Les femmes composent la moitié de l’humanité. Malgré des progrès notables, leur participation à la prise de décisions reste timide, notamment en ce qui concerne la résolution de conflits. Comment faire évoluer la situation ? Nous avons posé la question à quatre femmes d'action qui, à leur échelle, œuvrent sur le terrain.
À chaque fois, la même réponse : il faut entendre et faire entendre la voix des femmes. Plus et mieux. En faisant « preuve de pédagogie » et en « valorisant leur prise de parole », comme le recommande la journaliste burkinabè Aïssata Sankara. « En protégeant et en soutenant cette voix », abonde Dorothée Gandia, infirmière à l’hôpital de l’Amitié de Bangui. La faiseuse de paix entre communautés libanaises Sarah Al-Charif suggère pour sa part le soutien à l’émancipation des femmes. Quant à Catherine Bonnaud, directrice de la région Moyen-Orient de l’AFD, elle enjoint « les femmes à se faire confiance » et à trouver « la volonté d’être actrices du changement ».
Dans tous les cas, une génération de femmes leaders n’adviendra pas de façon spontanée. L’éducation est primordiale pour « changer les mentalités, donner confiance aux petites filles, leur proposer des rôles modèles », assure Catherine Bonnaud. À l’instar de ces quatre femmes inspirantes.
Sarah Al-Charif – « Je veux rassembler »
En 2012, Sarah Al-Charif fonde la branche libanaise de l’association Ruwwad al-Tanmeya. Objectifs : aider les jeunes et les femmes à s’émanciper par les études et le travail.
Les études de Sarah Al-Charif la destinaient à travailler dans le milieu de la finance. Mais faire de l’argent, très peu pour elle. Son diplôme en poche, elle cherche à avoir un impact social. À Tripoli, sa ville natale au Liban, elle investit ainsi un bâtiment de la rue qui fait office de ligne de démarcation entre les quartiers sunnites et alaouites pour en faire un espace de rencontre pour les jeunes. À l’époque, les affrontements entre les deux communautés font rage. Cependant, « il ne s’agit pas de se lancer dans un processus de résolution de conflit, mais de rassembler », prévient la jeune femme. Sarah Al-Charif importe dans ce lieu un modèle pensé par l’ONG Ruwwad al-Tanmeya et crée du même coup sa branche libanaise qu’elle dirige depuis. Le principe : financer la scolarité d’étudiants qui n’en ont pas les moyens. En échange, les jeunes doivent consacrer quatre heures par semaine à travailler bénévolement pour la communauté locale, sur des projets éducatifs ou de soutien à l’autonomisation et l’émancipation des femmes.
Cuisine communautaire
Si Sarah Al-Charif croit en la jeunesse, elle mise aussi sur les femmes. « En temps de conflit, ce sont elles qui subviennent aux besoins de la famille et de la communauté, quand les hommes sont au front, emprisonnés, ou bien blessés. » D’où l’importance de les soutenir dans leurs projets d’activités économiques. En 2014, Ruwwad Liban lance ainsi une cuisine communautaire « réunissant des femmes des deux communautés pour cuisiner ensemble ». Cette entreprise sociale a créé une vingtaine d’emplois, et formé plus de 500 femmes. Au bout de deux ans d’activité, elle génère des revenus qui abondent le financement de la scolarité des étudiants. « Cette cuisine permet l’autonomisation des femmes, leur émancipation financière et facilite l’éducation dans les familles. Finalement, cela les autorise à poursuivre leurs rêves », s’enthousiasme Sarah Al-Charif. Mission accomplie.
Dorothée Gandia – « Apporter la paix aux femmes victimes de violences »
Face au fléau des violences sexuelles en temps de conflit, Dorothée Gandia, infirmière en Centrafrique, se spécialise dans la prise en charge holistique des victimes (c'est-à-dire dans leur globalité). En vingt ans de carrière, dont les quatre dernières au Centre hospitalier universitaire de l’amitié sino-centrafricaine à Bangui (République centrafricaine), cette professionnelle de santé engagée a soigné et accouché des milliers de femmes. Mais les conflits qui agitent le pays depuis plusieurs décennies ont amené cette infirmière spécialisée en soins materno-infantiles à traiter des aspects plus sombres de la santé de ses patientes : les ravages des viols de guerre.
« Beaucoup de femmes sont atteintes d’angoisses, de dépression ou de stress post-traumatique, explique Dorothée Gandia. Elles sont parfois stigmatisées, voire rejetées par leur famille ou par la communauté. Les victimes hésitent à chercher de l’aide, car les services n’existent pas toujours. Quant aux auteurs, ils sont rarement punis. Dans la majorité des cas, les femmes sont tout bonnement abandonnées à leur sort. »
Accompagnement médical, psychologique, juridique et social
En 2017, l’hôpital de l’Amitié s’engage dans le projet Nengo (qui signifie « dignité ») avec la création d’un guichet unique pour les victimes de violences sexuelles et basées sur le genre. Le projet Nengo est un projet de consortium financé par l’Agence française de développement (AFD) et créé par quatre partenaires : la Fondation Pierre Fabre, l'Institut francophone pour la justice et la démocratie, la Fondation Panzi en RDC et la Fondation Dr Denis Mukwege. Ce modèle, déjà mis en œuvre à Bukavu en République démocratique du Congo, s’appuie sur un accompagnement à la fois médical, psychologique, juridique et socio-économique.
