« Quel est votre nom ? » Ce n’est que depuis deux mois que Paula Pierre peut répondre à cette question sans arrière-pensée. Depuis qu’elle a obtenu son acte de naissance, son nom et son prénom résonnent comme une évidence. L’an dernier encore, sa réponse aurait été plus nuancée car elle n’existait pas juridiquement en Haïti et aurait donc eu du mal à prouver que ce nom était bien le sien.
Née dans une section communale reculée, la naissance de Paula n’a pas été enregistrée. Le bureau d’état civil le plus proche de son lieu de naissance se situait à plusieurs heures de marche. Pour ses parents, respectivement agriculteur et mère au foyer, les coûts de l’enregistrement auraient été une dépense superflue. Absorbés par un quotidien difficile, ses parents n’ont donc pas fait le déplacement pour déclarer sa naissance.
Plus tard, cette omission aura un impact majeur sur sa qualité de vie. Dans l’impossibilité de produire une pièce d’identité, il lui a été difficile d’accomplir de simples actes de la vie courante. Ainsi, lorsqu’en 2020, les autorités publiques ont conditionné l’accès à une carte SIM à la fourniture d’une pièce d’identité, cette jeune femme de 30 ans a dû faire appel à une amie pour enregistrer son numéro de téléphone à son nom. Il en allait de même pour récupérer l’argent que sa tante lui transférait des États-Unis ou pour ouvrir un compte bancaire.
L’histoire de Paula est celle de plus de 40 % de la population haïtienne. Selon la Banque mondiale, 850 millions de personnes dans le monde étaient dépourvues de pièce d'identité à la fin de l'année 2022. Plus de la moitié sont des enfants dont la naissance n’a pas été enregistrée et le taux de détention d’un document officiel chez les femmes reste inférieur de 8 points à celui des hommes. « Les femmes, qui sont déjà victimes de multiples formes d’inégalités par rapport aux hommes, sont davantage exposées à des discriminations et à des violations quand elles sont privées de leurs documents d’identification », souligne Shedline Aurélien, chargée de mission à l’agence AFD de Port-au-Prince.
Or, l’octroi de papiers d’identité aux personnes qui en sont dépourvues pourrait améliorer significativement leur qualité de vie, comme le montre l’histoire de Robert Jean. Orphelin, élevé par sa marraine, Robert a perdu son acte de naissance dès l’enfance. En août 2024, grâce au projet Poto Mitan, il a pu obtenir gratuitement son acte de naissance, puis un numéro d’identification. Depuis qu’il dispose d’une pièce d’identité, Robert peut pleinement bénéficier de tous les droits découlant de son existence juridique. Il figurera sur les prochaines listes électorales et pourra, pour la première fois en 71 ans d’existence, exercer son droit de vote. Pour Robert, l’année 2024 marque donc une nouvelle naissance.
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Ce renouveau a été possible grâce à l’accompagnement de l’Office de protection du citoyen (OPC) d'Haïti dans le cadre de Poto Mitan. Géré par Expertise France et financé par l’AFD, ce projet vise à accompagner les institutions signataires de la « charte d’engagement pour l’amélioration des services publics », pour qu’elles soient en mesure de fournir des services d’état civil, d’identité et d’identification de façon équitable et territorialisée.
Pour atteindre cet objectif, « le projet Poto Mitan appuie la déconcentration des services d’état civil suivant les directives de la Politique nationale de déconcentration et du Programme de modernisation de l’État. Poto Mitan contribue également à l’amélioration de l’accès à ces services par l’allégement des procédures, et ce dans une logique de chaîne de services », explique Jude Saint-Natus, en charge du projet pour Expertise France. Le chef de projet a tenu à souligner le rôle d’ensemblier et d’accompagnement d’Expertise France, et à saluer le leadership politique et technique des institutions publiques dans la mise en œuvre du projet, notamment les directions déconcentrées dans le Nord et le Nord-Est. « Poto Mitan ne remplace pas l’État, il l’accompagne et le soutient », a-t-il ajouté.
Un droit à l'identité
Interrogée sur le rôle de l’État, Shedline Aurélien rappelle que toute personne a droit à une identité officielle : « il est fondamental que l’État haïtien arrive à se renforcer pour fournir équitablement aux femmes et aux hommes des services relatifs à ce droit inaliénable. Cela permettra aux populations de sentir qu’elles existent en tant qu’êtres humains à part entière », conclut-elle au nom des millions de « sans-papiers » qui n’existent pas encore officiellement aux yeux de l’État haïtien.
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