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Le groupe AFD est-il en bonne voie pour être aligné à 100 % avec l’Accord de Paris ? Pour le think tank indépendant E3G qui vient d’évaluer son alignement, la réponse est positive, avec des performances exceptionnelles sur un large éventail de critères. Trois grandes recommandations poussent à la réflexion pour aller encore plus loin en termes de transparence et d’objectifs de neutralité carbone.

Le groupe AFD s’est fixé comme objectif que tous les projets financés soient 100 % compatibles avec l’Accord de Paris sur le climat. Pour faire un point sur les réalités de la cohérence entre cet engagement fort et les actions concrètement menées et financées, le think tank E3G, spécialisé dans le changement climatique, a réalisé une évaluation indépendante en s’appuyant sur 15 critères d’évaluation autour de la finance climat, l’adaptation, les activités internes, les stratégies, l’atténuation et l’accompagnement des pays. « C’est important de se prêter à cet exercice car cela nous permet de savoir où nous nous situons par rapport aux pairs et aux standards d’alignement, précise Estelle Mercier, responsable adjointe de la cellule Climat et nature de l’AFD. Et plus il y aura d’institutions qui se prêteront au jeu, plus cela aura de l’influence. »


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Concrètement, pour respecter cet engagement 100 % Accord de Paris, les équipes du groupe AFD analysent chaque intervention au regard de sa cohérence en matière de trajectoire bas-carbone et de résilience au changement climatique. L’exposition des investissements aux risques climatiques est également passée à la loupe, que ces risques soient physiques ou liés aux politiques de transition bas-carbone. Depuis la COP21, l’AFD ne soutient plus aucun projet allant à l’encontre des deux objectifs majeurs de l’Accord de Paris : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation aux impacts du dérèglement climatique.

Pour Laura Sabogal Reyes, conseillère stratégique en finance durable chez E3G, qui dirige le travail du think tank autour de la matrice de suivi climatique des banques publiques, « l'AFD est vraiment en bonne voie pour être alignée à 100 % sur l’Accord de Paris. Il est très important de lier action climatique et Objectifs de développement durable (ODD), et les processus de l'AFD sont très précurseurs à cet égard. Ses politiques de prêt et d’exclusion des énergies fossiles se classent également dans les meilleures parmi les institutions financières que nous avons évaluées. » La conseillère souligne aussi le rôle que joue l’AFD en soutenant d'autres institutions sur la voie de l'alignement, notamment par le biais de l’International Development Finance Club (IDFC) et du sommet Finance en commun (FICS), ainsi que l’assistance technique apportée aux pays partenaires.


Découvrir l’évaluation réalisée par E3G (en anglais)

Matrice E3G
L'évaluation E3G s’appuie sur une série de 15 critères, chacun étant noté comme « non aligné », « des progrès », « aligné sur l’Accord de Paris » ou « transformationnel ». © E3G


Concernant les points restant à améliorer, trois grandes recommandations ressortent de l’étude E3G :

Recommandation n°1 : Avancer dans l’application des méthodologies d’alignement des financements intermédiés

Le groupe AFD vient de publier un papier de positionnement sur l’alignement avec l’Accord de Paris des opérations avec les institutions financières, dans l’objectif de mieux les soutenir dans leur propre parcours d'alignement. Pour Estelle Mercier, « avec cette publication, nous avons voulu partager notre approche actuelle pour évaluer l'alignement de nos opérations avec les institutions financières, et les principes pour l’affiner et la renforcer à l'avenir. Nous ne nous intéressons pas seulement au projet ou aux actifs que nous finançons, mais aussi à l’institution que nous finançons : nous analysons sa stratégie, son portefeuille, ses pratiques, pour comprendre d’où elle part et comment l’accompagner pour aller dans la bonne direction. »

E3G accueille favorablement cette publication et encourage l'AFD à poursuivre sa réflexion et ses échanges avec d’autres institutions, comme les banques multilatérales de développement. En outre, selon Laura Sabogal Reyes, « il est essentiel que l'AFD s'assure que les programmes de transition proposés sont assortis d'un cadre et d'un mécanisme de suivi solides pour vérifier la cohérence avec les scénarios de température pertinents. Nous encourageons également l'AFD à intégrer les enseignements acquis jusqu'à présent dans le cadre de son approche pilote "pro-climat" , qui vise à accompagner ses banques clientes dans leur transformation et dans le renforcement de leur cadre stratégique et opérationnel, afin de mieux tenir compte du changement climatique. »

Chiffre clé Climat

 

Recommandation n°2 : Définir une cible absolue de neutralité carbone pour l’ensemble du portefeuille du groupe AFD

L'AFD évalue les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'un large éventail de secteurs, comme l'agroalimentaire, l'industrie, les transports, l'énergie, le BTP, et suit au mieux les émissions projet par projet. Mais pour E3G, un objectif au niveau du portefeuille « permettrait de relier le processus d'alignement de l'AFD à une trajectoire spécifique. Cela permettrait d'orienter son portefeuille en fonction. Compte tenu des contextes dans lesquels l'AFD intervient, cet outil pourrait d’abord prendre la forme de cibles et de suivis internes, qui seraient rendus publics progressivement. »

« Cette approche est très quantitative, souligne Estelle Mercier. Nous avons échangé avec E3G sur ce point pour que l’importance de ce critère soit nuancée, en privilégiant l’analyse de l’alignement de chaque projet avec les trajectoires à long terme et la décarbonation. »

