En Asie du Sud, l’initiative MobiliseYourCity (MYC) vise à réconcilier mobilité et développement durable. L'Agence française de développement (AFD), principal partenaire de la mise en oeuvre du programme, soutient les organismes de planification urbaine des pays partenaires en leur fournissant une assistance technique pour des politiques de mobilité urbaine évolutives et durables.
Sasank Vemuri, coordinateur mondial du partenariat MYC, revient sur ce programme novateur et la nécessité de mobiliser le financement climatique en soutien aux problématiques de mobilité urbaine en Asie du Sud.
Quel est l'état des transports urbains en Asie du Sud et leur lien avec le changement climatique ?
Sasank Vemuri : L'Asie du Sud compte environ un quart de la population mondiale, soit près de deux milliards de personnes, qui vivent sur environ 3 % de la masse terrestre. Notamment dans certaines des plus grandes mégapoles du monde comme Karachi, Delhi et Dhaka, qui font également partie des agglomérations connaissant la croissance la plus rapide au monde.
Cette population et cette réalité urbaine, combinées à une croissance annuelle moyenne de 6 % du PIB de la région, exigent des systèmes de transports efficaces, sûrs et durables. Or, ils peinent actuellement à répondre à l'immense demande créée par la dynamique de développement de l'Asie du Sud. Les solutions proposées ne parviennent toujours pas à atténuer les problèmes urgents tels que la congestion et la pollution atmosphérique, cette dernière étant responsable de plus de 5 millions de décès dans la région en 2012. Si rien ne change, les émissions liées au secteur des transports en Asie vont encore fortement augmenter et le continent devrait bientôt représenter 31 % des émissions mondiales de CO2 liées aux transports.
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En vue de répondre à la forte demande en transports de cette région en pleine croissance et de lutter contre les niveaux élevés de pollution atmosphérique et de congestion dans les zones urbaines, il faut proposer des alternatives durables à l'utilisation des véhicules privés. Les transports jouent par ailleurs un rôle clé dans la réduction des émissions de CO2 et l'amélioration de la qualité de l'air dans les villes. Il faut donc exploiter toutes les sources de financement disponibles, y compris le financement climatique.
Quels sont les défis auxquels ces pays sont confrontés lorsqu'il s'agit d'obtenir ces fonds ?
S.V. : Définissons d’abord le financement climatique. Il fait référence à toutes les ressources financières nouvelles fournies par les pays les plus riches pour aider les pays en développement à faire face au coût croissant de la transition de leurs infrastructures confrontées au changement climatique. Ce terme est utilisé lorsque l'on parle de sources telles que le Fonds vert pour le climat et des projets où le développement et le changement climatique sont conjointement favorisés.
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Le financement climatique comprend également toutes les ressources qui soutiennent soit l'atténuation, soit l'adaptation au changement climatique. Cela comprend les financements de la Banque européenne d'investissement par exemple, dont 50 % des financements seront consacrés à l'action en faveur du climat d’ici 2050. Cela inclut également les financements de la Standard Chartered Bank qui peut financer un plan solaire sur réseau ou encore offrir des prêts pour l'achat d'un véhicule électrique.
Dans le cas de l'Asie du Sud, les villes devront tirer le meilleur parti des deux versions du financement climatique, l'une étroitement définie et l'autre largement définie, afin de combler l'important déficit d'investissement.
Il y a, in fine, trois défis principaux : premièrement, un manque de capital humain formé aux financements disponibles et à la façon dont on peut y accéder ; deuxièmement, un manque de financement pour toutes les études et la préparation des projets ; et troisièmement, des structures institutionnelles qui ne permettent pas aux villes de disposer d’un accès direct à ces fonds.
Comment le programme MobiliseYourCity répond-il à ces défis ?
S.V. : Nous travaillons essentiellement sur les deux premiers d’entre eux, d’une part en renforçant les capacités et en développant des outils utiles pour les villes, d’autre part en finançant des plans de mobilité urbaine durable (Sustainable Urban Mobility Plans) ou des politiques et des programmes d'investissement nationaux en matière de mobilité urbaine (National Urban Mobility Policies and Investment Programmes), utiles à la préparation de projets à financer.
Nous travaillons également de plus en plus sur le troisième défi. En général, le financement de la lutte contre le changement climatique est assuré par des canaux locaux, nationaux, régionaux et internationaux, à partir de diverses sources. Les fonds publics, privés ou mixtes, sont utilisés pour proposer des prêts, des subventions, des fonds propres ou des garanties. Or, contrairement à certaines idées reçues, les subventions ne représentent que 5 % du financement climatique mondial, le financement climatique multilatéral n'en représente, lui, que 0,5 %. Les investissements privés représentent eux 56 % de la majeure partie des financements liés au climat. Cela montre à quel point il est important pour les villes de créer des projets financièrement rentables, basés sur une analyse économique solide et sur des critères d'évaluation rigoureux lors de la phase de préparation.
