Où en est-on du principe d’évaluation au sein de l’AFD ?
Nathalie Le Denmat : L’AFD a parcouru beaucoup de chemin depuis la première évaluation réalisée il y a quarante-deux ans, et notamment ces dernières années durant lesquelles la culture de l’évaluation s’est diffusée plus largement dans l’institution. Cette évolution est le fruit à la fois d’un portage fort au plus haut niveau de l’institution et d’une demande croissante des équipes de terrain qui ressentent le besoin d’avoir ce temps de recul par rapport aux interventions pour apprendre de leur expérience.
Pour impulser et accompagner cette sollicitation, nous avons adapté nos modes de faire afin d’impliquer davantage les opérationnels et les parties prenantes des projets, de manière que l’évaluation soutienne davantage le dialogue sur le développement. Nous avons également multiplié les méthodologies d’évaluation pour pouvoir répondre de manière appropriée aux différents types de questions évaluatives.
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Ces changements ont abouti à une augmentation du nombre d’évaluations au fil des ans, freinée de manière conjoncturelle par la crise sanitaire. En 2019-2020, 61 évaluations de projets ont néanmoins été menées (44 en 2017-2018) et des efforts ont été accomplis en termes de communication envers le grand public intéressé par le développement. La publication de deux rapports bisannuels fait ressortir les temps forts de l’évaluation avec un fil conducteur sur des sujets d’intérêt public : la biodiversité pour le premier, présenté en 2019 et, pour le second qui vient de paraître, l’utilité de l’évaluation pour ses acteurs (ceux qui la conçoivent, les partenaires avec lesquels nous développons les projets et les bénéficiaires finaux de nos interventions).
Cette deuxième parution s’accompagne d’une campagne digitale pour faciliter l’appropriation des principaux résultats et synthétiser des évaluations significatives autour d’une géographie ou d’un thème : tout cela s’insère dans une politique de transparence initiée il y a quelques années. Nos évaluations sont régulièrement présentées à notre conseil d’administration et nos synthèses et résumés d’évaluation sont publiés.
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La politique d’évaluation de l’AFD est elle-même évaluée. En quoi cela consiste-t-il ?
Dans ce contexte de demande accrue d’évaluation dont témoigne la création récente de la Commission d’évaluation de l’aide publique au développement, il nous a semblé important de faire le point sur nos pratiques et sur la politique adoptée en 2013. L’objectif était de voir si cette politique correspondait toujours aux attentes actuelles, et si l’évaluation était réellement utilisée à l’AFD, des équipes de terrain jusqu’aux administrateurs.
Pour ne pas être juge et partie, c’est notre comité des évaluations (le Comeva), composé de personnalités extérieures à l’AFD, qui a conduit cette évaluation, en recrutant les consultants et en validant toutes les étapes de l’étude. Il en ressort trois enseignements principaux.
En premier lieu, l’évaluation est un outil puissant d’amélioration de l’action qui s’est progressivement renforcé mais dont le potentiel n’est pas encore totalement exploité. Qu’il s’agisse de l’objectif d’apprentissage pour mieux faire les projets de demain ou en termes d’aide à la décision, il existe une marge de progression que nous allons bien sûr explorer dès à présent.
Ensuite, ce travail a bien montré que l’évaluation n’est qu’un maillon d’une chaîne de redevabilité, laquelle démarre dès l’instruction des projets et pendant leur suivi en exécution. Une réflexion transversale avec l’ensemble de l’AFD est déjà lancée pour améliorer cet aspect de la gestion des projets.
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Enfin, l’évaluation nous a confortés dans les efforts réalisés récemment pour impliquer plus systématiquement les parties prenantes des projets sur le terrain dans nos évaluations. Certaines d’entre elles perçoivent encore trop souvent ces études comme des processus imposés par les bailleurs, sans en percevoir les bénéfices pour elles-mêmes en termes d’apprentissage et de gouvernance.
L’évaluation est un processus exigeant, en constante évolution. Sur quels aspects l’AFD doit-elle encore progresser ?
Pour nous améliorer sur les différents points abordés précédemment, nous devons renforcer le dialogue interne, mais aussi externe, sur l’évaluation. Nourrir le débat public sur le développement à travers les résultats des évaluations implique de mieux cibler notre programmation sur les grands enjeux stratégiques de la solidarité internationale et sur la cohérence des interventions menées par rapport aux principaux engagements de l’AFD et de la France. La création de la Commission d’évaluation de l’aide publique au développement avec laquelle nous allons travailler en synergie nous apportera certainement des éléments précieux pour avancer en ce sens.
Le renforcement du dialogue avec les acteurs de nos pays partenaires va également constituer un des axes forts de la future politique d’évaluation du groupe AFD : évaluer ensemble, dans une optique de redevabilité citoyenne partagée, qui se donne les moyens de soutenir les dialogues de politiques publiques engagés.