Souvent désigné au singulier, l’océan n’en est pas moins un espace pluriel, construit au gré de la diversité de la relation des sociétés à la mer. A travers l’étude d’un phénomène océanographique dans le Pacifique tropical oriental – le dôme thermique du Costa Rica –, ce travail de thèse s’intéresse à l’extension des enjeux de conservation de la biodiversité vers la haute mer et aux dynamiques sociopolitiques que cela génère.
Contexte
Alors qu'elle recouvre 43% du globe, la haute mer – désignée par les juristes comme étant au-delà de la juridiction nationale – tend à être définie en creux. Elle est pourtant le siège d'activités humaines diverses (navigation, pêche, exploration minière…) et, dans le contexte actuel de changement climatique et de pressions anthropiques sur les écosystèmes, son état écologique fait l'objet de préoccupations croissantes. Depuis plus de 15 ans, celles-ci sont discutées à l'ONU dans le cadre d’échanges informels ayant abouti à une conférence intergouvernementale ouverte en septembre 2018 sur la conservation et la gestion de la biodiversité dans les zones au-delà de la juridiction nationale. En lien avec ce processus diplomatique, différents sites de haute mer sont rendus visibles par le plaidoyer d'organisations non-gouvernementales (ONG) qui appellent à leur protection. On retrouve parmi ceux-ci un phénomène situé dans le Pacifique tropical oriental : le dôme thermique du Costa Rica.
Objectif
Ce travail de thèse vise à étudier l’émergence du dôme thermique du Costa Rica sur le plan sociopolitique. Ce phénomène d’upwelling océanique est une remontée d’eaux froides riches en nutriments produite par les principaux vents et courants marins de la région, qui évolue de manière saisonnière entre les eaux sous juridiction des Etats centraméricains et les eaux internationales. Découvert à la fin des années 1940 par des océanographes étatsuniens, les enjeux relatifs à la conservation de sa biodiversité émergent depuis une dizaine d’années, principalement sous l’action de l’ONG régionale MarViva.
Dans la mesure où cette question implique des acteurs très divers (ONG, pêcheries hauturières, scientifiques, Etats, organisations intergouvernementales, etc.), cette recherche s’intéresse aux interactions et aux problèmes d’action collective formulés autour du dôme afin d’interroger les conditions d’émergence d’un commun d’une telle complexité. Comment le dôme est-il « construit » ? Par quels acteurs, à travers quels discours et en s’appuyant sur quels savoirs ? Quelles sont les collaborations et les polarisations qu’il cristallise ?
Méthode
Ce travail de thèse s’appuie sur une enquête qualitative multi-située, articulée autour de la collecte d’un corpus de documents écrits (littérature scientifique pluridisciplinaire, littérature grise, textes juridiques), d’entretiens semi-directifs et de moments d’ethnographie.
L’enquête est menée entre la France, le Costa Rica et le Nicaragua. Un séjour centraméricain a été organisé en 2021 afin de récolter la majeure partie des données par le biais d’entretiens auprès des acteurs situés entre différents sites côtiers (Puntarenas, Cuajiniquil, Playas del Coco, San Juan del Sur) et la capitale du Costa Rica, San José.
Résultats
Le principal résultat est la production d’une thèse de doctorat en géographie humaine, soutenue le 2 juillet 2024 : « Communs et océan : protéger la biodiversité marine dans les espaces hauturiers ».
Un papier de recherche a également été publié aux Editions Agence française de développement : Questioning fishing access agreements towards social and ecological health in the Global South (2021).
Enseignements
Ce travail a exploré la construction sociale du Dôme dans trois principaux champs : les sciences océanographiques, les pêcheries hauturières et le secteur de la conservation de la biodiversité.
Depuis son émergence en tant qu’objet social, le Dôme est resté un espace offshore, difficilement accessible et gouvernable pour des acteurs qui ont déployé diverses stratégies pour le connaître et l’utiliser. La recherche océanographique mobilise de manière grandissante la médiation technique pour déchiffrer un espace géophysique aux contours flous. Plusieurs pêcheries, en particulier des flottes industrielles de pêche lointaine, se sont approchées au plus près du Dôme. Ces rencontres ne se sont toutefois pas révélées stratégiques de manière constante et les pêcheurs continuent à le considérer comme un espace fluide aux configurations dynamiques qui servent des usages labiles.
Plus récemment, le Dôme est devenu un sujet d’attention pour le secteur de la conservation de la biodiversité. Des organisations environnementales non-gouvernementales ont pris le devant pour proposer différentes solutions de gouvernance en commun aux enjeux de protection de la haute mer. Pourtant, en tant qu’élément offshore, le Dôme reste à la limite du monde. Inappropriable, il invite à considérer un narratif autre que celui du « front océanique » – narratif particulièrement présent au cours des dernières années et qui s’appuie sur une vision d’ouverture et de vide océaniques comme opportunité d’expansion humaine et de contrôle.