Pour la deuxième année, en 2022, l’AFD a calculé ses émissions absolues, sur l’ensemble des projets financés. « C’est intéressant d’avoir cette référence, précise Estelle Mercier. Mais nous ne pouvons pas être pilotés par ça, car l’AFD a un mandat d’accompagner le développement et la transition des pays. »

Gilles Kleitz, directeur exécutif des Solutions de développement durable à l’AFD, confirme : « Plus qu’un chiffre absolu, nous cherchons à savoir, sur des sujets atténuation par exemple, combien de tonnes de carbone sont économisées par million d’euros investi. Notre marqueur est là. Si nous utilisons uniquement des chiffres absolus, nous ne financerons que des activités déjà propres et n’aurons pas le meilleur impact transformationnel sur l’économie des pays partenaires. » 


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Recommandation n°3 : Mettre en œuvre un prix fictif du carbone (« Shadow Carbon Price »)

Cette recommandation étant en lien avec la précédente, pour E3G, « les trajectoires de décarbonation sont effectivement essentielles, mais ne peuvent être détachées des émissions. Un prix fictif du carbone permet d'éclairer la prise de décision concernant ces trajectoires. Ce n'est pas une "réponse à tout", mais c’est un outil à utiliser en complément d’autres mesures, comme les listes d’exclusion ou les seuils d’émissions. »

« Ici, de nouveau, nous faisons davantage confiance à notre dispositif d’analyse de l’alignement des projets sur les trajectoires de décarbonation et de résilience, explique Estelle Mercier. Les approches quantitatives comme le prix fictif du carbone sont plus faciles à mettre en place, mais risquent de donner des réponses incorrectes, en pénalisant des projets vertueux, voire en favorisant des projets qui représentent des risques de verrouillage à long terme. »


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Accompagner ceux qui en ont le plus besoin

Face à ces trois grandes recommandations se pose la question d’accompagner ceux qui en ont le plus besoin. « Faut-il tenir compte uniquement du point de départ ou des progrès nécessaires à effectuer ? poursuit Gilles Kleitz. Dans tous nos sujets sociaux et planète se présente un dilemme entre une logique d’exclusion des activités et des clients qui sortent du cadre, et la prise en compte de leur volonté de progresser rapidement. Il est finalement peut-être plus utile de financer une progression fulgurante en cinq ans d’un niveau très bas à un niveau moyen/bon. »

Pour E3G, chaque pays a en effet son propre contexte, et chaque transition est différente : « il ne s'agit pas de sacrifier le développement au détriment du climat, bien sûr. Au contraire, les deux doivent être abordés de concert. Il s'agit de créer des plans de transition permettant à ces pays d'avancer progressivement vers la décarbonation de leur économie. Pour y parvenir, les institutions de financement du développement (et autres banques publiques) doivent coordonner au mieux l'ensemble des mesures, qu'il s'agisse des politiques de prêts, d'assistance technique ou de financement. »


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Privilégier le dialogue avec les pairs

L’analyse d’E3G révèle que plusieurs sujets demandent des analyses plus détaillées. À propos de la cible pour l’ensemble du portefeuille, et le prix fictif du carbone, E3G lance une invitation au dialogue : « Si l'AFD se prononce contre [ces recommandations], E3G l'invite à engager une discussion avec d'autres institutions financières de développement, banques multilatérales de développement et organisations de la société civile concernant sa justification. »

Selon Estelle Mercier, « cette invitation est très opportune. E3G reconnaît que les stratégies optimales ne sont pas nécessairement tranchées, et qu’il faut poursuivre le dialogue. Nous allons bien sûr suivre cette recommandation. »

Partager les bonnes pratiques 

Une recommandation revient régulièrement dans l’étude E3G : rendre les méthodologies publiques. « L’AFD a accumulé tellement d’expérience et de savoir-faire que nous l’encourageons à les partager le plus possible avec les institutions qui n’ont pas les mêmes capacités, explique Laura Sabogal Reyes. C’est aussi important en termes de redevabilité. »

Pour la première fois, l’AFD a publié à l’occasion de la COP26 un rapport TCFD (Task Force on Climate-Related Financial Disclosures), renforçant ainsi ses efforts de transparence et démontrant la place centrale accordée aux opportunités et aux risques financiers climatiques dans sa gouvernance, sa stratégie et le dialogue avec ses clients et partenaires. 


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Et ensuite ? 

E3G s’est fixé comme objectif d’évaluer plus de 500 banques publiques dans le monde. « C’est un objectif ambitieux, précise Laura Sabogal Reyes, mais pour parvenir à un monde sans danger pour le climat, toutes ces institutions jouent un rôle crucial pour débloquer les ressources nécessaires. »

Pour Estelle Mercier, « au-delà de l’alignement de nos opérations, le prochain objectif est l’accompagnement des autres acteurs vers l’alignement : banques publiques, secteur privé, acteurs énergétiques. Nous encourageons aussi les autres membres d’IDFC à se prêter à l’évaluation : quatre membres ont déjà été évalués et cinq autres le seront l’année prochaine. » 


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De son côté, Gilles Kleitz rappelle également l’importance de s’inspirer désormais de cette démarche d’alignement pour les opérations ayant des impacts positifs sur la nature : « L’AFD présentera à la COP15 en décembre ses outils de finance Nature+, s’appuyant sur une nouvelle méthode de comptabilisation de la finance biodiversité et la prise en compte des risques au niveau de chaque projet. Cette approche met l’AFD en position de soutenir un Cadre mondial pour la biodiversité post-2020 ambitieux. »