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Les effets du dérèglement climatique font craindre un impact fort sur les activités agricoles en Guinée. Dans ce contexte, le gouvernement a sollicité l’appui du programme AdaptAction du groupe AFD pour étudier la vulnérabilité au changement climatique de certaines filières clés dans la région de Haute-Guinée, comme le maraîchage. Au moment où les Nations unies organisent la COP15 contre la désertification à Abidjan, du 9 au 20 mai 2022, rencontre avec Mama Aïssata Keita et Adrien Sow, responsables de la Fédération des unions maraîchères de Haute-Guinée.

Qui pratique le maraîchage en Haute-Guinée ?

Mama Aïssata Keita - Adrien Sow : De plus en plus d’habitants, beaucoup de femmes, mais aussi des hommes. Avant, le maraîchage était vu comme une activité de femmes, et même de « pauvres femmes ». Mais avec l’appui des services du ministère de l’Agriculture et de partenaires techniques et financiers, les paysans se sont rendu compte de ses atouts. Cela demande peu d’espace et de moyens : des semences, des engrais organiques et du courage pour biner et arroser tous les jours. Contrairement aux autres cultures, on peut récolter de façon échelonnée. Et si on a accès à l’eau, on peut produire en saison sèche plutôt que d’aller creuser dans les mines d’or. 

Quels sont les principaux légumes cultivés ?

M.A.K. – A.S. : Ils sont nombreux. Certains sont encore peu répandus (chou, persil, poivron, etc.). D’autres se retrouvent dans presque tous les jardins : aubergine, oignon, échalote, gombo, patate douce… Ces légumes sont autoconsommés par les maraîchers ou vendus sur les marchés locaux.


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Comment est pratiqué le maraîchage ?

M.A.K. – A.S. : Ce sont généralement les femmes qui se donnent la main et cherchent un petit terrain près d’un marigot qu’un chef de famille, un chef coutumier ou un élu voudra bien leur céder. Elles clôturent le jardin pour éviter que les animaux en divagation ne rentrent, et font creuser des puits. Ensuite, elles délimitent chacune de leurs parcelles. Elles se débrouillent avec les moyens du bord : elles s’échangent des semences, utilisent la houe pour planter et biner, le seau et la corde pour puiser l’eau, elles épandent des bouses de vache et de la cendre de bois… Ces femmes achètent très peu de choses : parfois des semences importées (pour l’oignon ou l’aubergine « améliorée » par exemple), parfois des insecticides ou des herbicides, quasiment jamais d’engrais minéral.

Quels bénéfices tirent les femmes, et la population locale en général, du maraîchage ? 

M.A.K. – A.S. : Avant, il était rare de trouver autre chose que du tô (pâte de maïs) ou du riz dans les gargotes en ville. Maintenant, on peut manger des légumes crus, en salade, ou cuits en sauce. Le maraîchage a permis de diversifier l’alimentation. Cela a aussi permis aux femmes, qui ont du mal à accéder à leur propre terre, de cultiver pour elles-mêmes. Elles se créent de petites économies qu’elles peuvent utiliser pour payer des condiments, les frais scolaires des enfants, et financer d’autres activités. Enfin, les jardins sont souvent des endroits de lien social, où elles aiment se retrouver pour travailler et échanger.

« Inondations ou… sécheresses »


Observez-vous des impacts du changement climatique sur le maraîchage ? 

M.A.K. – A.S. : Nous avons constaté que les pluies tombent de façon bizarre : un peu ici, beaucoup là-bas. Elles démarrent tardivement, s’arrêtent plus tôt, il peut pleuvoir très fort, ce qui provoque des inondations, ou pas du tout, ce qui occasionne des sécheresses. Ces impacts amplifient nos problèmes : nos puits s’éboulent ou s’envasent suite aux inondations, la nappe d’eau disparaît plus tôt, les animaux sont attirés par les jardins en saison sèche car le fourrage est de plus en plus rare, les insectes semblent se reproduire plus vite et ravager plus. Certaines maraîchères se plaignent aussi d’une baisse de la fertilité des sols et de mauvais rendements.


Mettez-vous en œuvre des mesures d’adaptation pour faire face à ces impacts?

M.A.K. – A.S. : Oui, on se bat déjà, notre gagne-pain est en jeu. On prépare nos pépinières plus loin des marigots pour éviter de tout perdre lors des crues, on recreuse régulièrement nos puits, on cultive des légumes qui tolèrent des arrosages plus espacés, comme la patate douce, on consolide régulièrement les barrières. Mais tout cela ne suffit pas toujours. 

« Ça fait peur, mais ça pousse à réagir »


Avez-vous une idée des impacts futurs du changement climatique sur le maraîchage ?

M.A.K. – A.S. : Grâce aux appuis du programme AdaptAction, nous avons été informés sur les causes du changement climatique. Mais aussi sur ce qu’il risque de se passer dans quelques années, puis d’ici trente ans. Ça fait peur, mais ça pousse à réagir. Les pluies risquaient d’être de plus en plus violentes, les températures de plus en plus élevées, les grosses inondations de plus en plus fréquentes. Tout cela risque d’accentuer nos problèmes actuels.

Quelles mesures supplémentaires avez-vous identifiées pour vous adapter à ces impacts futurs ?

M.A.K. – A.S. : En réfléchissant avec les experts d’AdaptAction et les agents des services techniques, nous avons identifié plusieurs mesures utiles : 

  • Pour l’eau, la généralisation des puits améliorés (puits busés, plus large et plus profonds que les puits traditionnels, avec margelle, pompe manuelle et réservoir) et promotion des techniques limitant l’évapotranspiration comme l’agroforesterie ou le paillage.
  • Contre les animaux en divagation, équiper nos jardins avec des clôtures barbelées, plus chères mais plus durables.
  • Contre les attaques d’insectes, développer de techniques « douces » mais efficaces, pour ne plus utiliser de produits chimiques.
  • Enfin, renforcer nos techniques de maintien de la fertilité des sols et des rendements (usage du compost, associations de cultures, etc.), notamment grâce aux techniques utilisées dans le massif montagneux du Fouta-Djalon (compostage), mais aussi au Mali (lutte contre les vers nématodes avec les œillets d’Inde) et en Côte d’Ivoire (pose d’ombrières pour limiter l’assèchement du sol), des techniques que nous voulons expérimenter.

 


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