Aujourd’hui, une crise multidimensionnelle a fait basculer plus de 80 % des Libanais sous le seuil de pauvreté. Une situation inédite, dans un contexte d’instabilité politique et en l’absence de réformes qui sortiraient le pays du Cèdre de l’ornière.
En effet, la situation économique du Liban s’est fortement dégradée depuis 2019, la crise du secteur financier entraînant dans sa chute le reste de l’économie. Un contrôle informel des capitaux empêche les déposants de retirer leurs économies. La livre libanaise, la monnaie nationale, a perdu 95 % de sa valeur. La crise sanitaire du Covid-19 s’y ajoutant, des centaines d’entreprises, petites et grandes, ont dû fermer, jetant la population active dans une paupérisation vertigineuse. Il s’agit de l'une des plus graves crises économiques de l'histoire moderne.
Deux projets pour soutenir les entrepreneurs : Watad et Maharat Li Loubnan 2 (MLL 2)
Sarah Al Charif a vu cet effondrement de près au sein des classes les plus pauvres de Tripoli. Elle connaît ses habitants par cœur car depuis onze ans, au sein de l'ONG Ruwwad Al Tanmeya, elle s’attache à recréer de la cohésion sociale entre les habitants de quartiers rivaux : Bab El Tebbaneh, majoritairement sunnite, et Jabal Mohsen, habité par des Alaouites, en proie à des tensions exacerbées par le conflit en Syrie voisine. Cette action à long terme a permis à son ONG de jouir d’une crédibilité auprès des communautés locales.
Ces deux quartiers mitoyens ont été le théâtre d’affrontements sanglants depuis le début des années 2010, ce qui a maintenu une tension permanente entre les deux communautés. « Il fallait que ces deux communautés prennent conscience qu’elles étaient des victimes, manipulées par leurs leaders politiques. Et ceci par le biais du vivre-ensemble, en travaillant ensemble et en apprenant ensemble. »
C'est dans ce but que le projet Watad a permis de soutenir des PME et TPME et de renforcer leurs compétences.
De même, pour Hanaa El Amine (photo), directrice du programme d’aide aux entrepreneurs à l'Institut européen de coopération et de développement (IECD), le projet MLL2 (« Des compétences pour le Liban ») a permis de répondre à d’importants besoins : « À Tripoli, il y a beaucoup de pauvreté et beaucoup de TPME informelles, non enregistrées, qui se lancent sans étude de marché, sans faire les bons calculs financiers ni distinguer dépenses personnelles et dépenses professionnelles. Les entrepreneurs ignorent comment obtenir des financements, ils manquent de compétences administratives pour développer leur travail et augmenter leurs revenus. Sans aide, beaucoup de ces entreprises sont vouées à la faillite. »
Des formations enrichissantes
Depuis la crise, en partenariat avec l'AFD et par le biais de parcours de formations qui s’étendent sur un an, l’IECD et Ruwwad fournissent des compétences administratives à des entreprises existantes ou des start-up : comptabilité, études de marchés, plans de développement, marketing digital, droit des entreprises… « Les participants apprennent à faire des présentations afin de promouvoir leur business plan auprès d’autres institutions et d'obtenir des fonds. Nous allouons aussi des dons en nature. Ce sont des petites sommes qui donnent un coup de pouce afin de développer des entreprises », ajoute Hanaa El Amine.
Les participants doivent d’abord passer par un processus de sélection. Et à l’issue de la formation, les dons en nature sont offerts aux projets les plus méritants.
« Certains d’entre eux ne savent pas lire ni écrire. Notre cible n’est pas les étudiants ou la classe moyenne, mais les communautés les plus marginalisées pour essayer d’aider les entreprises les plus fragiles », affirme Sarah Al Charif.
Lors de ces formations, les participants apprennent à créer des réseaux : « Nous les aidons à faire des profits, mais surtout à collaborer, à trouver de nouvelles possibilités. Si une personne dessine et une autre brode, nous encourageons la dessinatrice à faire des croquis pour la brodeuse ! »
Ces programmes ont pu voir le jour et se développer avec le soutien de l’AFD dans une situation très fluctuante, grâce à une adaptabilité accrue. « Nous avons une relation de confiance avec l'AFD, qui a constaté qu’il fallait arrêter de créer des entreprises pour consolider les existantes. Les bailleurs se sont montrés très compréhensifs face aux fluctuations incessantes des prix des équipements », ajoute Sarah.
Le contenu des programmes s’est également adapté à la situation, se réjouit Hanaa El Amine : « Le premier programme MLL était concentré sur les start-up et le second traite également des entreprises existantes. Nous avons réuni toutes ces entreprises au sein d’un club des entrepreneurs où ceux-ci peuvent se rencontrer, créer des réseaux, travailler ensemble. Tout le monde y gagne. »
Aujourd’hui, l’impact de ces programmes est indéniable pour Hanaa El Amine : « Nous avons eu un grand impact dans la vie des participants. Plus de 50 % d’entre eux ont démarré leur entreprise dans les six mois suivant la formation, leur entreprise est en bonne santé et fait des profits, certaines personnes essaient déjà d’enregistrer leur commerce. »
Sarah ajoute : « Nous avons renforcé, outre leur pouvoir d’achat, leur confiance en soi. Ils ont appris que s’ils avaient un projet, ils pouvaient le concrétiser sans avoir besoin de supplier ou de mendier. Ils ont appris qu’on peut vivre ensemble, grandir ensemble, en étant passionnés. Avec ces parcours de formation, on recrée des exemples de réussite au sein de la communauté locale. C’est ainsi que commence le changement. »