A lire aussi : L’ouverture des sciences marines, au service d’un océan bien commun de l’humanité (The Conversation France)
Contacts
- Nadège Legroux, docteure en géographie humaine
- Stéphanie Leyronas, chargée de recherche à l'AFD
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Mention légale UE (projet) Comment les inégalités influencent-elles les objectifs de conservation et de développement dans les aires marines protégées (AMP) en Indonésie ? L’Extension de la Facilité de recherche UE-AFD sur les inégalités a cherché à répondre à cette question, en collaboration avec le SMERU Institute, afin de contribuer au débat public et d’identifier des indicateurs sur les inégalités à intégrer dans les politiques liées aux AMP existantes dans le pays.
Contexte
Les aires marines protégées (AMP) sont souvent associées à une grande pauvreté, étant, de par leur conception, destinées à des zones relativement intactes et à faible potentiel économique. L'établissement d'une AMP peut donc créer un fardeau financier et social pour les communautés dépendantes des ressources naturelles, même si les avantages de cette mesure permettent d'obtenir des rendements ou des revenus plus élevés à l'avenir. Certaines parties prenantes peuvent grandement bénéficier des activités commerciales (par exemple, le tourisme, la vente de produits de plus grande valeur, etc.). Toutefois, d'autres parties prenantes sont laissées à l'écart des processus de gestion, alors même que celles-ci sont parfois les plus concernées et sont celles qui ont le plus à perdre.
Les AMP sont donc un facteur d'inégalités dans les communautés qui dépendent fortement des ressources marines, mais sont aussi un outil puissant pour aider à les réduire. Bien qu'il s'agisse d'un aspect important du bien-être des personnes concernées et du succès des AMP, les évaluations et les mesures des inégalités sont actuellement largement absentes de la conception, de la mise en œuvre et de la gestion des AMP.
Ce projet de recherche visait donc à mieux comprendre la dynamique des inégalités dans les AMP en Indonésie, en s'appuyant sur des données existantes et des études de cas spécifiques. Il cherchait ainsi à mieux connaître la façon dont les inégalités influencent les objectifs de conservation et de développement dans les AMP, et à donner des idées sur la façon d'intégrer les évaluations et les indicateurs d'inégalité dans les politiques liées aux AMP existantes dans le pays.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de l’Extension de la Facilité de recherche sur les inégalités. Coordonnée par l’AFD et financée par la Commission européenne, l’Extension contribue à l’élaboration de politiques publiques visant la réduction des inégalités dans quatre pays (Afrique du Sud, Mexique, Colombie et Indonésie) sur la période 2021-2025.
Objectif & résultats
Ce projet est d'abord passé par une phase de cadrage qui a permis de mieux comprendre le rôle des AMP et leurs liens avec les inégalités. Sur cette base, le projet visait ensuite le développement d'un cadre d'analyse des inégalités et de leur dynamique dans les AMP en Indonésie, et le développement d'une boîte à outils pour intégrer les inégalités dans la conception, la mise en œuvre et la gestion des AMP. Il a également alimenté le dialogue politique mené par l'UE et l'AFD sur la gestion des ressources marines et la protection de l'environnement.
Le projet a abouti à :
- Un document de travail résumant les connaissances actuelles sur les aires marines protégées et les inégalités en Indonésie (réalisé par LPEM) ;
- Un projet de recherche approfondie sur les liens entre la réduction des inégalités et la gestion des aires marines protégées, comprenant des études de cas de trois AMP (mené par l'Institut SMERU) ;
- Des activités de formation et de renforcement des capacités avec des praticiens et des gestionnaires d'AMP sur l'inclusion des inégalités dans les pratiques de gestion des AMP.
Enseignements
Vous trouverez ci-dessous les différents documents de recherche liés à ce projet :
- The Benefits of Marine Protected Areas in Fighting Inequality and Fostering Environmental Sustainability in Indonesia (en anglais)
- Balancing Conservation and Community Welfare: Enhancing the Management of Marine Protected Areas in Indonesia (en anglais)
- L’inclusion sociale peut-elle profiter aux écosystèmes ? Concilier enjeux sociaux et environnementaux grâce à une meilleure gestion des aires marines protégées en Indonésie
Vous pouvez également revoir le webinaire de la série « Conversation de recherche » sur le sujet (juillet 2023, en anglais).
Lire la suite dans The Conversation
Contacts
-
Oskar LECUYER
Chargé de recherche
-
Emmanuel FOURMANN
Chargé de recherche