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soutenabilité forte conférence recherche AFD
Le concept de « soutenabilité forte », qui vise à s’assurer que celui de développement durable délivre bien ses promesses, était au coeur des discussions à la 15e Conférence internationale de recherche organisée par l’AFD du 7 au 9 décembre à Paris.

Un concept flou. Apparu dans les années 1980, le développement durable ne s’est jamais défait de cette image qui lui colle à la peau, et a donné lieu à des interprétations et des actions extrêmement variées. À tel point que, quarante ans plus tard, les tensions entre objectifs économiques, environnementaux et sociaux des différentes parties prenantes ne sont toujours pas réglées.

De quoi faire renaître ces dernières années, marquées par l’urgence environnementale, un intérêt pour la notion de « soutenabilité forte ». Selon cette approche, les objectifs des politiques économiques et sociales – eux-mêmes interdépendants – ne peuvent pas mettre l’environnement de côté : elle reconnaît la finitude des ressources planétaires, ainsi que la valeur de la nature, la nécessité de respecter des minima sociaux et les freins que ces exigences imposent à la croissance économique. Loin de remettre en cause les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, la soutenabilité forte entend accélérer leur atteinte.

 

 

Trajectoires de développement

« Soutenabilité forte : les trajectoires de développement net zéro sont-elles soutenables ? » était le thème de la 15e Conférence internationale de recherche organisée par l’Agence française de développement (AFD), du 7 au 9 décembre à Paris. L'objectif était de générer des connaissances sur le sujet et des recommandations destinées aux secteurs public et privé, ainsi qu’à la société civile.

« La plupart des mesures économiques n’incluent pas le coût pour le climat. On ne peut ainsi pas évaluer l’avantage qu’il y a à réduire notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles. Le coût de l’inaction climatique est pourtant énorme », constate Helen Mountford, présidente de la fondation ClimateWorks. « La soutenabilité forte doit être au centre de nos actions. La nature n’est pas remplaçable, pas plus que ses fonctions écosystémiques », prévient Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France.


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Le contexte est propice au renforcement du concept de développement durable. « Six des neuf limites planétaires ont été franchies, 69 % des populations d’animaux vertébrés ont disparu depuis 1970 et 80 % des ODD ne seront pas atteints si nous ne protégeons pas la nature », rappelle Véronique Andrieux. « Si nous n’agissons pas, la probabilité que les risques climatiques se concrétisent est de 100 % », alerte le directeur général adjoint de la Banque des règlements internationaux, Luiz Awazu Pereira Da Silva.

« Tout doit être transformé »

Face à ces défis, les engagements vers la neutralité carbone, ou net zéro, des États et des entreprises en 2040, 2050 ou 2080 sont jugés insuffisants. « Le concept devrait peut-être être repensé, glisse tout en euphémisme Marine Pouget, du Réseau action climat. Il s’agit d’éviter que les acteurs prennent des engagements pour le climat tout en continuant d’investir dans les énergies fossiles. D’autant plus que beaucoup de ces engagements reposent sur les technologies, dont certaines ne sont pas assez matures ou soutenables. »

Lors d’une session plénière, deux heures plus tôt, Stéphane Hallegatte, conseiller à la Banque mondiale, interpellait la salle : « Qui pense que les objectifs net zéro des différents acteurs sont atteignables ? » Une seule main s’était alors timidement levée. « Si on ne pense pas que ces objectifs sont atteignables, alors on ne les atteindra sans doute pas », avait-il poursuivi.

Pour Céline Guivarch, directrice de recherche CNRS à l’École des ponts ParisTech, ces stratégies d’atténuation sont aujourd’hui confrontées à des difficultés de mise en œuvre, en particulier dans les pays du Sud. « C’est une pratique courante de décorréler les trajectoires de développement des questions environnementales. L’ampleur des changements nécessaires n’est pas bien comprise : tout doit être transformé. Or, il y a un fossé entre les moyens nécessaires et ceux réellement consacrés à ces objectifs », pointe la chercheuse.

Investissements vers les nouvelles solutions

Venu évoquer les défis auxquels font face les pays exportateurs d’énergies fossiles, le vice-ministre général des Finances colombien Diego Guevara invoque le « dilemme vert » auquel serait confrontée la planète, à savoir « que celle-ci se moque de savoir qui émet des gaz à effet de serre ». « La plupart des pays périphériques d’Amérique du Sud dépendent du pétrole ou du gaz. Comment en sortir ? », interroge-t-il. Et d’appeler à « restructurer la dette en fonction des enjeux climatiques ».

Les différents experts étaient aussi venus avec leurs solutions. « Il y a aujourd’hui trop de risques perçus dans les investissements vers les nouvelles solutions et pas assez dans les investissements traditionnels. Il faut changer cela. Le problème n’est pas d’avoir davantage d’investissements mais de les réorienter », défend Céline Guivarch.

Antoine Godin, économiste à l’AFD, a pour sa part mis en avant l’intérêt des outils de modélisation macroéconomique intégrant des paramètres sociaux et environnementaux, à l’image du projet Gemmes mené par le groupe AFD au Maroc, en Tunisie, en Colombie, au Mexique, en Inde ou encore au Vietnam : « Ces outils permettent de nourrir l’analyse et de construire petit à petit une trajectoire de soutenabilité forte. Celle-ci doit reposer sur des principes directeurs compte tenu de l’incertitude des trajectoires à long terme. Un de ces principes est de refuser a priori de substituer les capitaux pour préserver les capitaux critiques. Un second principe est de proposer une approche participative permettant de faire émerger un construit social. »

Absorber le risque

Pour Luiz Awazu Pereira Da Silva, la finance a un rôle « extrêmement important » à jouer. À condition qu’elle change d’état d’esprit, travaille avec les bonnes données et évalue les émissions de gaz à effet de serre de ses portefeuilles, afin d’améliorer la gestion des risques, en particulier face aux catastrophes climatiques.

« Les sociétés bénéficiant de financements doivent avoir un plan de transition clair, explique le directeur général adjoint de la Banque des règlements internationaux. La complémentarité public-privé doit également être travaillée afin d’assurer les financements nécessaires à la transition des pays à faible revenus. À cet effet, les institutions bilatérales et multilatérales de développement devront absorber le premier niveau de risque pour encourager les investissements privés. »


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Ce à quoi une partie des banques de développement est déjà prête. « En dépit de ses faibles montants, l’aide publique au développement est très utile, et c’est une ressource stable », souligne Marie-Hélène Loison, directrice générale adjointe de l’AFD. Des instruments innovants, tels un marché du carbone ou le partage de risque, pourraient provoquer un changement d’échelle. « Nous essayons de développer de nouveaux outils financiers. Tout dépend néanmoins de la volonté politique. »