et au sein des pays augmentent.
Nous avons aujourd'hui l’opportunité d’exploiter les résultats de cette recherche pour mieux cibler nos actions, faire face aux inégalités et trouver des moyens de mesurer l’impact de ce que nous faisons. Nous sommes aussi mieux équipés pour soutenir nos pays partenaires dans l’élaboration de politiques basées sur l’expérience pour endiguer ce fléau.
Hélène Djoufelkit : L’important, tant pour l’AFD que pour l’UE, était que ce programme de recherche soit mené par des chercheurs locaux. Nous avons fait appel à des universités et aux chercheurs pouvant coopérer avec les autorités locales afin d’étudier l’évolution des inégalités et de travailler sur des recommandations politiques. En plus de fournir des données et des résultats, la Facilité a créé de nombreux espaces de dialogue sur le problème des inégalités dans plus de 30 pays.
À ce jour, qu’ont trouvé les chercheurs ?
H.D. : Dans certains pays, comme le Cameroun et le Ghana, les inégalités ont augmenté. Dans d’autres, comme la Côte d’Ivoire et le Kenya, elles ont baissé depuis l’an 2000. En Afrique du Sud, elles sont restées stables.
Nous avons aussi compris que tous les types d’inégalité étaient reliés. Nous ne pouvons donc pas séparer l'inégalité dans la santé ou l’éducation de celle dans les revenus et les salaires par exemple. C’est multidimensionnel. Même en apportant notre soutien dans les domaines de la santé et de l’éducation, les inégalités de genre résistent à de nombreuses réformes.
L’inégalité entre les genres subsiste de par la prévalence du secteur informel, dans lequel les femmes sont surreprésentées. Cela est dû à l’organisation structurelle de la société. Ainsi, même avec des améliorations dans les revenus globaux, les inégalités femmes-hommes demeurent un défi de taille. Néanmoins, un meilleur accès des femmes à l’éducation supérieure et à des emplois formels permettra de réduire ces inégalités.
G.F. : Ce qui apparaît tout de suite lorsqu’on parle d’inégalités, ce sont les conséquences de la mondialisation, l’évolution des technologies, le chômage et l’accès à des financements. En effet, les difficultés d’accès aux financements sont telles que de nombreuses familles ne peuvent compter que sur leurs salaires, généralement bas dans les pays en développement. Les niveaux de chômage et la croissance du PIB peuvent aussi affecter les inégalités de revenus. Un taux de chômage élevé peut entraîner de plus grandes inégalités et une pression sur les salaires peut à son tour avoir des effets négatifs sur l’adhésion syndicale et sur le pouvoir de négociation des travailleurs.
H.D. : La Facilité a démontré que l’un des principaux vecteurs d’inégalité était l’accès à l’éducation et au marché du travail, mais aussi à des conditions de vie décentes incluant l’accès à l’eau potable et à des systèmes sanitaires, au logement et aux infrastructures de base comme les transports.
Le capital humain est également clé. En Tunisie, les chercheurs ont réalisé une analyse sociale et historique des inégalités – c’est la première fois qu’une telle approche était utilisée. L’étude a montré que le niveau de vie est plus élevé lorsque le capital humain hérité est plus élevé. Cela est mesuré grâce à un indice résumant le niveau d’éducation des grands-parents, leur niveau de compétence et la complexité de leur profession.
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G.F. : Nombre des vecteurs d’inégalités sont mis au grand jour dans le contexte de la crise du Covid-19 : ces crises montrent bien les conséquences d’un accès insuffisant à la santé et à l’assistance sociale. Nous avons donc besoin d’être plus résilients face à ces chocs puisque ce type de crise aggrave les inégalités et réduit à néant certains de nos accomplissements.
H.D. : Si le spectre des politiques ayant un impact sur les inégalités est très large, des politiques monétaires aux politiques commerciales, les projets de recherche de la Facilité se concentrent principalement sur des politiques sociales et fiscales, qui ont un effet direct sur la distribution du revenu. La Facilité utilise un « outil d’incidence fiscale » afin d’évaluer l’impact économique global des systèmes de dépenses sociales et de taxation des gouvernements du Kenya, du Maroc et d’Afrique du Sud.
Quels genres de solutions pourraient poindre à l’horizon ?
G.F. : Nous devons capitaliser sur les outils développés par la Facilité de recherche. Grâce à ces outils de diagnostic, nous comprenons mieux les 40 % situés en bas de l’échelle de la distribution des revenus et nous pouvons les cibler comme jamais auparavant. Il est essentiel que nous nous concentrions sur ces 40 % afin d’accélérer la réduction des inégalités et d’atteindre l’Objectif de développement durable n°10.
Par ailleurs, même si la crise actuelle du Covid-19 est une menace systémique pour notre monde, c’est aussi l’occasion de concevoir des approches innovantes. L’approche Team Europe est née d’une volonté de réponse unifiée face à la pandémie mais est aussi utilisée pour combattre conjointement les inégalités dans les pays partenaires. Team Europe nous donne l’occasion de soutenir une culture stratégique de coopération autour d’actions transformatrices pouvant avoir des répercussions importantes. Des initiatives sont en train de voir le jour pour soutenir les pays partenaires, s’assurer que leur reprise économique est juste, durable et inclusive, et qu’ils seront capables de faire face aux vecteurs d’inégalité qui étaient déjà présents avant la crise.
À quels genres de propositions politiques les recherches ont-elles abouti ?
H.D. : Lorsque vous consultez des tableaux sur les inégalités dans différentes parties du monde, il est fréquent de voir « Afrique : aucune donnée… ». La Facilité a permis d’améliorer la mise à disposition de données et de documenter l’impact de la politique publique sur les inégalités. Elle a également permis d’élaborer un manuel de diagnostic des inégalités visant à aider les instituts nationaux de statistiques à mesurer les inégalités via une méthodologie standardisée. Nous ferons pression pour que les résultats de la recherche débouchent sur des réformes politiques significatives. Une attention toute particulière sera portée à l’impact des politiques de transition vers une économie bas-carbone sur les inégalités.
De quelle manière l’UE et l’AFD ont-elles coopéré dans cette initiative de recherche ?
G.F. : Notre coopération a été excellente. L’AFD possède l’expertise et la volonté politique pour faire face aux inégalités. Cela peut nous aider à créer des synergies avec d’autres donateurs pour réussir à atteindre le programme 2021.
H.D. : Nous sommes honorés que l’UE ait fait confiance à l’AFD pour rejoindre ce programme. Elle a subventionné 22 projets de recherche à hauteur de 4,5 millions d’euros durant la première phase. Aujourd’hui, l’UE fournit 3 millions d’euros supplémentaires pour se concentrer sur quatre pays : le Mexique, la Colombie, l’Afrique du Sud et l’Indonésie.
Nous allons maintenant pouvoir approfondir et nous concentrer sur les recommandations politiques et les diagnostics, et pousser les synergies avec d’autres bailleurs de fonds.
Ce projet est réalisé avec le soutien de l’Union européenne