Les banques publiques de développement (BPD) opèrent dans plus de 150 pays, disposent de 23 000 milliards de dollars d’actifs et fournissent plus de 10 % des financements annuels mondiaux. « Les banques publiques sont notre meilleure chance de financer les changements nécessaires pour lutter contre la crise climatique mondiale, et pour le faire bien. Elles dépassent déjà les attentes relatives aux financements en faveur du climat. Dans ce domaine, elles attribuent presque autant de financements que les banques privées, alors que ces dernières ont quatre fois plus d’actifs qu’elles », écrit Thomas Marois, professeur de sciences politiques à l’Université canadienne McMaster et auteur de l’ouvrage Public Banks : Decarbonisation, Definancialisation and Democratisation.
À eux seuls, les membres de l’International Development Finance Club (IDFC) investissent chaque année plus de 800 milliards de dollars, dont 20 % en moyenne sont consacrés aux financements écologiques. Mais « ils ont la possibilité de mobiliser des montants nettement plus élevés », selon une publication IDFC sur l'alignement avec les ODD.
Pour Maria Alejandra Riaño, chercheuse associée à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et conseillère pour le sommet Finance en commun, que ce soit au niveau stratégique, opérationnel ou des partenariats, « très peu de banques s’alignent dans ces trois domaines en même temps, alors que c’est ce qui leur permettrait vraiment de cadrer avec les ODD et l'Agenda 2030. »
Des pionnières
Cependant, certaines BPD font des progrès significatifs. Parmi les outils développés, citons celui de la KfW, la banque de développement allemande, et son système de cartographie qui vise à examiner les effets attendus de ses financements annuels en faveur des Objectifs de développement durable (ODD) en se basant sur un ensemble de plus de 1 500 données. La banque utilise également un système de notation de l’efficacité de ses projets et de leur contribution aux ODD. L’évaluation permet d’estimer si les entreprises fournissent des emplois décents, créent des emplois localement afin de générer des « revenus locaux » et contribuent au développement du pays.
Pionnier dans le domaine, le groupe AFD a lancé le dispositif d’analyse et de mesure du développement durable en 2014. Son objectif est d’évaluer la manière dont les projets intègrent les ODD concernés grâce à six critères : biodiversité, climat (atténuation/résilience), bien-être social, genre, économie et gouvernance. La Banque centraméricaine d’intégration économique utilise également son indice sur l’impact du développement afin d’évaluer chaque projet dès sa préparation, par le biais d’une autoévaluation, d’une évaluation des progrès et d’une évaluation ex-post.
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Recherche et préparation précoce
De plus en plus de banques mènent des recherches dès la phase initiale de préparation des projets, et ce afin d’évaluer les effets de ces projets sur les communautés et l’environnement. Par exemple, la Trade & Development Bank, en Afrique, a mis au point un système de gestion environnementale et sociale afin d’évaluer les performances environnementales et sociales de ses investissements potentiels et de suivre les opérations qui sont déjà en cours. Son rapport 2021 sur ce système aborde, entre autres, les questions suivantes : que se passe-t-il en cas d’incidents ou d’urgences ? Quelles sont les procédures en place pour garantir des conditions de travail adaptées qui assurent la protection des travailleurs contre le travail forcé et le travail des enfants ?
Les obstacles
Selon certains experts, si l’alignement avec les ODD pose un défi aux BPD, c’est en raison d’un manque d’informations cohérentes, d’un coût élevé des collectes de données, mais aussi parce qu’elles ne disposent pas de capacités de suivi. Le fait de lier l'investissement à des exigences sociales, environnementales et de développement plus élevées comporte également des risques.
La banque brésilienne BDMG évalue les risques afin d’identifier les secteurs qu’elle exclut de ses financements, comme les activités d’exploitation minière et de transport à fortes émissions. La banque Nacional Financiera (Nafin), au Mexique, a financé le marché de l’énergie éolienne par le biais d’un partenariat et d’un crédit syndiqué, c’est-à-dire un crédit accordé par un groupe de prêteurs lorsqu’un prêt est trop important ou trop risqué pour une seule banque.
« La Nafin accorde aussi des subventions récupérables afin de trouver un équilibre entre viabilité financière et durabilité. Elle soutient les étapes initiales de la préparation des projets, ce que peu de banques font. Elle est l’une des rares banques à prendre le risque d’attribuer des subventions exceptionnelles pour soutenir les projets qui visent les ODD, particulièrement dans le secteur de l’énergie », assure Maria Alejandra Riaño.
Accélération de l’alignement et harmonisation des pratiques
Quelle que soit la robustesse des outils d'analyse des différentes banques, chaque institution a sa propre façon de mesurer l'alignement. Ce manque d'harmonisation rend la comparaison difficile entre les plus de 500 banques de développement et institutions financières.
« Les BPD sont de plus en plus soucieuses des questions de durabilité mais il leur manque une taxonomie commune sur les investissements relatifs au développement durable, analyse Jean-Baptiste Jacouton, chercheur à l’AFD. Les financements climatiques augmentent, mais si nous ne partageons pas certaines normes, pouvons-nous vraiment tirer des conclusions définitives sur nos progrès ? Voilà pourquoi nous avons besoin de normes et de méthodes communes, pour pouvoir dire avec certitude que les financements en faveur du climat et de la durabilité augmentent. »
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Afin de mettre au point une approche harmonisée, l’International Development Finance Club a commandé l’étude « Le rôle de catalyseur des BPD en faveur des ODD de l’ONU ». Publiée en 2022, elle met en lumière 15 indicateurs de suivi de l’intégration des ODD pour accélérer l’alignement et appelle aussi les banques privées et publiques à harmoniser leurs principes et pratiques.
Parmi les recommandations : l’identification des lacunes dans le domaine des ODD par région, l’utilisation d’une taxonomie des ODD afin de noter le potentiel de contribution aux ODD pour chaque activité et l’utilisation de ce potentiel pour exclure certains investissements, mais aussi pour inciter à allouer des capitaux.
« L'IDFC travaille activement sur un cadre visant l’alignement des banques publiques de développement avec les ODD. Aujourd’hui, la communauté des BPD dans son ensemble doit suivre cet exemple », conclut Maria Alejandra Riaño.