Article publié pour la première fois le 27 juin 2022. Dernière modification le 1er août 2022.
Le 4 août 2020, l’explosion du port de Beyrouth ravageait une partie de la capitale libanaise. Dans ce contexte de crise majeure, où se mêlaient marasme économique, chaos financier et situation sanitaire alarmante liée au Covid, une réponse d’urgence, adaptée aux besoins d’une population traumatisée, était vitale. En l’absence de moyens rapides mis en place par l’État libanais, ce sont la société civile, les ONG et l’aide internationale qui ont pris le relais.
Au lendemain de la catastrophe, l’Agence française de développement (AFD), en partenariat avec l’ONG Mercy Corps, a débloqué un fonds de soutien aux très petites et moyennes entreprises (TPME) touchées par l’explosion. Sous la forme d’une subvention globale d’un million d’euros, cette aide financière en transfert monétaire direct et non conditionné a débuté en septembre 2020 pour s’achever à l’automne 2021. À l’issue du programme, ce sont 254 entreprises locales fortement fragilisées qui ont pu maintenir leur activité.
En soutenant des petites entreprises fragilisées par la crise, l’appui financier apporté par l’AFD a permis d’éviter le dépôt de bilan pour nombre d’entre elles et a contribué à la résilience du tissu économique local.
Sarkis Sevadjian a 40 ans. Depuis onze ans, il tient une boutique de sacs et d’accessoires de mode dans le quartier populaire arménien de Bourj Hammoud. Il se trouvait devant son magasin quand l’explosion s’est produite. « Je n’ai pas été blessé, mais la vitrine de mon magasin ainsi que la majeure partie de ma marchandise ont été détruites, se souvient Sarkis. Lunettes et montres brisées, sacs et étoffes déchiquetés, tout était perdu. » Pour reprendre son activité, ce commerçant devait faire réparer d’urgence sa vitrine et remplacer la marchandise endommagée. « Les ONG se sont succédé pour constater les dégâts, sans toutefois me proposer une solution d’urgence. Lorsque Mercy Corps m’a proposé une aide sous forme d’argent liquide, je n’y ai pas cru. Je me suis dit que c’était une promesse vaine jusqu’à l’arrivée de 3 800 USD deux mois à peine après l’explosion. »
Une aide qui a permis à Sarkis de remplacer sa vitrine, de refaire son stock de marchandises et de rembourser ses dettes. « Sans ce soutien, j’aurais été condamné à fermer. Avec notre capital bloqué dans les banques, nous ne pouvions rien faire. Il nous fallait du cash en monnaie étrangère pour acheter de la marchandise importée, et sauver notre entreprise. » Aujourd’hui, grâce à l’aide de Mercy Corps, Sarkis a pu maintenir son activité.
Najat Chemali tient un magasin d’articles ménagers dans le quartier cossu d’Achrafieh. « Depuis vingt-cinq ans, mon commerce marchait très bien. Avec l’explosion, ma maison et mon magasin ont été saccagés. » Najat a perdu toute sa marchandise : « Des marmites en fonte française, de la poterie allemande, de la porcelaine portugaise. La perte a été estimée à plus de 4 000 USD. » Pour elle aussi, impossible d’accéder à son argent placé en banque. Alors, pour réparer sa maison, Najat Chemali a dû vendre ses bijoux. « L’aide de l’État n’est jamais arrivée. C’est l’armée qui est venue, qui a fait des relevés des dégâts et puis, plus rien ! Idem pour les assurances, qui attendent toujours les résultats de l’enquête. »
Avec un soutien financier en liquide de 2 800 USD, Najat Chemali a pu payer les réparations de la devanture, réhabiliter les rayonnages, reboucher les trous dans les murs. Elle a aussi pu récupérer une partie de l’argent de la vente de ses bijoux pour redémarrer son commerce. Pour le moment, pas question toutefois d’importer de nouvelles marchandises. « J’essaye d’écouler le stock restant. Ça va mieux, mais je sens que nous avons encore le dos au mur. »
Mona Lago tient une boutique de vêtements à Basta, un quartier populaire de la partie ouest de Beyrouth. Avec la crise financière de 2019, l’entreprise où travaillait son mari a commencé à battre de l’aile. La boutique d’habits permettait d’assurer un revenu minimal à la famille, jusqu’à l’explosion du port qui a tout détruit.
Ce jour-là, les deux petites filles de Mona se trouvaient à la boutique. « Elles sont sorties indemnes, mais psychologiquement traumatisées. Après l’explosion, j’étais si fatiguée mentalement que j’ai voulu quitter mon pays. » De son local, il ne restait plus grand-chose : « Les tables, la vitrine, les habits et les accessoires, tout était endommagé. »
Le jour où Mona a vu passer une équipe de Mercy Corps, elle est allée leur parler. « Je ne pouvais rien réparer. Je n’avais plus d’argent, plus de force. J’avais les mains liées. » L’aide financière de Mercy Corps lui a permis de redémarrer sa petite entreprise. « Les prix ont commencé à monter en flèche et la livre libanaise s’effondrait. Pour m’en sortir, il me fallait des liquidités dans une devise stable. La subvention de l’AFD m’a permis de remplacer la vitrine, les tables, les chaises et la marchandise de mon magasin. »
Aujourd’hui, Mona a transformé sa boutique de vêtements en boutique d’accessoires. Un vieux rêve devenu réalité.
Nada Khoury et son mari Freddie ont ouvert Néo Gourmet en 2013. Prospère, cette entreprise de pâtisserie, boulangerie et snacking haut de gamme faisait travailler 26 employés et projetait même d’ouvrir une franchise au Koweït. Mais avec la crise économique, elle avait dû réduire la voilure et se replier sur le site d’Achrafieh, à Beyrouth. Le 4 août 2020, les dépôts, la boutique et la cuisine de l’entreprise ont été sévèrement endommagés par l’explosion et Freddie blessé. Nada se souvient : « La climatisation ne fonctionnait plus. Avec plus de 40 °C, les produits alimentaires n’ont pas tenu longtemps et les trois quarts de nos denrées ont été perdues. Avec la situation économique, c’était difficile de refaire un stock et nous avons dû fermer pendant un mois. »
L’équipe de Mercy Corps est passée évaluer les dégâts dans ce quartier lourdement sinistré et déserté par ses habitants. « Les évaluateurs de l’ONG avaient envie de goûter à nos croissants et à notre pain… Mais même la machine à couper le pain était cassée. » Grâce à une aide de 2 000 USD, Nada et Freddie ont pu reconstituer une partie de leur stock de matières premières, réparer la climatisation et acheter une nouvelle machine à couper le pain.
Si depuis début 2021 les clients ont commencé à revenir dans le quartier, aujourd’hui le principal problème de Néo Gourmet est le manque d’électricité, sévèrement rationnée, notamment la nuit. « On ne peut plus préparer de croissants pour le lendemain matin. Alors, nous nous sommes adaptés pour trouver un nouveau modèle économique. » Désormais, pour gérer les problèmes d’électricité, l’entreprise des Khoury fonctionne avec trois employés et uniquement sur commande, en ligne ou par téléphone, 24 heures à l’avance. Dans l’attente de jours meilleurs…