Pourquoi parle-t-on des Petits États insulaires en développement (PEID ou SIDS en anglais) et de leurs vulnérabilités particulières ?
Benjamin Coudert : Les PEID forment un groupe de 39 États membres et de 20 territoires membres associés via les commissions régionales de l’ONU (dont certains Outre-mer français) qui a été reconnu par la communauté internationale à Rio en 1992, à l’occasion du Sommet pour la Terre. Cette catégorie de pays permet à ses membres de bénéficier d’une reconnaissance particulière dans toutes les résolutions adoptées aux Nations unies et de mieux organiser leurs plaidoyers pour faire valoir leurs risques spécifiques.
Bien que les situations de ces économies soient diverses, les PEID se caractérisent par des vulnérabilités structurelles communes, et des vulnérabilités exacerbées face au changement climatique. En effet, ce sont des économies de petite taille, peu diversifiées (et avec un faible potentiel de diversification sur le plan économique), peu insérées dans leur bassin, éloignées des marchés internationaux, fortement dépendantes du commerce international et donc très exposées aux chocs externes ; avec des problèmes de gouvernance, de compétences et de capacités ; avec enfin des caractéristiques démographiques variées, comportant des enjeux sociaux et économiques certains. Ces États sont ainsi structurellement vulnérables aux chocs exogènes, comme la crise sanitaire de 2020 et la guerre en Ukraine.
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Les PEID sont particulièrement vulnérables à la perte de biodiversité, en raison de la fragilité de leurs écosystèmes terrestres et marins, ainsi qu’aux effets du changement climatique, alors même que ce sont les États qui émettent le moins de gaz à effet de serre (< 1 % des GES mondiaux). Ce sont les premières victimes des catastrophes naturelles, dont la fréquence et l’ampleur s’accélèrent du fait du changement climatique. D’après les calculs réalisés par la direction de la recherche de l'AFD, les coûts d’une catastrophe s’élèvent à 23 % du PIB des PEID en moyenne (et davantage dans le Pacifique), contre 4,5 % en moyenne dans les autres pays en développement, ce qui augmente mécaniquement leur besoin d’emprunt pour financer les travaux de reconstruction.
On observe par ailleurs un niveau d’endettement élevé dans la plupart des PEID. La majorité de leur dette publique est externe, contractée auprès de bailleurs internationaux, en raison d’un marché domestique de la dette limité, et d’un manque d’accès aux capitaux étrangers. Cette spirale dette-climat fait ressortir la double vulnérabilité forte des États insulaires (macro-financière et au changement climatique), particulièrement celle des États du Pacifique.
D’après le Giec, l’impact du changement climatique devrait être de 0,5 % du PIB en moyenne au niveau mondial d’ici à 2030, mais il pourrait atteindre 0,75 % à 6,5 % dans le Pacifique et jusqu’à 5 % dans la Caraïbe (voire 20 % à l’horizon 2100).
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Comment de si petits acteurs économiques peuvent-ils faire entendre efficacement leur voix face aux « mastodontes » de la pollution (Chine, UE, États-Unis, Inde, etc.) pour s’assurer un avenir ?
Tout d’abord, il faut garder en tête que ces petits territoires sont en fait de grands États maritimes, du fait de la superficie de leurs eaux territoriales, qui représentent en moyenne 28 fois la superficie de leur territoire. Pour autant, ils ont du mal à faire reconnaître leurs vulnérabilités spécifiques à côté des « géants politiques », les principaux émetteurs de GES au niveau mondial, et demandent constamment une meilleure justice climatique. Dans les enceintes de négociations onusiennes, ils sont également regroupés au sein de l’Aosis (Alliance of Small Island States) et s’associent à d’autres groupes (PMA, G77…) pour faire entendre leur voix.
Ce cycle de conférences internationales dédiées aux PEID reste l’espace le plus adapté pour qu’ils puissent exprimer leurs besoins. Lancées par les Nations unies dès leur reconnaissance en tant que groupe de pays particulier, trois conférences internationales sur les PEID ont permis l’adoption de textes internationaux : le Programme d’action de la Barbade en 1994, la Stratégie de Maurice en 2005 et les Orientations de Samoa en 2014.
Cette 4e conférence internationale des Nations unies sur les PEID est une occasion rare (une fois par décennie) mais importante pour ces pays de faire valoir leurs vulnérabilités spécifiques, ainsi que leurs besoins prioritaires en termes d’accompagnement international, pour renforcer leur résilience aux effets du changement climatique et être en mesure d'atteindre les ODD. Le texte final qui sera adopté à l’issue de la conférence, l’ABAS (Antigua-and-Barbuda Agenda for SIDS), définira le programme de développement pour les PEID pour la prochaine décennie.
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Comment la France et le groupe AFD peuvent-ils jouer un rôle déterminant auprès des PEID ?
Pour traiter de ces vulnérabilités plurielles, l’AFD intervient dans les PEID en mobilisant toute sa gamme d’outils financiers – des dons (subventions de programmes pour les Outre-mer), des prêts bonifiés ou non bonifiés et des garanties – au bénéfice de différents types d’acteurs insulaires (publics, privés et organisations de la société civile).
En outre, l’AFD a récemment développé des outils et des approches qui semblent particulièrement adaptés pour intervenir dans les PEID au regard de leurs vulnérabilités : les clauses de suspension de la dette en cas d’événement climatique, les prêts dits « très concessionnels » car alloués à des conditions attractives et à long terme (quarante ans), ou encore les prêts de contingence (ou lignes de contingence) dont les ressources sont débloquées suite à un événement climatique.
Par ailleurs, le groupe AFD promeut une approche régionale dans les domaines de la santé, de la gestion des déchets ou encore du climat et de la biodiversité. Cela permet à l’AFD d’apporter des réponses globales à ces problématiques transfrontalières qui ne peuvent trouver une solution que sur le plan régional. Citons par exemple les projets Mangroves dans la Caraïbe, Kiwa dans le Pacifique ou Varuna dans l’océan Indien. De surcroît, le fait que l’AFD intervienne à la fois dans les PEID et dans les Outre-mer français lui offre un positionnement et une maille d'action beaucoup plus forte à l'échelle des bassins océaniques afin de financer des projets qui se mettent en œuvre sur les différents territoires, français et étrangers, et qui les relient.
De nouvelles initiatives dédiées aux PEID sont en préparation et devraient être annoncées à l’occasion de la troisième conférence Unoc (United Nations Ocean Conference) qui se tiendra à Nice en juin 2025. Dans la perspective de cette conférence, l’objectif pour le Groupe vis-à-vis des PEID est de proposer un « Package SIDS » qui compilerait l’ensemble des outils spécifiques, des facilités et des initiatives régionales qui s’adresseront à tous les acteurs œuvrant en faveur du développement durable dans les territoires insulaires et dans les Outre-mer français. C’est d’ailleurs l'un des objectifs de la France aujourd'hui : planter des graines à Antigua pour en voir les premiers germes à Nice l’an prochain…