Quels sont les enjeux en termes d'accès à l’eau en zone rurale au Cambodge ?
Pheaktra Thlang : Les zones rurales du Cambodge ont un accès encore très limité à l’eau courante, environ 30 % de la population seulement y a accès. Les autres habitants s’approvisionnent auprès de sources d’eau hors de leur domicile, protégées ou non de contaminations extérieures.
L’investissement pour développer le réseau d’eau et fournir ce service est assuré par des opérateurs privés. Le problème est qu’ils ne sont pas toujours formés à l’élaboration de projets dans le secteur de l’eau, et qu’ils font parfois des choix peu efficaces : matériaux non durables qui provoquent un taux de fuite élevé, investissements non indispensables, absence de suivi…
Un opérateur a par exemple installé une station de traitement des eaux sur un premier projet de pompage d’eau dans une nappe phréatique, puis a développé un second projet en répliquant le premier à l’identique. Sauf que cette fois-ci il n’y avait pas besoin de station pour traiter l’eau. Le rôle de l’ONG Gret, qui est intervenue auprès des opérateurs d’eau au Cambodge, est d’éviter ce type d’actions non seulement inefficaces, mais aussi onéreuses, puisque l’opérateur doit augmenter sa facturation pour rester rentable.
D’autre part, il n’est pas rentable pour ces investisseurs de s’éloigner des villes et d’étendre le réseau aux campagnes, à la fois pour les raisons énumérées ci-dessus, mais aussi parce que les conditions de prêt qu’ils peuvent obtenir des banques ne sont pas intéressantes – les banques préfèrent soutenir des entreprises en zones urbaines !
Comment le programme soutenu par l’AFD a-t-il permis de répondre à ces enjeux ?
L’objectif du programme était de contribuer à augmenter le taux de personnes ayant accès à un service de distribution d’eau potable de qualité en zone périurbaine et rurale, et ainsi à améliorer les conditions de santé et d’hygiène pour ces populations. Sa spécificité était le rôle majeur dévolu aux acteurs privés, techniques et financiers, dans la fourniture de ce service public et les actions de formation engagées au bénéfice de ces acteurs.
Pour ce faire, les opérateurs privés d’eau ont été accompagnés sur deux aspects : une ligne de crédit de 15 millions d’euros accordée par l’AFD à la banque cambodgienne Foreign Trade Bank (FTB) afin de faciliter leur accès à des financements à taux bas, et une assistance technique du Gret financée par une subvention de 2,5 millions d’euros de l’Union européenne pour une exploitation efficace des futures infrastructures.
Le rôle du Gret était de les appuyer dans l’élaboration de leur plan d’affaires et de faire le lien avec la banque pour attester de la cohérence du projet. Lorsque le projet était approuvé, l’opérateur engageait un bureau d’études pour assurer le design et le suivi du projet, affirmant ainsi sa durabilité. Les opérateurs étaient encouragés à investir dans les zones rurales habituellement non couvertes. En parallèle, un système de subvention a été mis en place pour favoriser l’accès à l’eau des ménages les plus pauvres ne pouvant assumer les coûts d’une connexion individuelle.
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La FTB a également bénéficié d’une assistance technique pour appuyer le développement d’une expertise interne spécifique, afin d’accompagner le développement d’un tissu de TPE/PME opérant sur le secteur de l’eau. Cette assistance technique visait à améliorer l’identification des projets (faisabilité, viabilité financière…), communiquer autour du programme, former les managers de la banque, mais aussi aider à adapter les critères financiers et non financiers au projet.
Au final, 31 opérateurs ont bénéficié de ce programme qui a permis d’améliorer l’accès à l’eau de 72 000 ménages, dont 35 000 qui n’y avaient pas accès avant le projet. Le projet a également eu un impact sur l’efficacité énergétique des réseaux d’eau. Nous avons notamment réussi à réduire de 50 % la consommation électrique d’un opérateur grâce à un meilleur design du projet et à la réhabilitation des installations.
Comment va être assurée la suite du projet ?
La suite du projet va être assurée par Proparco, la filiale secteur privé de l’AFD. Cette deuxième phase devrait permettre d’aller plus loin en essayant de renforcer la filière locale de courtiers et de bureaux d’études. L’objectif est d’assister les opérateurs dans la préparation des dossiers de crédits et du design des infrastructures, ainsi que d’assurer les relations entre les opérateurs et les banques.
Comme lors de la première phase, les opérateurs privés d’électricité bénéficieront également d’un appui. Une étude de marché est en cours de réalisation par un consultant externe afin de connaître le potentiel de marché et affiner les composantes financières et techniques de la deuxième phase.
À plus long terme, le gouvernement étudie une loi permettant aux opérateurs d’obtenir des prêts auprès des banques à des conditions plus favorables, en mettant en place un système de licences et en se portant garant, afin qu’ils accèdent plus facilement au crédit.