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Liban
Michel Samaha, économiste, responsable du portefeuille Gouvernance et réformes à l’agence AFD de Beyrouth, évoque le processus de réformes des commandes publiques au Liban et le rôle de l’Agence française de développement.

L’Institut des finances du Liban a publié courant juillet 2020 le rapport Maps qui évalue les systèmes de commande publique au Liban. Dans un contexte de crise économique aiguë, ce rapport constitue le premier jalon d’une réforme essentielle pour l’obtention de nouvelles aides financières par le FMI et la communauté internationale. L’Agence française de développement (AFD) et la Banque mondiale (BM) ont joint leur expertise et leurs moyens pour accompagner l’Institut des finances libanais dans l’élaboration de ce document. 

Quelle est la spécificité de l’étude Maps ?

Michel Samaha : Maps, dont les initiales signifient en anglais « Methodology for Assessing Public Procurement Systems » [méthodologie pour l’évaluation des systèmes de commande publique], représente un diagnostic complet de la manière dont les acteurs publics (administrations, collectivités, établissements publics…) conduisent leurs achats. L’objectif est d’identifier les forces et les faiblesses, les sources de gaspillages et les risques de corruption afin d’aller vers un nouveau système respectueux des standards internationaux comme la mise en concurrence, la transparence, l’intégrité et l’équité.

Ce travail a été cofinancé par la Banque mondiale et l’AFD et réalisé par des experts internationaux indépendants, en étroite collaboration avec les institutions libanaises – dont l’Institut des finances Basil Fuleihan (ministère des Finances) – et la participation de la société civile. Il a permis d’identifier les principales lacunes du système actuel et de produire une liste de recommandations à mettre en œuvre dans les prochaines années. L’étude Maps a dressé un constat précis du système de la commande publique, qui, rappelons-le, est aujourd’hui peu régulé, inefficace et traversé par des conflits d’intérêts au Liban. 

La publication de cette étude marque la fin de la phase d’évaluation qui aboutira, nous l’espérons, à une réforme en profondeur du corpus législatif et à une refonte du cadre institutionnel en vigueur. Cette « évaluation » va informer le travail législatif en cours au parlement pour la rédaction d’une nouvelle loi. Celle-ci, pour l’heure, se conforme aux principales recommandations de l’étude.


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Quels sont les enjeux de cette étude pour le Liban ?

M. S. : Il convient de rappeler, qu’aujourd’hui, le Liban fait face à une crise multisectorielle dont les racines se trouvent dans un modèle de gouvernance déficient et un blocage politique continu, lequel a empêché l’établissement de politiques publiques efficaces et cohérentes. Les lacunes du système de la commande publique illustrent parfaitement les causes et conséquences de la faillite des institutions libanaises. En 2019, les achats publics représentaient environ 3,4 milliards de dollars (US) – soit environ 20 % des dépenses du gouvernement central et 6 % du PIB. Ces chiffres sont à mettre en relation avec une qualité de la commande publique en dessous de la moyenne régionale, et une perception de la corruption par les citoyens parmi les plus fortes du monde, le Liban étant classé 137e sur 180 pays dans ce domaine selon Transparency International. La commande publique est aujourd’hui caractérisée par de forts dysfonctionnements dus à un cadre juridique archaïque et contradictoire, et une absence de compétition ouverte qui laisse la voie au clientélisme politique.

Dans un contexte de remise en question de l’action étatique et des politiques publiques, la réforme de la commande publique représente une partie de la solution aux maux structurels du Liban. Les achats publics se situent à la croisée des chemins entre lutte anti-corruption, efficacité de la dépense publique et soutien au secteur privé, répondant de fait aux revendications des citoyens qui appellent à davantage de transparence dans la gestion des dépenses publiques. Un effort sérieux des autorités pourrait avoir des effets structurants sur les finances, l’économie et les institutions du pays. Enfin, l’association de la société civile libanaise au travail de réforme constituerait un gage supplémentaire de la volonté de l’État libanais de renforcer sa redevabilité vis-à-vis de ses citoyens. 

Par ailleurs, la réforme de la commande publique peut constituer le moteur d’une refonte de l’économie libanaise vers un modèle plus équilibré et soutenable sur le long terme, une pierre angulaire dans la conception de la conférence CEDRE de 2018. En adressant les problématiques relatives à la corruption, le respect de l’État de droit et le renforcement des institutions, cette réforme suppose l’amélioration d’un climat des affaires aujourd’hui peu attractif pour les investisseurs. Par son impact sur l’ensemble du système socio-économique libanais, la réforme des commandes publiques participe à la transition d’un modèle rentier vers une économie productive et compétitive.
Pour toutes ces raisons, la France, via l’AFD, allouera des ressources techniques et financières pour appuyer les autorités libanaises dans leur démarche, afin que cette réforme réussisse. 


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Quel rôle l’AFD joue-t-elle dans cette réforme ?

M.S. : Depuis 2018, l’AFD s’est engagée dans ce projet de réforme à travers une collaboration étroite avec la Banque mondiale. Cela a nécessité un suivi minutieux des avancées du projet, et une analyse des rapports de force afin de former une coalition impulsant un changement structurel. 

L’AFD s’est évertuée à fédérer la communauté des bailleurs autour de cette réforme, autour de l’administration libanaise, notamment l’Institut des finances, l’OMSAR (le ministère d’État pour la réforme administrative) et le ministère de la Justice. Par une communication de qualité, un travail en commun et un réflexe partenarial, une synergie a été trouvée entre les différentes institutions libanaises, l’AFD et les bailleurs de fonds. 

Le vote de cette loi, même sous les meilleurs auspices, n’est que le point de départ d’une réforme de longue haleine. Au-delà des textes, c’est toute la manière dont l’administration libanaise gère ses achats qu’il faut transformer : créer une autorité de régulation indépendante, conduire des audits réguliers pour identifier les faiblesses, former les acheteurs publics, bâtir un système d’achat en ligne pour faciliter les procédures, etc. Pour ce faire, la loi devra être déclinée dans un plan d’action échelonné sur plusieurs années et la création d’un comité interministériel chargé de sa mise en œuvre. Ces chantiers sont d’une grande complexité et nécessiteront la mobilisation de la communauté internationale pour accompagner et soutenir l’État libanais dans ses efforts.

L’AFD restera mobilisée jusqu’à l’achèvement de cette réforme : un projet de coopération technique est actuellement en cours de préparation avec le Service économique régional afin de garantir la pérennité et l’appropriation de cette réforme par l’ensemble des acteurs (ministères, collectivités, cour des comptes, secteur privé…).