
La transition écologique est un type unique de changement structurel : les industries vertes se développent tandis que les industries à fortes émissions de gaz à effet de serre et non écologiques déclinent. Ce processus complexe affecte la structure productive, commerciale et financière des économies des pays concernés – ce qui peut générer des risques de transition.
Ces risques découlent de la dépendance des économies à des industries fortement émettrices de gaz à effet de serre, ce qui contraint leur transition bas carbone :
- Risque externe : si un pays dépend d’industries à forte intensité d’émissions de gaz à effet de serre comme source de devises étrangères, la transition affectera sa balance des paiements et la capacité du pays à importer des biens et des services (dont les machines et intrants nécessaires à la transition) ;
- Risque fiscal : si un pays dépend d’industries à forte intensité d’émissions comme source de recettes fiscales, la transition réduira ses ressources budgétaires, nécessaires aux investissements publics pertinents pour la transition (infrastructures vertes, dépenses sociales…) ;
- Risque socio-économique : si un pays dépend des industries à forte intensité d’émissions comme source d’emploi, la transition entraînera la destruction d’emplois dans certains secteurs, rendant nécessaires des mesures ciblées (protection sociale, formation…)
Néanmoins, tous les pays ne sont pas égaux face à la transition écologique : ils sont affectés différemment par ces changements, en fonction de la structure de leur économie et de leurs relations commerciales avec d'autres économies.
Le modèle ESTEEM a été développé pour identifier et mieux connaître ces risques, de façon à pouvoir définir la trajectoire la plus adaptée à chaque pays.
Le modèle de modélisation macroéconomique ESTEEM est un outil développé par l’AFD pour comprendre les trajectoires de transition des pays, et notamment :
- D’évaluer dans quelle mesure leur économie est exposée à des risques de déséquilibres dans le cadre d’une transition écologique, en identifiant les principales contraintes macroéconomiques qui peuvent émerger et comment elles peuvent être traitées pour garantir une trajectoire de transition adéquate ;
- De prendre en compte les spécificités écologiques et environnementales des pays, dans la mesure où ils sont plus ou moins exposés aux risques de transition en fonction de la structure de leur économie.
Télécharger la brochure : ESTEEM, un outil d'aide à la décision pour des horizons décarbonés
Le papier de recherche « Developing countries’ macroeconomic exposure to the low-carbon transition » présente la méthodologie permettant d’évaluer l'exposition des pays aux risques externe, budgétaire et socio-économique. En fonction de leur capacité à adapter leur structure productive, il analyse les vulnérabilités et les risques des pays dans ces trois dimensions. A l'aide d'un tableau entrées-sorties environnementaux pour 189 pays, il identifie les industries à forte intensité de carbone, puis estime la dépendance directe et indirecte de chaque pays vis-à-vis de ces industries.
Outre le papier de recherche ci-dessus, qui fournit une analyse globale, d'autres études ont été développées. Le document « Impacts of CBAM on EU trade partners: consequences for developing countries », par exemple, utilise le modèle ESTEEM pour analyser l'impact du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) sur les partenaires commerciaux de l'Union européenne (UE). Alors que la plupart des analyses au sujet du CBAM ont porté sur les conséquences pour les économies de l’UE, ce papier de recherche se concentre sur les économies en développement et émergentes. Il conclut que ce mécanisme d’ajustement carbone, qui vise à réduire les incitations pour les entreprises européennes à externaliser leurs émissions de carbone et à promouvoir une transition à faible émission de carbone plus généralisée, pourrait avoir un impact disproportionné sur certaines économies non européennes. Bien que la plupart des revenus du carbone soient générés par la Russie, la Chine et l’Ukraine, d’autres économies en développement – qui exportent des produits concernés par le CBAM vers l’Europe – voient plus de 2% de leurs exportations et 1% de leur production affectées par cette mesure. Les économies d’Europe de l’Est, principalement dans les Balkans, ainsi que le Mozambique, le Zimbabwe et le Cameroun, sont celles dont les exportations sont les plus exposées.
Par ailleurs, l’AFD mène des projets ESTEEM en Ouzbékistan et au Vietnam, dans le cadre desquels le modèle ESTEEM est utilisé afin de fournir aux autorités de ces deux pays une analyse des impacts macroéconomiques de leur transition bas carbone.
Enfin, sur la base du projet original ESTEEM, d'autres études sont en cours de développement :
- ESTEEM-Biodiv cherche à comprendre les risques liés à des dimensions écologiques autres que la dépendance aux industries à forte intensité de carbone (stress hydrique, utilisation excessive des terres, pollution…) ;
- ESTEEM-Dynamic, qui a démarré en 2022, cherche à comprendre comment les impacts systémiques d’une transition varient en fonction de la trajectoire ou du scénario retenus. Ce nouveau modèle, qui est dynamique, ne considère pas les structures économiques comme données : en permettant de modifier certaines variables, il permet d'évaluer quelles sont les voies les plus appropriées à suivre pour réduire les risques de transition et assurer l’efficacité d’une transition.
Il ressort des études qu’en fonction de la structure de leur économie, de leurs marges de manœuvre budgétaires et de la solidité de leur système de protection sociale, les pays sont plus ou moins exposés aux risques et vulnérabilités engendrées par une transition vers une économie bas carbone. Le modèle ESTEEM, en permettant d’identifier ces risques, contribue à les anticiper afin de favoriser le succès de la transition.
L’intérêt des applications nationales d’ESTEEM – actuellement en Ouzbékistan et au Vietnam – est d’apporter une analyse prenant en compte les spécificités de chaque pays :
- Ouzbékistan : bien que l’Ouzbékistan dépende peu des industries en déclin, l'économie ouzbèke est fortement émettrice de gaz à effet de serre dans les secteurs clés pour la transition, tels que l'électricité et la construction. Cela signifie que les trajectoires de découplage nécessitent des actions de renforcement des capacités productives et technologiques pour assurer une trajectoire de transition adéquate, avec création d'emplois et évitant les déséquilibres budgétaires et extérieurs.
- Vietnam : l'analyse montre que le Vietnam est une économie très exposée sur le plan socio-économique, notamment parce que les emplois bien rémunérés se trouvent dans des industries en déclin. Par ailleurs, l'analyse des différents scénarios climatiques montre que l'économie est très exposée car l'agriculture du pays sera fortement impactée. Néanmoins, le Vietnam est une économie très dynamique avec une forte capacité à migrer vers les produits verts, ce qui peut contribuer au succès de la transition.
En savoir plus :
- Developing countries' macroeconomic exposure to the low-carbon transition (AFD Research Papers, octobre 2021, en anglais)
- Transition bas-carbone : quelles vulnérabilités macroéconomiques pour les pays en développement ? (webinaire Conversation de recherche, décembre 2021, en anglais)
- Low-carbon transition in Latin America: what are the risks and the main constraints? (Development Matters, blog de l'OCDE, juin 2022, en anglais)
- Impacts of CBAM on EU trade partners: consequences for developing countries (AFD Research Papers, mars 2022, en anglais)
Contact :
- Guilherme MAGACHO, économiste modélisateur à l’AFD
-
sur le même thème