Depuis 2023, l’AFD place l’approche One Health au cœur de sa stratégie de santé. En quoi cette approche se distingue-t-elle, concrètement, de nos modes d’intervention précédents ?
Agnès Soucat : L’approche One Health table sur les enseignements de la crise du Covid-19, qui nous a montré la nécessité de penser en permanence les interactions existantes entre pays, entre espèces et entre écosystèmes. Et, surtout, de comprendre que cette interconnexion globale nous oblige, nous, acteurs du développement, à davantage investir dans les « biens communs » en santé. Par « biens communs », je veux parler des institutions de santé publique, de la surveillance des risques pour la santé – quelle que soit leur origine – de la régulation des produits de santé ou de l’organisation des systèmes de financement de la couverture de santé universelle. Mais cette approche doit être globale et concertée, prendre en compte les déterminants de la santé et développer une vision inclusive de l’ensemble du vivant.
Quels ont été les autres axes d’intervention prioritaires du Groupe en 2023 ?
D’abord, et en priorité, l’investissement dans les ressources humaines. J’insiste sur ce point car cet axe a trop souvent été négligé par l’aide publique au développement. C’est contre-intuitif mais, pendant longtemps, l’aide au développement a préféré mettre le curseur sur l’achat de médicaments et de vaccins, la structuration des centrales d’achats et des filières. Il y avait une logique à cela : notamment l’urgence à agir face au sida en Afrique, par exemple. Mais cela s’est fait au détriment des investissements de court ou moyen terme dans l’éducation, la formation et le recrutement de personnel soignant, et nous en payons désormais le prix fort.
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Les ressources humaines, c’est 70 % du fonctionnement des services de santé. À l’heure actuelle, il manque environ 18 millions de personnels soignants dans le monde. D’où le changement de paradigme : le renforcement des ressources humaines est résolument au cœur de notre action. C’est également un levier fort pour améliorer l’égalité femmes-hommes, car 70 % du personnel soignant est féminin. Nous poursuivons bien sûr nos investissements dans les infrastructures de santé car les besoins restent importants, mais en portant une attention renforcée au développement et au recrutement des ressources humaines qui permettront à ces infrastructures de fournir des services de qualité aux populations.
Enfin, le troisième et dernier axe d’intervention, c’est le renforcement des systèmes de protection sociale dite « adaptative », c’est-à-dire des systèmes de protection sociale qui anticipent les chocs, qui sont capables de s’adapter aux différentes formes de vulnérabilités des personnes (économiques, de genre, environnementales…) et qui disposent de mécanismes de paiement efficients, notamment par la voie de la digitalisation.
Là aussi, le Covid-19, avec l’explosion des transferts monétaires que l’épidémie a engendrée, nous a indiqué la bonne voie à suivre : pour les ménages les plus vulnérables, notamment les femmes seules avec enfants, cela peut représenter une solution pragmatique et efficace. Durant l’épisode des fortes inondations qui ont dévasté le Pakistan en 2022 par exemple, le système de protection sociale adaptative a permis d’effectuer des transferts monétaires, et donc d’aider des populations auxquelles nous n’avions pas accès habituellement.
Quels sont les projets particulièrement emblématiques de cette évolution stratégique ?
Plusieurs projets déployés en 2023 illustrent ces orientations stratégiques.
Sur One health, je citerais le projet de mise en réseau de réseaux de surveillance sanitaire sur l’axe Indopacifique : ce projet de 15 millions d’euros soutient la prévention, la préparation et la réponse aux épidémies, en partenariat avec la commission de l’Océan Indien, la Communauté du Pacifique et le programme Ecomore piloté par l’Institut Pasteur en Asie du Sud-Est. La coopération inter-réseaux contribue à créer des communautés de pratiques et à renforcer les capacités des différents réseaux, notamment sur l’approche One Health et la modélisation des risques climatiques pour la santé.
Sur les ressources humaines, nous avons alloué un financement de 36,5 millions d'euros à la Côte d'Ivoire pour soutenir le programme national d’appui aux ressources humaines en santé lancé par le gouvernement depuis 2016. Cet appui vise à augmenter, régionaliser et améliorer la qualité de la formation initiale et continue du personnel médical et paramédical dans le pays. Il contribue également à renforcer la gouvernance et la régulation de ce secteur. Un programme d’assistance technique mis en œuvre par Expertise France accompagne la réalisation de ces réformes grâce à de l'expertise publique française.
Sur la protection sociale adaptative, au Togo, en co-financement avec la Banque mondiale, l’AFD poursuit son appui au programme gouvernemental de transferts monétaires. Face à la dégradation du contexte économique et sécuritaire, cette nouvelle phase vise à étendre l’accès aux transferts monétaires à 19 000 ménages bénéficiaires (dont 75 % de femmes) dans des zones fragiles du nord du pays.
Quelles sont les perspectives du Groupe pour 2024 ?
Le premier de nos objectifs pour l’année 2024, c’est de renforcer la démarche partenariale déjà largement amorcée non seulement avec l’Union européenne, mais aussi avec la Fondation Gates – avec laquelle nous poursuivons et renforçons notre collaboration, notamment notre investissement dans les droits et la santé sexuels et reproductifs –, avec le Fonds mondial et maintenant avec l’ensemble des banques de développement désormais réunies à travers notre réseau Finance en commun (FiCS). Et nous continuons d’avancer sur les axes déjà évoqués, en donnant un grand coup d’accélérateur sur les ressources humaines ! Encore une fois, les ressources humaines doivent être le moteur de notre action, à la fois pour mettre en place une démarche One health et pour renforcer les systèmes de santé et pour imaginer de nouveaux systèmes de protection sociale adaptative.