L’accès aux fonds climatiques internationaux peut être très difficile pour les institutions locales car celles-ci doivent disposer d’une vue d'ensemble du processus et supporter le temps long, chronophage, complexe et fastidieux de la soumission des demandes et de l'évaluation des projets. Pour ce qui concerne les financements climat liés au secteur privé, il faut parvenir à rendre les projets de transport économiquement rentables pour attirer les financements.
Face à ces constats, le secrétariat de MobiliseYourCity propose à ses villes membres des formations, des jumelages et du matériel sur notre plateforme de partage de connaissances. Nous informons également nos villes membres et l'ensemble de la communauté sur les nouvelles opportunités et les appels d'offres spéciaux, comme par exemple le nouveau City Climate Finance Gap Fund (Fonds de financement complémentaire des villes pour le climat) de la Banque européenne d'investissement, présenté dans l'une de nos dernières formations.
Quel avenir envisagez-vous pour le fonds MYC et plus globalement pour le financement climatique au bénéfice du transport durable ?
S.V. : Afin de mener à bien des projets, leur planification doit être solide et reposer sur une méthodologie rigoureuse. Les projets doivent répondre au besoin de transports accessibles et écologiques en se servant d'approches éprouvées pour les évaluer positivement dans l'intérêt des bailleurs de fonds.
L'élaboration de Plans de mobilité urbaine durable (SUMP) et de Politiques et programmes d'investissement nationaux en matière de mobilité urbaine (NUMP) avec nos villes membres nous permet d'identifier plus concrètement des projets rentables, qualifiés et évolutifs pour l'investissement. Le NUMP philippin, récemment achevé, a établi que la mise en œuvre de ses mesures permettrait d'économiser 15,01 à 27,13 MtCO2Eq sur dix ans. Ce sont ces chiffres qui sont intéressants pour le financement climatique afin d'exercer un effet de levier sur les investissements.
La caractéristique unique de MobiliseYourCity est la combinaison des différentes forces de nos partenaires. L'AFD est très expérimentée dans la modélisation des transports et la mise en œuvre de projets de transport à grande échelle, tandis que la GIZ est pionnière dans le renforcement des capacités, le renforcement des processus participatifs et le développement de boîtes à outils pour les gouvernements locaux et régionaux.
Un autre avantage significatif de notre partenariat est sa portée mondiale : nos villes membres s'étendent d'Antofagasta (Chili) à Abbottabad (Pakistan), comprenant des partenaires dans 32 pays en Asie, en Amérique latine, en Afrique et en Europe de l'Est. Cette vaste dimension mondiale nous permet de mettre en relation les villes et les gouvernements nationaux avec les donateurs et les financiers au sein d'un grand réseau. Ce dernier nous permet également d'attirer l'attention des donateurs et des banques ou organisations qui disposent des ressources nécessaires à ces villes pour soutenir nos membres.
Dans ce contexte, l'avenir est plein de promesses : les banques, les fonds et les villes qui annoncent des engagements conformes à l'action climatique sont de plus en plus nombreux. C’est par exemple le cas de la Ville de Paris, de la BERD, de la BEI et des fonds à croissance rapide comme le Fonds vert pour le climat.
Peu à peu, les frontières entre financement, financement durable et financement climatique s'estompent. Sur le long terme, la tendance s’oriente vers une vision favorisant la durabilité et les aspects écologiques de nos villes en général. À l'avenir, la motivation des investisseurs se superposera aux Objectifs de développement durable car ceux-ci deviendront une partie essentielle de l'évaluation des projets pour tous les types de secteurs, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que des financements compatibles avec le climat. Bien entendu, cela nécessite une forte appropriation et un engagement politique important.
Lors de la COP21, MobiliseYourCity a démarré avec 15 partenaires. Cinq ans plus tard, nous sommes près de 100, et nous continuons à nous développer et à nous améliorer. Très récemment, nos donateurs ont approuvé une stratégie élargie qui aidera les villes à développer et à mettre en œuvre des projets pilotes en vue d'approfondir la coopération, l'échange de connaissances et l'expertise pour une planification des transports durables saine et vertueuse.
Ce projet est réalisé avec le soutien de l’Union européenne