En 2020, Dorothée Gandia se forme à cette prise en charge holistique : « Maintenant, je me sens plus forte et plus à l’aise », mieux outillée pour lutter aux côtés de ces femmes. Son rôle : recevoir, orienter et accompagner tout au long de leur parcours les sept à dix victimes en moyenne qui se présentent chaque jour au « One stop center » de Bangui. Les femmes sont d’ailleurs pleinement associées à ce travail selon l’approche centrée sur la victime. « On ne fait pas “pour” mais “avec” les personnes, pour les rendre actrices », insiste l’infirmière. L’objectif étant de « permettre à ces survivantes de poursuivre une vie satisfaisante malgré les violences. Nous faisons tout notre possible pour sécuriser les victimes et leur apporter de la paix ».
Aïssata Sankara – « Mon combat : exercer mon métier »
La journaliste burkinabè Aïssata Sankara veut améliorer la représentation des femmes dans les médias et favoriser l’accès à l’information. Et ce malgré les problèmes sécuritaires qui sévissent dans certains territoires du Sahel.
« Je mets un point d’honneur à faire entendre la voix des femmes. » Les mots d’Aïssata Sankara, débités d’un ton assuré et grave, résonnent comme un mantra. La journaliste indépendante, qui a démarré sa carrière à la télévision, veut encourager les femmes à être à la fois derrière la caméra, en tant que journalistes et devant, en tant qu’expertes. Car dans les deux cas, elles sont rares au Burkina : « Quand on leur donne la parole, c’est en tant que victimes ou pour parler éducation, de famille… Et dans les rédactions, seulement 25 % des journalistes sont des femmes ».
Pour faire bouger les lignes, Aïssata Sankara croit en une « approche adaptée ». « Il faut valoriser la parole de ces femmes, les encourager. Elles n’ont pas l’habitude de parler en dehors des murs de leur maison. »
Jeunes Wakat
La parole, elle la prend et elle la donne. Être une femme journaliste dans cette région gangrenée par le terrorisme est pour le moins difficile. « Certaines zones du Sahel sont trop dangereuses. Certains sujets sont proscrits », déplore-t-elle. Les aborder, c’est s’exposer à des menaces. Mais la journaliste se refuse à baisser les bras : « Mon combat est de continuer à exercer mon métier, et de défendre un journalisme dans lequel tout individu peut se reconnaître. » Portée par cette ambition, elle participe aux programmes diffusés dans Jeunes Wakat (Le temps des jeunes), une émission radio destinée aux 15 à 35 ans, pour laquelle elle veille à « la prise en compte du genre dans le traitement des sujets ».
Diffusée sur une trentaine de stations, en plusieurs langues locales, l’émission traite des questions qui touchent les jeunes, y compris les plus tabous, comme l’excision ou les mariages précoces. Pas frontalement, mais en abordant le sujet via le biais de la santé, par exemple. « C’est plus subtil, ça permet aux jeunes de réfléchir par eux-mêmes », explique la reporter. Question d’approche.
Catherine Bonnaud – « Il faut miser sur l’éducation »
En poste à l’AFD depuis près de quinze ans, Catherine Bonnaud vient d’être nommée directrice de la région Moyen-Orient. Pour faire bouger les lignes, elle croit à l’émergence des femmes leaders de demain.
Catherine Bonnaud admirait sa grand-mère, avocate et aventurière. Un jour celle-ci dit à sa petite-fille : « Fais en sorte que rien ne t’arrête dans ta vie ». Nul doute qu’elle a suivi ce conseil… Qu’il s’agisse de ses diplômes (médecine, santé publique, commerce et gestion, statistiques, géopolitique du Moyen-Orient) ou de ses états de service, son parcours est remarquable.
Catherine Bonnaud a travaillé en France et dans plusieurs pays d’Afrique en tant que médecin-clinicienne et sur des missions de santé publique pour le ministère des Affaires étrangères. C’est en 2006 qu’elle intègre l’AFD où elle occupe différents postes liés à la santé publique et au développement. Après sept ans en tant que directrice d’agence AFD à Cotonou puis à Jérusalem, elle vient d’être nommée directrice de la région Moyen-Orient.
Politique des petits pas
Son cheval de bataille, c’est la cause des femmes, « encore trop invisibles ». Un exemple parmi d’autres : dans les écoles de la région, on prévoit rarement des toilettes pour filles – pourtant indispensables au suivi d’une scolarité – ou des protections hygiéniques dans les situations d’urgence. Mais les changements sociétaux profonds sont longs à advenir. Et les freins nombreux : le poids de 4 000 ans d’histoire, comme lui assène une participante lors d’une conférence à l’université Al Azhar (Égypte) sur la place des femmes dans le développement… Alors elle prône la politique des petits pas.
Comment faire bouger les lignes ? Certainement pas en ayant recours aux principes culturels occidentaux tout faits. Selon Catherine Bonnaud, s’il faut continuer à imposer la parité dans les comités de gestion des projets et impliquer les femmes dans les décisions, il faut aussi porter une attention particulière à leurs besoins spécifiques. Et surtout, miser sur l’éducation comme outil d’émancipation capable de faire émerger des femmes leaders au Moyen-Orient : « Ce sont elles qui, demain, feront changer les choses ».