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femmes - règles - hygiène menstruelle
Les Grands prix de la finance solidaire 2019 ont distingué la société KmerPad le 4 novembre, à Paris. Cette entreprise basée à Yaoundé commercialise, avec le soutien du Fonds d'investissement en Afrique FADEV et de l’Agence française de développement (AFD), des serviettes hygiéniques réutilisables qui améliorent le quotidien des Camerounaises. Rencontre avec l’une des fondatrices, Olivia Mvondo, également à l'origine des « causeries éducatives ».

« Au Cameroun, il arrive encore qu’on dise à une jeune fille de ne pas cuisiner pendant ses règles, car les plats seraient ratés. » Des histoires comme celles-ci, Olivia Mvondo, l’une des cofondatrices de KmerPad, une entreprise de confection de serviettes hygiéniques réutilisables et lauréate des Grands prix de la finance solidaire 2019, pourrait en citer des dizaines. Elles témoignent des nombreux tabous qui continuent de peser sur les règles, en Afrique centrale et de l’Ouest comme dans de nombreuses autres régions du monde.

Vécues comme un stigmate, les périodes de menstruation, en particulier durant la puberté, sont le plus souvent tues et cachées, précisément au moment où les informations et les conseils des proches ou du personnel médical et scolaire permettraient de les aborder plus sereinement.

Un fléau sanitaire et social

Cette omerta fait peser de vrais risques sanitaires sur la santé des jeunes femmes, comme a pu le constater Olivia Mvondo : « Certaines filles et femmes utilisent des morceaux de tissus qui ne sont absolument pas adaptés, du polystyrène ou du polaire. Elles ignorent aussi, souvent, la nécessité de se changer plusieurs fois par jour. Le sujet est si tabou que des mauvaises pratiques subsistent. »

Ce silence n’est pas seul en cause : pour de nombreuses jeunes filles ou jeunes femmes, le prix des protections hygiéniques continue de constituer l’un des principaux obstacles à une gestion sûre et saine de leurs règles. Dans les familles les plus démunies, le budget qu’il faudrait leur consacrer passe encore trop souvent derrière certains achats prioritaires. Les deux dimensions sont d’ailleurs étroitement liées, comme le rappelle Olivia Mvondo : « Tant que l’hygiène menstruelle ne sera pas considérée comme un sujet de société et comme une véritable problématique de santé publique, difficile de faire bouger les choses au sein de la structure familiale. »

En plus de fragiliser la santé de milliers d'adolescentes, ces discriminations ont des conséquences directes sur leur scolarité. On estime ainsi qu’en Afrique, une jeune femme sur dix n’irait pas à l’école durant sa période de menstruation, principalement faute de moyens pour se procurer des serviettes jetables. Ces absences répétées ont de nombreuses incidences négatives sur la suite de leur parcours scolaire et, in fine, sur leur accès au marché du travail.

L’aventure KmerPad

C’est pour briser le tabou des règles et pour lutter contre le fléau de la déscolarisation précoce des jeunes filles qu’avec trois amis, Olivia Mvondo a fondé en 2012 le groupement d’initiative commune (GIC) KmerPad (contraction de Kmer, Cameroun en argot et pad, serviette hygiénique en anglais), qui produit et commercialise des serviettes hygiéniques en coton, lavables et réutilisables, made in Cameroun : « L’idée de départ, c’était que les jeunes Camerounaises n’aient plus à se soucier de l’accès à des protections hygiéniques. Nous avons donc imaginé des kits contenant chacun trois serviettes, ce qui permet d’être parfaitement autonome pendant au moins dix-huit mois. »

En plus d’être pratique, écologique et produite localement, cette solution réduit le coût d’une bonne hygiène menstruelle. Au Cameroun, un paquet de serviettes hygiéniques jetables coûte 600 francs CFA (0,90 euro) contre 3 000 francs CFA (4,50 euros) pour un kit de protections hygiéniques lavables. L'investissement s'avère donc rentable sur le long terme.

Depuis son lancement, en 2012, la petite entreprise a prospéré : elle emploie désormais une vingtaine de personnes à Yaoundé, la capitale, et vend environ 2 000 kits par mois. Si, dans un premier temps, ses clients étaient principalement des ONG (l’UNICEF, l'UNFPA et l’ONU Femme), ses circuits de distribution se sont élargis : depuis 2017, les kits sont disponibles en pharmacie ainsi que dans tous les supermarchés camerounais.

Des « causeries éducatives » sur l’hygiène menstruelle

Son action ne s’arrête pas là : l’entreprise organise également des « causeries éducatives » dont l’objectif principal est de sensibiliser la population – féminine comme masculine – aux bonnes pratiques d’hygiène menstruelle. « Nous sommes intervenus dans des camps de réfugiés, des prisons, des écoles, en communauté rurale ou urbaine », détaille l'entrepreneure.

Avec, pour chaque public, une pédagogie différenciée : « Lorsque nous rencontrons des petites filles, dans les écoles, nous privilégions une approche très ludique. Nous utilisons des images, des gadgets… Pour les plus âgés, nous organisons des ateliers de discussion. Chaque participant commence par raconter une histoire. Une fois le contact établi et le tabou levé, lorsque les participants sont davantage en confiance, nous approfondissons les enseignements, on rentre dans le vif du sujet. »

L’occasion de rappeler les bonnes pratiques, tant en matière d’utilisation des protections hygiéniques que d’élimination des déchets. Mais aussi d’encourager les personnes présentes lors de ces ateliers à diffuser ces informations autour d’eux avec l’espoir que, petit à petit, les lignes bougent en Afrique de l’Ouest.

KmerPad espère pouvoir bientôt distribuer ses produits dans toute l’Afrique de l’Ouest, ainsi qu’en Afrique centrale. Pour accélérer son développement, l’entreprise peut compter, depuis juin 2019, sur le soutien financier du FADEV, une société d’investissement qui accompagne des PME à impact social au Mali, au Cameroun et en Côte d’Ivoire.

De son côté, le FADEV bénéficie d’une subvention de fonctionnement de l’Agence française de développement courant jusqu’en 2022. Un moyen efficace, pour l’AFD, de valoriser les initiatives d’entrepreneurs et d'entrepreneures locaux en faveur de la réduction des inégalités basées sur le genre et l’autonomisation des femmes.