Momus retire le seau de son puits, creusé il y a une trentaine d’années. Mais le Rodriguais ne pourra se désaltérer : l’eau est trop salée et ne servira qu’à laver son linge et nourrir son cheptel. Comme lui, les habitants de la petite île, distante de 580 km de Maurice, sont confrontés à un grave manque d’eau et souffrent de coupures régulières plusieurs jours de suite. « Nous ne pouvons pas fournir assez d’eau avec l’infrastructure actuelle », reconnaît Jérémy, technicien à la Rodrigues Public Utilities Corporation. Les ressources hydrauliques proviennent de l’exploitation en surface des rares rivières, de la récupération des eaux de pluie, de l’exploitation des eaux souterraines par forage et du dessalement, coûteux, d’eau de mer. Cela ne suffit pas : Rodrigues produit environ 4 800 m3 d’eau par jour, alors que la demande quotidienne est estimée à 12 000 m3, et s’élèvera même à 20 000 m3 en 2040.
À Maurice, en revanche, 99,7 % de la population bénéficie d’un accès quotidien à l’eau domestique pendant six heures au minimum, contre 75 % dans les années 1990. Pour autant, il reste des quartiers où l’eau manque. Corinne, une habitante de Bambous Virieux, sur la côte ouest, dépend ainsi de la rotation de camions-citernes. « Nous vivons au jour le jour, sans jamais savoir quand ils arrivent pour remplir nos réservoirs », se désole-t-elle.

Si l’eau manque, c’est en grande partie en raison d’un réseau d’approvisionnement défaillant : plus de 50 % du précieux liquide produit sur l’île se perd avant d’arriver dans les foyers. Comme le résume Laëtitia Habchi, directrice de l’AFD à Maurice, Rodrigues a donc « un souci de disponibilité de l’eau », alors que Maurice a « un problème de gestion de l’eau ».
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Favoriser l’accès à l’eau et en promouvoir une gestion durable
Face à cette situation, la Central Water Authority mauricienne s’est lancée au début des années 1990 dans un vaste programme de réhabilitation et de modernisation de ses infrastructures. Grâce à l’appui de l’AFD, la capacité de la station de traitement de Piton du Milieu, en plein centre de l’île, est ainsi passée de 10 000 à 27 000 m3 par jour. Par ailleurs, la station de la Nicolière, plus au nord, peut désormais traiter 70 000 m3 par jour, contre 10 000 auparavant. L’AFD a également cofinancé le barrage hydroélectrique de Champagne, dans la région de Moka, capable de produire 30 mégawatts d’électricité, un projet initié par le Central Electricity Board de Maurice. L’AFD a encore appuyé la construction de stations d’épuration, comme celle de Grand Baie, au nord-ouest de l’île.

S’adapter au changement climatique
Au-delà des questions d’infrastructures, il faut encore s’adapter aux dérèglements climatiques, qui conduisent à des périodes accrues de sécheresse, entrecoupées paradoxalement de précipitations hors norme. Après les inondations de 2013 et 2017, le gouvernement mauricien a créé une nouvelle entité dédiée à cet enjeu, la Land Drainage Authority. Avec le soutien de l’AFD dans le cadre de son programme AdaptAction, un plan de gestion des eaux de ruissellement a été élaboré. Il préconise la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature, c'est-à-dire sur les services rendus par les écosystèmes pour réduire la vulnérabilité du pays aux inondations.
Comme 48 % de l’eau est utilisée par le secteur agricole, l’AFD ne pouvait ignorer ce secteur, d’autant plus que, là aussi, des marges de progression étaient possibles. La principale méthode d’irrigation des champs reposait sur de l’arrosage automatique, trop consommateur en eau. Le gouvernement mauricien a alors lancé un ambitieux programme de modernisation du réseau d’irrigation, dont une partie a été financée par l’AFD. Dans le nord de l’île, des agriculteurs utilisent dorénavant un système de goutte-à-goutte, sur des centaines d’hectares.
À l’est, dans la région de Belle Mare, un système d’irrigation à basse pression a été mis en place. Dans les deux cas, la consommation d’eau a été considérablement réduite et le rendement de cultures a augmenté, pour le plus grand bonheur des petits agriculteurs. Namah, en train de récolter des citrouilles, se souvient de l’anxiété permanente de ses parents qui devaient payer une consommation d’eau trop importante : « Aujourd’hui, je produis davantage avec la même quantité. » Niven, conseiller technique à l’Irrigation Authority de Maurice, renchérit : « L'engagement constant de l’AFD est l’une des raisons de la réussite de notre programme d’irrigation dans cette région. »

d’irrigation financées par l’AFD.
Quarante ans de soutien
Cela fait quarante ans que l’Agence française de développement soutient le territoire insulaire, comme s’en félicite Laëtitia Habchi : « Depuis le début des années 1980, nous avons accompli énormément de choses ensemble. Cependant, nous sommes conscients qu’il reste encore beaucoup à faire. » Un exemple parmi d’autres : moins de 20 % des eaux usées du pays sont actuellement traitées. Aussi, pour y remédier, un accord historique a été signé en 2023, selon lequel l'AFD mobilise au profit de Maurice et de Rodrigues un prêt de 200 millions d’euros, associé à une subvention de 2 millions sur la période 2024-2027.
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« L’effort concernera l’ensemble du secteur, avec pour objectif principal l’amélioration du service au bénéfice des populations de Maurice et de Rodrigues », souligne Jahajeeah Doumeney, directeur technique au ministère de l’Énergie et de l’Utilité publique. L’assemblée régionale de Rodrigues a d’ailleurs mis en place en 2022 la Rodrigues Public Utilities Corporation, dirigée par Claude Wong So, chargé du projet Eau qui rappelle que les ressources ne manqueraient pas à Rodrigues : « Il existe des nappes phréatiques, mais elles sont encore inexplorées et sous-utilisées. » L’AFD a commandé à ce sujet une étude approfondie auprès du Bureau de recherche géologique et minière de la France (BRGM). Dans les trois prochaines années, ce dernier travaillera sur une cartographie qui permettra de repérer les meilleurs emplacements pour de nouveaux forages (montant du financement : 1,3 million d'euros).
À Maurice, la Central Water Authority va pour sa part développer un important programme de télémétrie : le système permettra de suivre avec précision l’utilisation de l’eau dans le réseau et de repérer les fuites. Doté d’interfaces de compteurs électriques reliés au réseau de télécommunications de l’île, le procédé a été conçu suite à une étude de terrain exhaustive menée en 2021 par la Société du canal de Provence, puis a vu le jour grâce au soutien financier de l’AFD.
L’ensemble de ces mesures poursuivent le même but : atteindre l’Objectif de développement durable (ODD) n°6 de l’ONU, qui vise à « garantir l'accès de tous à l'eau et à l'assainissement » et à « assurer une gestion durable des ressources en eau » d’ici 2030. Aujourd’hui, les habitants consomment en moyenne 170 litres par jour et par personne, une consommation qui devrait encore augmenter au niveau du pays. La tâche est donc ardue mais le gouvernement mauricien, soutenu par l’AFD, s’y emploie.
Photos : © Paul Choy